Petits jobs : salaire net et monde de brutes !

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Publié le 11/10/2013 par TRD_import_LilyJoseph ,
*Ils ont multipli e les petits boulots pendant des annees et ont finalement decide de faire de leurs experiences une bande dessinee. Élise Griffon et Sebastien Marnier publient "Salaire net et monde de brutes" chez Delcourt. Rencontre avec la dessinatrice. *

Dans cet album, vous passez en revue, avec humour, différents petits boulots que vous avez l’un et l’autre exercés… Comment, précisément, avez-vous été amen és à occuper ces différ *ents postes ? *

Élise Griffon : Avec Sebastien, on s’est rencontrés à la fac de Saint-Denis (93), en section cinéma. Très vite, on a été à court d’argent. Pour financer nos études, on a donc dû faire des petits boulots. C’était il y a 10 ans, mais on s’en souvient. Cela nous fait encore rire et c’est instructif. Moi, j’ai commencé à 16 ans. Attention, ce n’était pas du tout des jobs difficiles, genre de ceux de la mine. Au début, on le fait pour avoir un peu d’argent pour partir en vacances, après, c’est pendant les études, et après encore, c’est quand on est lâché dans le monde du travail. Il faut parfois être hôtesse d’accueil parce qu’on n’a pas le poste sur lequel on comptait dans nos ambitions audiovisuelles. À chaque fois, ces boulots ont été des bouche-trous, des moyens de payer le loyer.

*Vous l’avez dit, vous avez fait des études de cinéma… Ce n’est pas pour un film qu’on se rencontre, mais pour une bande dessinée. Pas trop déçue ? *

Ces études, on les a suivies par passion pour le cinéma, mais aussi pour raconter des histoires. L’objectif est de les faire exister d’une manière ou d’une autre. Une BD, ce n’est pas un film, mais ce n’est pas grave, pour moi c’est pareil, on raconte ce qu’on a à raconter. On est super contents !

**Et il y a la matière ! On voit, par exemple, l’expérience de Sébastien en tant que vendeur chez une célèbre enseigne de prêt-à-porter de la rue de Rivoli… Et ce n’est pas tant son job de vendeur en lui-même qui est étonnant, mais les réunions, non rémunérées bien entendu, auxquelles il doit assister tard le soir, après la fermeture du magasin. Des réunions au cours desquelles, pour les faire mieux se connaitre, pour les souder, on fait jouer les vendeurs… au ballon. A-t-il vraiment vécu ces séances ?

Oui, cela s’appelle du « team building », pour faire comme si tous les vendeurs étaient des copains. Dans l’album, on montre notamment cet épisode auquel vous faites allusion : chaque vendeur doit envoyer le ballon à une autre personne en criant son prénom, tout en faisant rimer le prénom en question avec un article vendu en magasin. C’est terrible ! Certaines entreprises envahissent la vie privée des gens, et ceux-ci n’ont pas le choix. S’ils disent non, ils sont mis à l’écart. Sébastien l’a vécu. Moi j’ai eu de la chance, j’y ai échappé.

*Vous avez connu, vous-même, d’autres péripéties… comme le port de la tenue d’hôtesse au Salon de l’automobile. Pouvez-vous nous la décrire ? *

C’était une espèce de combinaison rose, un peu couleur chair, assez près du corps. Déjà, pas terrible pour être à l’aise. En plus, le pire, je portais par dessus une espèce de cape rose très resserrée à l’entrejambe. Un peu ambiance Star Trek avec des épaulettes pointues. Ça aurait pu être une tenue vendue dans les sex-shops ; c’était affreux. Je ne pense pas qu’ils ont fait exprès. Mais c’était très mal venu. C’était la honte.

*Dans ces salons, il y a la tenue à supporter, mais aussi le comportement des clients… *

C’est terrible. L’accueil, le sourire, c’est vraiment pénible. Il y a le Salon de l’automobile pour le grand public, mais il y a des salons plus techniques, et là, on voit de ces brochettes de cadres ! C’est un peu comme le « team building » : il faut qu’on se défoule tous ensemble. On sent que ça dérape alors même que c’est un espace de boulot. Et ça dérape aussi avec les hôtesses. Elles sont d’ailleurs aussi là pour que ça dérape un peu, puisque le but est de créer une bonne ambiance, de faire la fête entre collègues, avec du délicieux vin rouge après une journée dans des allées poussiéreuses d’un salon éclairé au néon. Oui, c’est horrible. Mais moi je ne m’en suis pas mal tirée : j’ai piqué des bouteilles.

*Forcément, dans la BD, vous accentuez le côté « job de m… », mais est-ce qu’il vous est arrivé de prendre du plaisir dans ces petits boulots ? *

Il y en a eu un qui était génial, mais je ne l’ai pas mis dans la BD. Je faisais l’accueil pour des séminaires d’entreprises dans de grands hôtels parisiens. Mon boulot consistait à être là tôt le matin, à accueillir les gens en leur donnant leur badge, et ensuite j’avais toute la journée à moi – sauf le midi –, toute seule dans un petit bureau avec des petits fours à côté, tranquille. J’amenais mon boulot personnel, c’était extra. J’avais le droit de faire ce que je voulais et j’étais dans un environnement super joli. Quel que soit le boulot, il y a quand même souvent un aspect positif. C’est intéressant de rencontrer les gens. Il y a beaucoup de solidarité, notamment entre les hôtesses d’accueil. Les filles sont adorables les unes avec les autres. Ça laisse malgré tout de bons souvenirs.

*Y a-t-il eu aussi des séminaires au cours desquels vous vous êtes prise au jeu ? *

Oui, bien sûr. Parfois je n’y comprenais rien, mais il y avait des séminaires médicaux… Ceux-là étaient toujours intéressants. Le fameux séminaire des laboratoires pharmaceutiques dont je parle dans l’album, c’était épouvantable. Je ne saisissais pas vraiment quelles étaient les pathologies que les intervenants disaient être associées à tel ou tel médicament, mais je comprenais bien que, quoi qu’ils disent, le médicament allait être mis en vente.

Les différentes « saynètes », qui correspondent à plusieurs petits boulots, sont drôles et instructives également. Pour chaque poste occupé, on retrouve le salaire perçu…

C’est venu en cours de route. À chaque fois, quand même, on faisait ça pour avoir un salaire. C’est le chèque qui nous intéressait. Au fond, ce qu’il nous reste aussi : c’est l’addition.

Les salaires ne sont pas mirobolants ?

Parfois, on n’était même pas payés ! Quand j’ai tenté de faire des caricatures sur le parvis de Beaubourg, je n’ai pas reçu d’argent et je n’ai pas réussi à en faire. J’ai découvert, en effet, qu’il y avait déjà une sorte d’organisation sur place et que ce n’était pas du tout comme sur les cartes postales parisiennes : on ne se pointe pas gavroche avec son papier pour faire des dessins. Les soirées « team building » : pas payées. Les petits boulots dont on parle dans l’album sont de toute façon très mal rémunérés. C’est le SMIC horaire en général. Il y a juste le pourboire en plus quand on est serveuse.

Vous racontez votre expérience de serveuse dans l’album, et vous décrivez des personnages masculins, en particulier le pilier de bar, l’auteur, le réalisateur, le chroniqueur télé…

Il y en avait plusieurs en effet, je les ai fusionnés. La situation est terrible : vous êtes enfermé derrière le bar, vous ne pouvez pas vous enfuir et vous ne pouvez pas non plus faire fuir le client car… c’est un client. Il veut que vous lui serviez à boire et, par conséquent, au fur et à mesure, il est de plus en plus désinhibé. Le client parle de plus en plus et on est obligé d’écouter tout son discours et son espèce de sollicitation constante. Il y a beaucoup d’écrivains, de réalisateurs et de chroniqueurs télé – soit disant – dans les bars. C’est un vrai vivier !

*Sébastien n’est pas avec vous aujourd’hui. À votre avis quelle a été sa pire expérience ? *

Celle où il était déguisé en bouteille Perrier pour distribuer des prospectus et où il s’est fait attaquer sur la place Stalingrad [dans le 19e arrondissement de Paris]. On voit l’absence de solidarité totale de sa collègue qui ne le relève même pas après que ses « assaillants » l’ont fait tomber. C’est horrible. Nous, ça nous a fait beaucoup rire, même si le rire a été proportionnel au traumatisme…

On rit de ces expériences aussi parce que, dans l’album, on les sait temporaires. Pourtant, parmi vos collègues, il y en avait certains pour qui ça ne l’était pas ?

Quand on trouve un petit boulot, l’idée qu’on pourrait y rester un peu nous passe bien sûr par la tête. On croise aussi des gens qui travaillent dans l’entreprise depuis quelque temps et qui n’ont pas le choix. Ce n’est pas comme nous qui naviguons dans un but précis. On se met aussi à leur place. C’est assez terrible. Mais, c’est un salaire et l’être humain s’adapte en général…

*Avez-vous t* ravaillé à la chaîne par exemple ?

Oui ! Dans une usine qui fabriquait de la moutarde. C’était mon premier job, au bout de ma rue, pour me payer des vacances. Je suis restée deux mois dans cette boîte où il n’y avait que des femmes. L’ambiance n’était pas bonne entre les ouvrières et le patron, parce qu’il avait mis un micro dans la salle pour surveiller si la chaîne fonctionnait. Mais entre les ouvrières, ça se passait super bien. C’était un travail très dur. La chaîne, c’est toujours le même rythme, toute la journée, et ça va très très vite, on est rapidement débordé. Et puis, il y a un bruit épouvantable ! Un jour, une dame de l’atelier m’avait dit : « Ma petite, tu as intérêt à faire des études parce que nous on est coincées ici… et c’est dur ».

On vous voit d’ailleurs souffrir dans la BD…

Il fallait que je mette le bouchon en liège sur le pot de moutarde une fois qu’il avait été rempli. Je devais me dépêcher de nettoyer le pourtour du pot avec un chiffon pour vite mettre le couvercle. Vous n’aviez pas droit à l’erreur parce que juste après la presse écrasait sur le pot. C’était très dangereux !

*Comment avez-vous réussi à vous organiser entre vos études et ces petits boulots ? *

À l’époque, j’ai demandé de l’aide à mes parents. Je n’ai pas non plus été « obligée » de faire ces petits boulots. En revanche, ceux qui autour de moi étaient dans la « nécessité » de bosser ont eu beaucoup de mal à suivre les cours. C’est très dur pour les étudiants qui n’ont aucune aide financière. J’ai vu beaucoup de jeunes coincés dans des jobs au McDo par exemple ; ils étaient totalement épuisés au bout de deux mois.

*Justement, quels étaient les profils des personnes avec qui vous avez travaillé ? *

Hôtesse, en général, c’était nécessaire mais pas pour la vie. Dans le parc d’attractions en revanche, j’étais en intérim et il y avait beaucoup de CDI [contrats à durée indéterminée]. C’est un monde très étrange ce monde du parc… Je pense que c’est ce que j’ai fait de plus poussé et de plus révélateur de ce qu’est la société de consommation : il y a un « on stage » et un « back stage ». Une façade et des coulisses. On vent du rêve, des sourires….Et au fond, pour quoi faire ? Du divertissement. Faire du bien au monde bien sûr !

À quoi ressemble ce « back stage », que l’on voit bien dans la BD d’ailleurs ?

Du béton et des préfabriqués. À l’époque, il était très difficile de trouver ne serait-ce qu’un siège pour s’asseoir. Et puis il y a constamment des voitures qui roulent pour transporter des bouts de décors. Il y a aussi ceux, déguisés pour la parade, qui agonisent sur le sol en reprenant leur respiration… Des fois aussi on fume des joints.

Bon, ça y est : fini les petits boulots ?

On ne sait jamais !

*Hôtesse de caisse, livreur de pizza, téléphone rose (si si)… Découvrez les expériences d’Élise et Sébastien dans « Salaire net et monde de brutes’ (éditions Delcourt) et racontez-nous vos expériences ! Quel est le pire petit boulot que vous avez exercé ? Quels bons souvenirs en avez-vous gardés ? *