Harcèlement scolaire : le théâtre pour libérer la parole

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Publié le 19/05/2016 par TRD_import_FlorianDacheux ,
Aider les jeunes victimes de harcèlement scolaire à oser dire leur souffrance et faire éclater la vérité. C'est le pari de "Hors Jeux", pièce de théâtre de prévention. Immersion à Poissy, dans les Yvelines, à la rencontre de professionnels et de familles venus témoigner sur le harcèlement scolaire, tabou réel et persistant dans vos établissements.

C’est un sujet difficile à cerner. Difficile à percevoir. Sommes-nous capables, ados ou adultes, de reconnaître une situation de harcèlement ? Une question majeure, à l’heure où les victimes restent encore trop souvent et trop longtemps dans le silence, pendant que les coupables se vantent au collège et sur Internet.

Ancienne formatrice à l’IUFM de Colmar, Ghislaine Bizot a choisi de cesser ses activités professionnelles pour se consacrer à sa passion : l’écriture. Depuis 2007, sa compagnie, Andromède, propose un outil innovant et efficace : le théâtre de prévention.

« Notre action découle d’un constat simple. Il est souvent difficile de tenir un discours de prévention, notamment auprès d’un jeune public, sans tomber dans le piège de la moralisation qui en annihile les effets. Il nous semble intéressant de faire passer des messages par l’intermédiaire du théâtre. Notre propos est d’engager la réflexion, mais non de la mener. Notre présence ne sert que de déclencheur à la réflexion. »

Une manière de transmettre les messages de façon plus légère et plus efficace. De là est née  » Hors Jeux », une pièce qui suit un groupe de collégiens, à la fois dans l’enceinte de leur établissement mais aussi dans leurs familles. Un texte libérateur, où l’intrigue et les personnages déculpabilisent le spectateur qui hésiterait à parler de ses brimades aux adultes, par honte ou par peur des représailles.

Provocations, sharking et cyberviolence

Ce soir-là, à la salle Blanche-de-Castille de Poissy, élèves, parents et enseignants du collège Jean-Jaurès assistent à la représentation. À l’issue, tous échangent et débattent. La majorité des parents souhaitent voir cesser « les phénomènes de provocations, menaces et guet-apens » et que leurs enfants, victimes ou témoins, prennent conscience de  » l’importance de parler sans avoir honte « .

Pour Ghislaine Bizot, c’est clairement « la réaction à avoir. Se défendre, c’est très bien, mais cela peut être mal interprété. Dans les histoires de harcèlement, l’essentiel, c’est la parole. Dans notre compagnie, une fille a été confrontée par un problème de harcèlement, et son personnage sur scène l’avait aidée à en parler aux adultes ».

Des violences physiques répétées, des moqueries orales pernicieuses… Puis, viennent Internet et ses dangers. Insultes, incitation au suicide, vidéos humiliantes, usurpation de compte, rumeurs sur les réseaux sociaux… L’éventail est large. Et quand ces agressions viennent à se répéter et visent une même personne, on ne parle plus de cyberviolence, mais bien de cyberharcèlement.

« Cela mine les victimes sur la durée, poursuit Ghislaine Bizot. Partager une photo qui peut sembler amusante, alors que c’est grave, c’est vraiment devenu dangereux. Comme le sharking, qui consiste à déshabiller une personne et à filmer la scène. Il faut dire stop ».

Savoir parler sans avoir honte : c’est le message délivré par la compagnie sur scène. // © Compagnie Andromède

Être attentif aux signes

Dans ce tourbillon de violences souvent invisibles, les établissements sont-ils les principaux responsables ? Là encore, le débat s’impose. « Ce quotidien, je le connais par cœur », affirme Edith Baudry, la principale adjointe du collège Jean-Jaurès, avant de poursuivre : « On leur demande s’ils en parlent à leurs parents. Mais, du point de vue des parents, ça ne va jamais assez vite. Nous sommes très procéduriers, il y a un protocole scolaire… Je vois souvent des élèves dans des situations embarrassantes. Auteurs, témoins, complices, victimes, on leur donne des outils : comment se défendre, s’opposer, en parler… L’ultra-connexion des 12-16 ans sur le web est affolante, cela devient un travail d’investigation pour nous, et nous ne sommes pas surpuissants », explique-t-elle, tout en précisant qu’un travail de prévention sur le collège a bien lieu dans le cadre du foyer socio-éducatif. Un atelier qui ne peut pas prendre le dessus sur les cours.  » Le premier cadre, c’est aux parents de le poser , tout en étant attentifs aux signes », estime la principale.

Chiffres clés

– 700.600 élèves français, de l’école au lycée, sont victimes de harcèlement

– 1 élève sur 5 est confronté au cyberharcèlement

– En cas de harcèlement, le risque de suicide est 4 fois plus grand

– 8 à 10 % des collégiens sont victimes de harcèlement

– 2 témoins sur 3 refusent d’intervenir

– 21 % des victimes n’en parlent pas

– le 5 novembre est la journée nationale de mobilisation contre le harcèlement

(Source : Ministère de l’Éducation Nationale)

L’importance du témoin

Ambassadeur de la campagne gouvernementale contre le harcèlement scolaire depuis 2013, le champion d’Europe d’athlétisme Christophe Lemaitre est souvent cité comme exemple par la compagnie Andromède. Victime de moqueries assez fréquentes, ce champion a beaucoup souffert durant ses années de collège, avant d’en faire sa force.

Ses conseils ?  » Rompre absolument la loi du silence pour pouvoir agir. Sinon, cela ne s’arrête jamais. C’est dur mentalement de tenir dans cette situation. Le harcèlement, les profs ou les surveillants le voient peu, si l’on n’en montre pas de signes. Si personne ne parle, il n’y a jamais de preuves concrètes **. »

En marge du Plan Peillon de novembre 2013, qui a notamment permis la mise en place de 31 référents académiques à l’écoute des victimes et témoins, la compagnie Andromède entend bien poursuivre sa mission de prévention. Et proposer ses propres solutions, telles qu’un code de la cour contre les jeux dangereux, co-établi par les jeunes et l’équipe pédagogique, la médiation par les élèves ou encore des professeurs.

« Il y a des raisons pour parler, expliquent Louis Dubois et Malika Le Provost, metteurs en scène. Il y a encore trop d’idées reçues qui empêchent de parler comme le ‘c’est pas grave, ça les fait rire’ ; ou le ’10 contre moi, seul contre tous’. D’une certaine manière, un témoin qui ne s’exprime pas peut signifier qu’il cautionne les actes.

Ghislaine Bizot conclut :  » Le rôle des témoins est primordial pour désamorcer quelque chose. La parole est le remède à beaucoup de maux. » Et comme le dit si bien sur scène le slameur Souleymane Diamanka : « Quand on vous parle avec des flammes, répondez avec de l’eau ».

Pour en parler :

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