"La France est-elle en retard en matière de numérique à l'école ?", la chronique d'Emmanuel Davidenkoff

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La France est-elle en retard en matière de numérique à l'école ? En confirmant le jour de la rentrée sa volonté de faire entrer l'Education nationale de plain-pied dans l'ère numérique, François Hollande a réactivé cette question à la fois légitime et hors sujet. La chronique d'Emmanuel Davidenkoff, directeur de la rédaction de l'Etudiant.

La France est-elle en retard en matière de numérique à l'école ? La question est à la fois légitime et hors sujet.

Légitime car la mutation numérique est mondiale, interroge tous les pays avec la même acuité, et impose des contraintes matérielles facilement mesurables - nature et taux d'équipement en terminaux, accès aux réseaux haut débit, etc. A ce jeu, la France n'est pas en avance ce qui, à la vitesse où va le numérique, peut rapidement dégénérer en franc retard. A quoi il faut ajouter le nerf du bon fonctionnement d'un établissement numérisé : la maintenance, maillon généralement faible de la chaîne. Traduire en tablettes et en réseaux haut débit une politique publique dédiée à la diffusion du numérique est donc parfaitement légitime et il faut, de ce point de vue, saluer l'importance des investissements annoncés.

Pour autant, essayer de mesurer l'avance – ou le retard – d'un pays à cette seule aune n'a guère de sens. Cela revient en effet à supposer l'existence d'une sorte de référentiel universel, une échelle commune qui permettrait de comparer les performances scolaires des uns et des autres, compte non tenu de la singularité du projet éducatif de chacun, qui est toujours intimement lié à son histoire, à son économie , à ses priorités sociales, à sa culture, d'un mot à la question du politique.

Pour affirmer que la France est en avance ou en retard en matière de numérique, il faudrait préalablement circonscrire les savoirs et savoir-faire dont on pense qu'ils seront déterminants pour que nos enfants soient acteurs et non victimes voire esclaves de la mutation numérique. Décider si la maîtrise des bases du code et de la logique algorithmique constitue ou non une nouvelle "grammaire" qu'il serait nécessaire d'enseigner dès le plus jeune âge. Choisir s'il est utile, en histoire, de mettre l'accent sur les grandes périodes de transformation, afin de doter les élèves des moyens de penser un monde en changement – quels impacts eurent l'invention de l'écriture ou de l'imprimerie, du moulin hydraulique ou de l'électricité ; quels furent les principaux ressorts de la Renaissance ou de la Révolution... En sciences, doit-on continuer à faire précéder l'énoncé de la règle ou privilégier le questionnement, l'invitation à penser autrement, à chercher des solutions inédites ? La technologie ne doit-elle pas trouver une place centrale, en tant que telle mais surtout dans ses articulations avec les autres disciplines ? Ne convient-il pas, en Français, de remplacer les exercices "à trous" par des dictées effectuées sur des supports qui utilisent l'écriture prédictive afin d'initier les élèves aux pièges qu'elle recèle ? Un enseignement découpé en matières généralement étanches est-il adapté à un monde dans lequel la capacité à faire dialoguer les disciplines est un ressort majeur d'innovation et de croissance ?

La réponse à ces questions n'est pas d'ordre numérique. Elle appelle des décisions en termes de programmes, de formation initiale et continue des enseignants ; de projet politique.

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