Interview d’Amandine Stelletta, coréalisatrice de « Harcèlement à l’école », un documentaire choc

No thumbnail
Publié le 29/10/2013 par TRD_import_EmmanuelVaillant ,
En France, un eleve sur dix serait victime de harcelement*. Si le phenomene est massif, il a longtemps ete ignore par l'institution scolaire. Diffuse le 29 octobre 2013 dans l'emission Le monde en face sur France 5, le documentaire "Harc element a l'ecole" donne la parole a des enfants victimes, a des parents d'eleves harceles et a un ancien harceleur. Interview d'Amandine Stelletta, corealisatrice de ce documentaire.

Comment faire la différence entre une chamaillerie, voire une bagarre, en cour de récréation et une véritable situation de harcèlement ?

Le phénomène de harcèlement correspond à des faits bien identifiés par les spécialistes. C’est une répétition quotidienne de faits de violences physiques et/ou psychologiques qui visent à attaquer l’autre et le blesser dans son identité propre, sur un temps minimum de quatre semaines. C’est un processus lent. La seule chose en commun aux victimes, c’est qu’il n’y a pas de souvenir d’un jour précis qui a fait que tout a basculé. C’est pervers et ça met du temps à s’installer. Il y a un tel sentiment de culpabilité que les victimes ne s’en rendent pas compte tout de suite.

Qu’en est-il du harcèlement via les réseaux sociaux ?

Le harcèlement n’est plus cantonné à l’espace et au temps de l’école. Avec les réseaux sociaux les victimes ne sont jamais tranquilles. Celles-ci n’ont aucun répit, aucun lieu de protection. Cela les dévore tout le temps. Les réseaux sociaux ont fait aussi naître une deuxième nature de harceleurs : ce ne sont pas les mêmes sur les réseaux sociaux que ceux qui le font à l’école. Donc ça décuple le problème et la prévention ne peut pas être mise en œuvre de la même façon.

Pour lutter contre le harcèlement, il faut se mettre à la place de l’enfant victime.

_

_

Votre documentaire montre que le phénomène est difficilement pris en considération par les adultes, voire par la plupart des enseignants qui découvrent le problème… Que faire pour que cela change vraiment ?

Il faut tenir compte de la parole de l’enfant. Le plus souvent quand un enfant vient voir un adulte pour lui dire : « on me fait du mal, on m’a traité de ‘gros lard' »… l’adulte réagit par rapport à sa propre perception et va minimiser : « Ce n’est pas grave », « Ca va passer ». Alors qu’il devrait se mettre à la place de l’enfant et lui demander : « Qu’est-ce que ça te fait d’être traité ainsi ? », « Qu’est-ce que tu ressens ? »… Tant que l’on n’aura pas compris que le harcèlement n’est pas un problème d’acte mais de ressenti de l’enfant, on n’avancera pas. Pour que l’enfant parle, pour qu’il ait confiance, il doit sentir que l’adulte l’a écouté. Ce film veut montrer que ce n’est pas une question de formation ou de moyens. Un enfant qui souffre est un enfant qui souffre, point. Il faut l’entendre, considérer sa douleur et ne pas porter de jugement sur son mal-être.

Mais si l’enfant victime est enfermé dans le silence, comment agir ?

Si la victime ne peut pas parler, c’est aux autres de le faire, les témoins. Car le harcèlement naît d’une situation triangulaire : le harceleur, le harcelé et les témoins , ce que les chercheurs appellent « les pairs », c’est-à-dire tous les enfants extérieurs qui accompagnent et cautionnent, en spectateurs passifs. Il faut agir sur eux. C’est ce qui est difficile à faire comprendre. Les pays nordiques où le harcèlement est en régression l’ont compris il y a quarante ans. Si le harceleur n’a pas d’auditoire, la situation ne s’installe pas. Le plus souvent la victime ne peut donc pas s’en sortir seule. Il faut que les enfants autour l’aident en libérant leur parole.

Votre film traite du harcèlement au collège. Pourquoi ne pas parler de l’école primaire ou du lycée ?

Si nous nous focalisons sur le collège c’est parce que nous n’avons pas eu l’autorisation de filmer dans d’autres établissements, notamment en primaire, à la maternelle ou au lycée. Ce documentaire a été très difficile à réaliser. Car la collaboration avec l’Education nationale n’a pas été toujours facile. Nous l’avons fait avec les gens qui ont accepté de nous parler. Et nous n’avons pas abordé d’autres sujets tels que le harcèlement entre filles, ou dû à l’orientation sexuelle, ou encore vis-à-vis des très bons élèves ou ceux en grandes difficultés scolaires…

*chiffre du Ministère de l’Education Nationale

A l’occasion de sa diffusion, francetv éducation met en ligne15 programmes courts issus d’images inédites de la production de ce documentaire réalisé par Amandine Stelletta et Nicolas Bourgoin : des interviews de spécialistes et de victimes de harcèlement.

Victime ou témoin d’une situation de harcèlement, sachez que depuis la rentrée 2013 un dispositif de prévention a enfin été lancé par le ministère de l’Education nationale avec un site dédié : www.agircontreleharcelementalecole.gouv.fr