Le sup vise la rentabilité en créant ses propres fonds d'investissement

Jean Chabod-Serieis Publié le
Le sup vise la rentabilité en créant ses propres fonds d'investissement
La fondation de l'université de Lille a été créée en 2015, avec 15 millions d’euros de capital issus de la revente d’actions d’une entreprise bio-pharmaceutique. // ©  Morgane Taquet
Universités et grandes écoles investissent depuis trente ans dans des start-up, surtout par le biais de fondations. Désormais, certaines n’hésitent pas à lancer leur propre fonds d’investissement, avec un objectif affiché de rentabilité. Tour d'horizon, en amont de la conférence EducPros du 25 mai 2018.

"En 2007, nous avons investi en dans Synthesio, une entreprise spécialisée dans la e-réputation, et nous en sommes sortis en 2012, après avoir récupéré 27 fois notre mise." Celui qui raconte cette histoire n’est pas un financier de la City, mais Julien Morel, le directeur d’Essec Ventures, un fonds d’investissement dont les deux actionnaires sont la grande école de commerce et la CCI Paris Région Île-de-France.

Si l’exemple de Synthesio est exceptionnel, il illustre bien l’état d’esprit qui anime les (rares) établissements de l’enseignement supérieur se lançant dans l’aventure du capital investissement : faire des bénéfices en achetant puis revendant des parts d’entreprises, souvent des start-up à fort potentiel.

Si le soutien financier à des start-up est une pratique courante dans l’enseignement supérieur, la méthode du fonds d’investissement reste une rareté. "La méthode américaine" aurait dit le réalisateur Jacques Tati...

PSL lance son fonds

Dans un fonds d’investissement ou un fonds communs de placement, plusieurs personnes physiques ou morales créent un fonds qui sera chargé d’investir – via des prises de participation, des actions, des obligations, etc. – dans des sociétés cotées ou non.

En cela, les fonds diffèrent profondément des fondations qui, elles, ne visent pas le retour sur investissement : si la fondation fait un bénéfice, elle le réinvestit directement.

C’est de cette distinction que naîtra le fonds commun de placement de l’Université PSL (Paris Sciences et Lettres) en juin 2018.

"L’activité de valorisation était portée jusque-là par la fondation, rappelle Édouard Husson, vice-président de la Comue. Le fonds que nous allons lancer découle de l’initiative d’anciens de l’École des mines, de l’ENS et de l’ESPCI notamment, avec l’objectif de passer à la vitesse supérieure et faire connaître PSL aux investisseurs ; ils apprécient l’idée de ne pas traiter avec chaque école ou entité, mais d’avoir une vision globale. Peu à peu, c’est le fonds qui portera l’activité de valorisation de PSL. Des grands comptes français et internationaux, ont déjà manifesté leur intérêt pour ce fonds dont le ticket d’entrée sera de 5 millions d’euros."

A l’Essec, 70.000 euros par investissement

Actif depuis 2007, le fonds de l’Essec est une structure indépendante de l’école – et des deux incubateurs qu’elle abrite –, qui alimente néanmoins 90 % des projets dans lesquels il investit. L’école ne perçoit pas les bénéfices du fonds, mais les valorise en les intégrant à son bilan annuel.

"Cela rassure les partenaires", justifie Julien Morel. Essec Ventures réinvestit systématiquement les bénéfices dans de nouvelles start-up. Un cercle vertueux, en quelque sorte.

"Nous oscillons entre 1,5 et 2 millions d’euros de trésorerie. Depuis la création, nous avons investi dans 38 entreprises, vendu une douzaine de participations, dont quatre avec des gains supérieurs à 700 %. Une douzaine d’autres sont considérées comme ‘perdues’ pour diverses raisons : revente à perte, clé sous la porte, revente à un euro symbolique. Je nous vois comme un business angel institutionnel."

Nous n’investissons pas 2 millions d’euros d’un coup, ce n’est pas notre rôle : nous voulons leur permettre de se développer pour prétendre, plus tard, à lever plus.
(J.Morel)

Les critères de sélection des heureux élus sont bien définis : des entrepreneurs issus de l’Essec ou de son cercle élargi, en phase d’amorçage et souhaitant lever des fonds.

"Nous prenons des participations comprises entre 5 et 10 % de la valeur des start-up, soit 70.000 euros en moyenne. Nous n’investissons pas 2 millions d’euros d’un coup, ce n’est pas notre rôle : nous voulons leur permettre de se développer pour pouvoir prétendre, plus tard, à lever plus."

A Lille, la fondation de l’université domine

La définition claire des objectifs est la phase la plus importante. Si l’université de Lille n’a pas franchi le pas du fonds, c’est qu’elle a clairement décidé que ce ne serait pas son rôle. Le soutien aux start-up passera par la fondation.

"Nous avons été une des premières universités à investir dans des start-up à la fin des années 1990, se souvient Xavier Vandendriessche, président de la fondation. Mais nous n’avons pas vocation à rester ou à revenir au capital de ces entreprises : le but n’est pas d’investir et de faire de l’argent, mais d’accompagner les chercheurs, et tant mieux si ça rapporte ! "

Le but n’est pas d’investir et de faire de l’argent, mais d’accompagner les chercheurs.
(X.
Vandendriessche)

La fondation a été créée en 2015, avec 15 millions d’euros de capital issus de la revente d’actions d’une entreprise bio-pharmaceutique dans laquelle l’université avait investi en 1999.

Les fonds placés génèrent environ 400.000 euros annuels de revenus, servant à financer de nouvelles entreprises, notamment dans le secteur de la santé.

En 2017, la fondation a lancé un appel à projets, puis investi à hauteur de 200.000 euros dans les deux projets retenus.

"Nous soutenons des spin-off, précise Xavier Vandendriessche. De jeunes entreprises arrivées au terme de ce qu’elles pouvaient faire, ayant besoin de passer un cap pour aller sur le terrain de l’exploitation de la découverte."

"Recruter un investisseur professionnel"

Lorsque les établissements souhaitent créer leur propre fonds, il s’agit d’éviter de confondre l’activité de ce fonds avec celle de l’école ou de la fondation.

"Il faut d’abord investir dans des équipes que l’on connaît bien et que l’on a accompagnées, en résistant à la tentation d’investir sur le marché en fonction de deux ou trois rendez-vous, conseille Julien Morel. Il faut ensuite le faire professionnellement. Nous avons créé une SAS [société par actions simplifiées], avec un conseil d’administration et un comité d’investissement, composé des membres de l’école, de la CCI et d’investisseurs professionnels. Et puis, il faut recruter un investisseur professionnel, avec un parcours d’entrepreneur, capable d’investir et de conseiller les start-up."

Enfin, même si le risque est indissociable de la notion d’investissement, il est possible de le limiter avec des mesures basiques.

Exemple : "Il est préférable de ne pas utiliser le fonds pour financer des projets internes à l’école, recommande encore Julien Morel. On risque de tomber dans l’investissement où l’actionnaire est également le client ; les profits doivent uniquement alimenter le fonds. Enfin, si le fonds investit dans des entreprises à impact social, il doit veiller à ce qu’elles aient également un but lucratif."

D’où la nécessité de clairement définir les objectifs du fonds avant même sa création.


Le 25 mai 2018, prochaine conférence EducPros

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