Les études doctorales seraient propices au harcèlement sexuel et moral

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Les études doctorales seraient propices au harcèlement sexuel et moral
Université - doctorants // © 
Un rapport du Sénat sur l'égalité professionnelle dans l'enseignement supérieur pointe les dérives sexistes à l'université. Passé plutôt inaperçu lors de sa sortie en juin 2013, le document met l'accent sur les études doctorales dont le principe même favorise le harcèlement, avec des réunions de travail en tête à tête, souvent hors de l'enceinte universitaire. Morceaux choisis alors que s'ouvre la semaine de l'égalité professionnelle.

"Le harcèlement sexuel et le harcèlement moral, ainsi que les violences sexuelles demeurent une réalité largement occultée et cependant plus présente qu'on ne veut bien le croire dans l'enseignement supérieur et la recherche. Il se rencontre aux différentes étapes du cursus universitaire, peut affecter les relations entre étudiants et professeurs ou les relations entre collègues, mais pour autant qu'on puisse en juger en l'absence d'études précises, il semble que la période des études doctorales y soit particulièrement propice".

Cette citation est extraite d'un rapport de la délégation aux droits des femmes et de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, rendu public en juin 2013. L'objectif de ce document – qui n'a pas fait grand bruit lors de sa parution – était de passer en revue les dispositions du projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche voté en juillet 2013 à travers le prisme de l'égalité professionnelle.

L'auteure du rapport, la sénatrice Françoise Laborde, émet de nombreuses recommandations pour garantir la parité dans l'enseignement supérieur et la recherche. A la fin du document, elle consacre quelques pages au harcèlement sexuel et moral dans les écoles doctorales.

Dans le cadre de la semaine de l'égalité professionnelle, qui se tient, du 14 au 20 octobre 2013 partout en France, en voici quelques passages.

Beaucoup d'universitaires ne disposent pas d'un bureau et sont conduits à recevoir leurs étudiant-e-s chez eux ou dans un café

"Le harcèlement sexuel prend des formes comparables à celles que l'on retrouve dans les autres domaines de la vie sociale, au sein des entreprises ou dans les administrations. Mais sa problématique prend, dans l'enseignement supérieur et la recherche, des caractéristiques spécifiques en raison du contexte dans lesquels surviennent ces situations.

Celles-ci tiennent à la relation particulière qui existe entre le doctorant et son directeur de thèse et qui suppose des réunions de travail régulières en tête à tête, échappant par nature à tout contrôle social.

Cette situation est encore accentuée par le fait que beaucoup d'universitaires ne disposent pas d'un bureau et sont conduits à recevoir leurs étudiant-e-s chez eux ou dans un café ou encore au restaurant."

"Une certaine forme de séduction intellectuelle"

"La pratique assez répandue d'évoquer l'avancement des travaux de recherche lors d'un déjeuner, ou d'un dîner, n'est en elle-même pas condamnable, mais elle peut malgré tout générer des ambivalences.

Au demeurant, une certaine forme de séduction intellectuelle est inhérente à la relation qui existe entre un doctorant et le directeur de thèse qu'il s'est choisi et qui exerce naturellement sur lui un certain ascendant. (...) Il n'est d'ailleurs pas rare que, en dehors de toute pression et de toute contrainte, celui-ci débouche sur des relations sentimentales et parfois sur des unions durables qui relèvent du champ de la vie privée.

Le contexte est donc par lui-même délicat mais ne saurait pour autant tout excuser.

La situation d'extrême dépendance dans laquelle le doctorant se retrouve par rapport à son directeur de thèse, dont les appréciations portées sur ses travaux et les recommandations ont une importance déterminante pour la suite de sa carrière est, par elle-même, un facteur de risques, et peut favoriser d'inacceptables dérives."

Le contexte est donc par lui-même délicat mais ne saurait pour autant tout excuser

En toute impunité

"La vulnérabilité des étudiant-e-s est encore aggravée par le fait que, n'étant considéré-e-s que comme des 'usagers du service public', ils ou elles ne bénéficient ni de la protection juridique apportée par le code du travail aux salariés, ni de la protection statutaire assurée aux agents publics. (...)

Outre la souffrance et les situations d'échec qu'elles peuvent provoquer chez les étudiant-e-s et les jeunes chercheurs-ses qui en sont les victimes, ces agissements sont de nature à causer un préjudice important à notre système d'enseignement supérieur et à compromettre son rayonnement et sa recherche d'excellence. Les personnes entendues par votre rapporteure ont en effet insisté sur l'ombre que ces comportements, et plus encore l'impunité dont ils jouissent, portent sur l'image à l'étranger de nos universités et de nos établissements. Les propos échangés sur les forums Erasmus comporteraient fréquemment des avertissements dissuasifs sur les risques de harcèlement auxquels s'exposent les étudiant-e-s qui envisagent de venir poursuivre leurs études en France."

Sur les forums Erasmus, des avertissements sur les risques de harcèlement des étudiant-e-s qui envisagent de venir en France

Le prestige universitaire comme système de défense

L'auteur du rapport préconise, vue l'ampleur du phénomène, de réaliser tout d'abord une enquête pour évaluer "la réalité des atteintes sexuelles et du harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur". Une politique de "prévention et d'information précisant les peines auxquelles s'exposent les agresseurs et indiquant aux victimes potentielles la procédure à suivre" est vivement recommandée.

Enfin, le "caractère asymétrique et inégal de la procédure disciplinaire" doit être réformé car "l'impunité dont jouissent le plus souvent les auteurs de ces agissements tient largement au prestige dont ils jouissent dans leur discipline et, dans la mesure où ils sont jugés par leurs pairs, à l'embarras qu'éprouvent leurs collègues à sanctionner un confrère qu'ils connaissent et qu'ils estiment pour la qualité de ses travaux".

Trois mesures sont proposées : veiller "à la composition paritaire de la section disciplinaire" ; élargir "ses possibilités de saisine à une autorité autre que le président de l'université ou de l'établissement, et notamment à la responsable de la mission égalité" ; procéder "à la distinction des instances d'instruction et des instances de jugement".

Pour en savoir plus
Lire le rapport d'information du Sénat

Sur les blogs EducPros
Le billet de Doctrix : Tribune du CLASCHES contre le harcèlement sexuel

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