À l’université de Strasbourg, un bad buzz autour d'une "procédure presse" qui en dit long

Aurore Abdoul-Maninroudine - Mis à jour le
À l’université de Strasbourg, un bad buzz autour d'une "procédure presse" qui en dit long
Le 5 octobre 2017, le personnel de l'université de Strasbourg recevait une nouvelle procédure pour les relations avec la presse ; le 10, la présidence faisait machine arrière. // ©  Sylvie Lecherbonnier
Finalement "suspendue sine die", la procédure demandant à l'ensemble du personnel de l'université de Strasbourg d'informer le service de communication de "toute démarche en direction de la presse" témoigne de la difficulté de concilier liberté académique et communication efficace.

À peine diffusée, déjà retirée. La durée de vie de la nouvelle procédure pour les relations avec la presse envoyée le 5 octobre 2017 par le président de l'université de Strasbourg, Michel Deneken, à l'ensemble du personnel, aura été courte.

Estimant que "l'impact médiatique d'un événement, d'une action, d'une prise de position par un membre de la communauté universitaire dans la presse peut avoir des conséquences importantes sur l'image générale de l'université, positivement ou négativement", Michel Deneken demandait à ce que "le cabinet de la présidence et le service communication soient a minima informés de toute démarche en direction de la presse" au moins "dix jours" avant la date prévue d'un événement, "le jour même ou le lendemain" lorsqu'il s'agissait d'interviews. L'envoi final des informations sur un événement devait en outre se faire "après accord" du service de la communication. L'expression syndicale n'était pas concernée.

Face à la virulence des réactions, l'université a finalement dû faire marche arrière. Le Snesup dénonçait une tentative "choquante" d'instituer le service de communication en "organe de centralisation, de contrôle et de possible censure de l'expression des personnels". Tentative qui va à l'encontre du principe de "pleine indépendance et [d']entière liberté d'expression" des enseignants-chercheurs, inscrit dans le Code de l'éducation. "Sans chercher à nuire à l'image de l'université, l'impact de sa parole sur l'institution doit être le cadet des soucis d'un enseignant-chercheur", développe Michaël Gutnic, élu Snesup de l'université.

L'impact de sa parole sur l'image de l'université doit être le cadet des soucis d'un enseignant-chercheur.
(M. Gutnic)

Dans un mail envoyé au personnel mardi 10 octobre 2017, Michel Deneken a donc indiqué suspendre "sine die" la procédure, regrettant qu'elle ait pu être interprétée comme "la mise en cause des libertés académiques". "L'unique but, poursuivait-il, était que le service communication soit tout simplement informé et à même de faire le travail qu'une grande université est en droit d'attendre de lui."

Un contexte où les tentatives d'intimidation sont réelles

Alors, beaucoup de bruit pour rien ? Les universitaires sont à cran, plusieurs tentatives pour les "bâillonner" ayant été médiatisées ces dernières années. BuzzFeed a ainsi révélé en janvier 2017 l'annulation par l'administration de Sciences po d'une conférence sur la Russie. En 2014, c'est un enseignant-chercheur en droit de l'environnement, Laurent Neyret, qui s'était fait attaquer pour diffamation après la publication d'un article où il analysait une décision de justice condamnant une entreprise de chimie. Autrement dit, s'il ne s'agit pas de pratiques généralisées, des tentatives d'intimidation, internes ou externes, existent bel et bien.

C'est dans ce contexte, estime Olivier Ertzscheid, enseignant-chercheur en sciences de l'information et de la communication à l'université de Nantes et auteur du blog Affordance, qu'il faut comprendre la réponse de la communauté universitaire strasbourgeoise. Pour lui, la réaction s'explique aussi par "le phénomène de saturation" touchant les enseignants-chercheurs, sans cesse sollicités pour des tâches administratives. "Porter nos travaux dans l'espace public relève directement de nos missions, pourquoi devoir rajouter une strate administrative ? C'est plutôt au service de communication d'être à l'écoute et de mettre en place des outils de veille pour savoir ce qui se passe dans l'université", estime-t-il.

"Explosion" des moyens des services de communication

C'est tout l'enjeu. La directrice de la communication de l'université, Armelle Tanvez, met précisément en avant la difficulté pour son service d'être informé des actions des enseignants-chercheurs. "Être averti par des journalistes qu'un département organise une conférence de presse, ça nous est déjà arrivé, alors que notre rôle est précisément de jouer l'interface !" assure-t-elle, tout en disant regretter la polémique actuelle.

Être averti par des journalistes qu'un département organise une conférence de presse, cela nous est déjà arrivé.
(A. Tanvez)

"Loin de toute idée de censure", il s'agissait selon elle de permettre au service de communication de "mieux anticiper les événements" et de "cibler ses efforts". Quant aux modifications apportées, elles auraient été optionnelles : "Nous faisons relire les documents destinés à la presse aux enseignants-chercheurs et ils ont le dernier mot."

Mais au Snesup, ce discours de professionnalisation ne passe pas sur le fond. "Quelle est la motivation profonde de l'université ?" s'interroge ainsi Michaël Gutnic, qui regrette "l'explosion" des moyens accordés aux services de communication depuis la loi sur l'autonomie des universités en 2007. "Il faut sortir de cette obsession de valoriser la marque" de l'établissement, exhorte-t-il. Deux visions de l'université qui s'opposent.

Aurore Abdoul-Maninroudine | - Mis à jour le