L’interro que les élèves rêvent de donner aux profs

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Publié le 27/02/2014 par TRD_import_OlivierVanCaemerbeke ,
" Profs, sortez vos stylos. Le sujet : que pensez-vous vraiment de nous ?" Faire une interro inversee, voila ce que nous avons propose a des enseignants de lycees et de fac. Theme de cette "evaluation" : repondre aux questions que des eleves revent de leur poser. Si beaucoup ont refuse, ceux qui ont joue le jeu l'ont fait avec humour et sans langue de bois. Voici donc ce que vous avez toujours voulu savoir sur vos profs sans oser leur demander…

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LES 5 PROFS PASSÉS AU GRIL

Catherine : 39 ans, professeur d’histoire-géo à Paris dans un lycée « historique » et prestigieux de Paris.

Cripure : 48 ans, prof de français, latin et grec ancien dans ce qu’il appelle un « gros lycée rural ».

Éric : 31 ans, prof de SVT dans un collège-lycée du Sud-Ouest.

Gwendoline : 24 ans, prof de français et latin, à Lyon. Tient un blog.

Ingliche Titcheur : prof de fac en licence et en master. Elle aussi tient un blog.

QUESTION N°1 :

Que pensez-vous de notre comportement ? Répondez avec sincérité

Bonne nouvelle pour commencer, les profs qui nous ont répondu vous trouvent plutôt agréables. « Mais je suis frappé par votre attitude de ‘spectateur de cinéma’, lance Cripure, le prof de français, latin et grec ancien. Vous êtes nombreux à écouter, mais si vous décrochez, vous ne faites rien pour raccrocher.  » L’importance « démente » que vous accordez à Internet, à vos portables et aux réseaux sociaux laisse aussi ce prof pantois.

Dans un registre bien moins léger, c’est la violence qu’il a constatée lorsqu’il exerçait en ZEP qui choque le plus Éric, prof de SVT dans le Sud-Ouest. “ Les relations que certains ont avec leurs ‘copains’, les échanges verbaux et physiques peuvent être extrêmement violents. Mais le pire, c’est que vous ne vous en rendez pas compte ; pour vous, c’est un comportement normal. »

Constat opposé pour Catherine, la prof d’histoire-géo en lycée prestigieux à Paris. « Je suis dans un lycée très ‘privilégié’ et j’ai la chance d’avoir des élèves assez extraordinaires. Leur attitude pendant les cours est exemplaire, mais je ne sais pas vraiment comment ils se comportent à l’extérieur. »

Enseignant à la fac, Ingliche Titcheur, 33 ans, donne cours à des étudiants de tous âges. « J’ai même des retraités dans mes TD. » Et, elle, remarque que la maturité n’est pas toujours du côté des anciens.  » J’ai récemment grillé un étudiant de deux fois mon âge qui avait gentiment copié-collé Internet. Genre, je m’en rendrais pas compte… Et puis j’ai des étudiants qui, en licence 3, croient encore que raconter leur ‘laïfe’ dans leur copie de partiel, ça passe… »

QUESTION N°2 :

Qu’est-ce que vous appréciez le plus chez nous, vos élèves ?

Vos profs vous aiment bien c’est avec plaisir qu’ils vous retrouvent chaque semaine. Si, en plus, vous êtes réceptifs à leur enseignement, c’est le jackpot ! « Ce que j’apprécie le plus chez vous, c’est lorsque vous avez compris un truc et qu’une petite lueur brille dans vos yeux », commente Ingliche Titcheur. Lorsqu’elle constate que vous prenez du plaisir à apprendre, c’est pour elle « un moment de bonheur pur ». « Cela doit faire un peu narcissique, mais quand l’un de vous vient me voir pour me dire qu’il a adoré ce qu’on a fait en classe, je ressens toute l’utilité de mon boulot. »

Pas encore agrégée, Gwendoline, prof de français et latin, a déjà fait un remplacement de 7 mois pour des classes de seconde, première et terminale, et a assuré quelques heures en fac. La jeune prof de Lyon reconnaît être proche de ses élèves y compris en dehors de cours. Quand elle n’en croise pas certains en boîte de nuit, elle communique avec d’autres sur Twitter ou Facebook. « Vous m’épatez par votre intelligence de notre époque ! Par exemple, vous maîtrisez parfaitement les outils numériques à votre disposition. » Gwendoline apprécie aussi beaucoup votre réactivité. « Vous aimez débattre, donner votre avis, mais vous savez vous remettre en question. En fait, quand on vous fait confiance, vous savez vous en montrer digne, que ce soit dans le travail ou dans les rapports humains. » Beau compliment, non ?

QUESTION N°3 :

Que pensez-vous de nos parents ?

Attention papa, attention maman, les réponses dépotent ! « Vos parents, je ne pense rien, ils ne m’intéressent pas », commence Catherine. Rien ? Pas tout à fait puisque certains l’irritent « prodigieusement » lorsqu’ils laissent entendre qu’elle a un métier facile et qu’eux enseigneraient différemment et, bien sûr, mieux. « Mais ce qui me sidère le plus, c’est de constater à quel point ils ne vous comprennent pas. Ils ne savent rien de vos univers, de vos besoins, de vos envies. » Un jugement que partage Éric qui perçoit lui aussi « une grande fracture générationnelle ».  » Vos parents sont largués par rapport à ce que vous êtes. Ils ne réalisent pas tout ce à quoi vous avez accès via Internet, les smartphones, les réseaux sociaux, etc. »

Gwendoline est la seule à émettre un avis différent sur vos géniteurs : « Je suis très jeune et j’appréhendais beaucoup mes échanges avec eux. Or, ils se sont révélés constructifs. Ce fut une bonne surprise. »

QUESTION N°4 :

Avez-vous des chouchous dans vos classes ?

 » Oui, ceux que je maltraite le plus ! affirme Gwendoline. Ce sont ceux chez qui je vois du potentiel et qui n’en font rien. J’ai beaucoup d’affection pour eux, car j’étais pareil : je foutais le bordel dans les cours ! Je viens d’un milieu social peu favorisé, c’est l’école qui m’a permis de m’en sortir. J’aimerais qu’ils saisissent leur chance. »

Pas de chouchou pour Cripure, qui se méfie de l’élève modèle. « On croit que c’est le petit génie qui boit nos paroles et c’est en général celui qui se plante le plus aux devoirs et qui montre régulièrement qu’il ne comprend rien !  » Éric, le prof de SVT, reconnaît qu’il peut lui arriver d’avoir un élève préféré, mais il essaye de ne pas le montrer, « pour que cela ne lui retombe pas dessus ».

QUESTION N°5 :

Êtes-vous déjà tombé amoureux(se) d’un(e) élève ? Comment gérez-vous ?

« Euh, comment dire… ça va pas non ? s’étrangle Ingliche Titcheur. Je peux bien sûr trouver des étudiants mignons, mais au-delà de ce constat esthétique, il y a quand même une barrière mentale et morale qui fait que ça ne me traverse même pas l’esprit.  » Les autres profs mettent aussi en avant ce que Catherine estime être un « tabou très fort. » « Je crois qu’il s’agit là d’un grand fantasme d’élève, ajoute la prof d’histoire-géo. Je ne vois pas les garçons à qui j’enseigne comme des hommes. Même très beaux, cela reste des mômes, fragiles. »

Si elle n’a pas non plus succombé à vos charmes, Gwendoline a une opinion davantage nuancée. « Nous sommes des êtres humains, en fac, nous avons presque le même âge, donc je peux concevoir que certains y pensent. » La jeune prof reconnaît aussi avoir été draguée « de manière pas toujours très fine » par ses lycéens. « C’est flatteur, rigolo… et gênant. »

QUESTION N°6 :

Fermez-vous parfois les yeux sur des trucs que l’on fait (quand on triche, qu’on envoie des SMS, qu’on se passe des mots … ) pour avoir la paix ?

Sur cette question, les attitudes des profs divergent totalement. Pour Cripure, faire semblant de ne pas voir est la « pire des choses ». Catherine, elle, reconnaît laisser circuler les mots entre vous « quand c’est discret ». « Nous l’avons tous fait, c’est plutôt marrant. » Tolérance aussi pour Gwendoline. « Un portable qui sonne ne me fera pas hurler. En revanche, si l’élève ne le coupe pas, j’interviens. Les attitudes désinvoltes, genre : je te montre que je ne fais même pas l’effort de t’écouter, de te respecter, me dérangent plus qu’un mot qui passe de table en table. »

Si Éric aussi ferme parfois les yeux, ce n’est pas pour avoir la paix, mais pour constituer un « dossier »! « Tricher ou manquer de respect est tellement toléré par les parents et la direction de l’école que pour pouvoir signaler quelque chose, il faut avoir plusieurs éléments ‘à charge’ ! »

QUESTION N°7 :

Êtes-vous d’accord avec tout le programme que vous nous enseignez ?

« Oui ! se réjouit Ingliche Titcheur. En fac c’est moi qui décide de ce que j’enseigne, donc, oui, je suis à fond d’accord avec moi-même !  » Avis contraire pour Catherine, qui assure être de moins en moins en phase avec le programme, sur le fond comme sur la forme. « L’histoire-géo est devenue un gloubiboulga, déplore-t-elle. On nous force à enseigner l’histoire thématique et non chronologique, du coup vous mélangez les deux Guerres mondiales.  » Catherine fustige aussi vos manuels et leur vision « très libérale de l’histoire ». « J’ai appris à contourner le programme, à réintroduire une vision moins univoque. »

Les deux profs de français, eux, n’ont pas le même regard sur leur matière. Pour Cripure, le programme est trop lourd. « Je regrette aussi qu’il soit fondé à 100 % sur les textes littéraires du patrimoine. » Gwendoline ne se cache pas d’intégrer la culture rap, dont elle est raffole, dans son cours. « Le programme est imparfait, mais nous avons plus de marge de liberté que beaucoup de nos collègues. »

QUESTION N°8 :

Vous aussi vous ennuyez-vous parfois pendant les cours ?

« Jamais, vu que je cause tout le temps, et je cause tout le temps pour ne pas m’ennuyer », s’amuse Cripure. Si Éric ne s’ennuie pas non plus (sauf pendant les contrôles), cela arrive parfois à Catherine. « Ce qui me surprend toujours, commente-t-elle. C’est une schizophrénie : on se met sur mode automatique, on parle, on parle, on voit bien que cela ennuie autant les élèves. Il y a aussi des classes entières dans lesquelles je vais m’ennuyer toute l’année. Elles sont sages, mais totalement passives. Que je fasse dans l’humour ou le tragique, le résultat est le même. »

Ingliche Titcheur fait un constat similaire. « J’ai parfois contemplé l’idée de me jeter par la fenêtre pendant des sessions particulièrement ‘boring’. En général, ce sont des cours où personne n’est motivé pour participer. Je pose une question : silence de mort ; j’en pose une autre : toujours rien. Je m’énerve un peu : encéphalogramme plat. Dans ces moments-là, il m’est arrivé de dire tout haut que j’allais décéder d’ennui. « 

QUESTION N°9 :

Cela vous arrive-t-il de corriger nos copies en regardant la télé ou dans le métro, à l’arrache ?

Si Éric ne peut corriger qu’à son bureau, Gwendoline reconnaît qu’il lui arrive de travailler dans le métro. « Mais ce n’est pas à l’arrache ! précise-t-elle, car je ne corrige pas moins sérieusement. » Pour certaines « petites interros faciles à corriger », Ingliche Titcheur n’hésite pas à laisser la télé allumée. « J’arrive à suivre le JT tout en corrigeant un thème grammatical, par exemple. » Mais, promis, dès que cela se corse, elle coupe.

Cripure, lui, corrige beaucoup dans le train et très souvent en écoutant de la musique. « Parfois avachi sur mon canapé, parfois sous mon pommier quand il fait beau et que les pommes ne tombent pas encore. Parfois avec mon chat vautré sur le paquet des copies qui restent. »

QUESTION N°10 :

De quoi parlez-vous dans la salle des profs ?

Tous confirment qu’ils y parlent des élèves… « pour s’en plaindre, car un prof qui ne se plaint pas n’est pas un vrai prof, rigole Gwendoline. Plus sérieusement, c’est aussi là où l’on va échanger sur un élève qui nous apparaît épuisé, dépressif et qui nous semble avoir besoin d’aide. » Mais, n’en déplaise à votre égo, ils y parlent aussi de tout autre chose. « La couleur des selles du petit dernier, la pose de la laine de verre dans le grenier, la nouvelle tondeuse, voiture ou moto à acheter, le dernier film vu… ce n’est pas toujours très intello, pas toujours stupides », résume Cripure. Catherine confirme qu’on y râle beaucoup, mais pas vraiment à cause de vous. « Les profs se plaignent surtout de la photocopieuse qui ne marche pas, de la cantine, de l’administration… »

À les écouter, la salle des profs n’est pas un lieu qu’ils apprécient. « Tous les jeunes profs sont déçus quand ils la découvrent, assure Éric. Ils l’imaginent comme un lieu de grand débat, or cela ressemble à une cour de lycée. Il y a les mêmes chamailleries, les mêmes jalousies et engueulades…  » Pour Catherine aussi, la salle des profs a perdu son âme d’autrefois. « Il n’y a plus de passion, plus d’opinions, peu d’échanges et les discussions politiques ont totalement disparu. C’est devenu un endroit… chiant. »

QUESTION N°11 :

Que pensez-vous de vos collègues, de vos supérieurs ? Ne trouvez-vous pas que certains sont vraiment largués et nuls ?

Tous les profs savent qu’ils ont des collègues à côté de la plaque. Mais Catherine et Ingliche Titcheur soulignent que, n’assistant jamais aux cours des autres, l’info ne leur parvient que par les bruits de couloirs . « Or on se méfie toujours un peu ce que disent les élèves, car ils dégainent vite ! Et puis, c’est quoi un prof nul, au fond ? » se demande Catherine. Pour Éric, la différence ne se fait pas tant sur le savoir (« nous sommes tous surdiplômés ! ») que sur la manière dont ils gèrent la classe. « Quand des collègues se font ‘bordéliser’ chaque jour, nous savons qu’ils sont largués et nous les plaignons… secrètement. » Car tous reconnaissent que cela reste un sujet tabou. « On sait, ou on se doute, mais on n’en parle pas entre nous et… on fait corps » , confirment Catherine et Gwendoline.

NOTE : 19/20

Profs, vous avez répondu avec sincérité et humour. C’est bien, continuez !

Envie d’en savoir plus sur ce que les profs pensent de vous ? De savoir comment ils définissent « boloss » et autres « cossard » ? Ce qu’ils retiennent de votre usage du chewing-gum, de la chaise, de la cartouche… ? Découvrez sur letudiant.fr des extraits du Dictionnaire pittoresque du collège.