Quand papa bat maman : « L’Arbre et le Fruit », un roman sur les violences faites aux femmes

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Publié le 08/03/2016 par TRD_import_NatachaLefauconnier ,
Le 8 mars, on célèbre la Journée internationale des femmes. L'un des objectifs définis par l'ONU est d'"éliminer de la vie publique et de la vie privée toutes les formes de violence faites aux femmes et aux filles". Un sujet encore tabou, traité avec beaucoup de pudeur et de délicatesse par Jean-François Chabas dans son nouveau roman, "L'Arbre et le Fruit".

L’histoire commence en 1980 à Portland, aux États-Unis. Jewel Fairhope n’a que 7 ans, mais cela fait déjà deux ans que son papa lui jette des insultes à la figure – coups de poignard dans son petit cœur – et la bat – coups de pied à la faire décoller du sol. Mais Jewel est une enfant courageuse. Elle serre les dents, elle se fait toute petite. Avec le temps, elle a appris à détecter les humeurs de son père, les signes annonciateurs de violence. Heureusement qu’il ne touche pas à sa petite sœur adorée, Esther, 5 ans, son « petit gâteau au chocolat », comme elle l’appelle. En revanche, Grace Fairhope, leur maman, subit les mauvais traitements de son mari depuis plusieurs années. Complètement à bout, Grace part pour Mockingbird, un hôpital psychiatrique.

Les chapitres alternent les voix de Jewel et de sa maman. Petite, menue et sportive, Grace enseignait l’océanographie à l’université. Quand elle a épousé William, il semblait bien sous tous rapports : pensez-vous, un notaire ! Comment deviner qu’une fois la couche de respectabilité grattée il ne resterait qu’une une âme noire et perverse ? À l’hôpital, elle se gave de médicaments pour oublier ce secret honteux qu’elle n’ose dévoiler : elle est une femme battue par son mari. Son cerveau noie dans une brume opaque sa culpabilité d’abandonner ses chères petites filles.

Des sauts successifs dans le temps permettent de voir grandir Jewel dans cette famille décomposée. Sera-t-elle, comme sa mère, condamnée à être une femme victime de maltraitance ? Quelle échappatoire a-t-elle face à un monstre qui contrôle toute sa vie ?

Si les témoignages de ce roman sont poignants, il ne tombe jamais dans le voyeurisme. Une brise de légèreté vient même parfois caresser les pages : un moment tendre, une infirmière bienveillante, des mots rigolos de la petite Esther. Si l’ombre menaçante du père plane en permanence, rares sont les scènes où il est physiquement présent. Plus que la haine envers ce père ou ce mari, ce sont surtout la peur et la honte qui dominent chez Jewel, Esther et leur maman. Grace maudit sa faiblesse de rester avec cet homme : *tout l’objet de ce roman est d’expliquer son état psychologique, ses raisons de s’enfoncer dans cette situation insupportable. *Sans jugement, avec un souffle d’espoir porté jusque dans le nom de famille, Fairhope.

L’écriture, concise, libère souvent des bribes de poésie (« son rire s’envole avec le cri des mouettes ») et contribue à adoucir la rudesse du propos. Un résultat d’autant plus admirable quand on sait que Jean-François Chabas, l’auteur, s’est inspiré de sa propre enfance pour écrire cette histoire. « S’il fallait trouver une raison au métier d’écrivain, sans doute ce livre serait-il pour moi une réponse », confie-t-il, alors qu’il compte déjà plus de soixante livres à son actif.

Un roman court et intense pour vous sensibiliser – que vous soyez fille ou garçon – au fléau de la maltraitance conjugale et familiale. Un sujet dont vous aurez à cœur de débattre : le meilleur moyen de libérer la parole des victimes et de faire avancer les droits des femmes.

L’Arbre et le Fruit, Jean-François Chabas, éd. Gallimard Jeunesse, 17 mars 2016, 128 p., 7,90 €.

Photo couverture : © Gallimard Jeunesse, 2016.