Benoît Hamon, ministre : premières impressions

Camille Stromboni Publié le
Benoît Hamon, ministre : premières impressions
Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche - 21, rue Descartes // ©  Camille Stromboni
Benoît Hamon a pris la tête d’un ministère unissant Éducation nationale, Enseignement supérieur et Recherche, mercredi 2 avril 2014. Comment la communauté universitaire perçoit-elle ce nouvel arrivant ? Premières impressions, dans l’attente d’un éventuel secrétariat d’État à l’ESR, qui pourrait revenir à Geneviève Fioraso.

Soulagé. Le monde universitaire s’est avant tout réjoui de voir l’enseignement supérieur et la recherche demeurer dans un même ministère, en entendant la nomination de Benoît Hamon à la tête de l’Éducation nationale, l’Enseignement supérieur et la Recherche, le 2 avril 2014. "Nous étions très inquiets à ce sujet, confie Jean-Loup Salzmann, président de la CPU [Conférence des présidents d'université]. Et sommes très contents qu’il n’y ait pas eu cette coupure."

Le nouveau périmètre, qui inclut l’Éducation nationale, provoque quant à lui deux types de réactions. D’une part, l'espoir que des dossiers communs avancent mieux, d’autre part, la peur d’être écrasé par le "mammouth". D’où la nécessité d’un secrétariat d’État spécifique, qui se profile d’ailleurs à l’horizon.

"Nous n’avons aucun a priori envers notre nouveau ministre, explique Christian Lerminiaux, à la tête de la CDEFI [Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs]. Il semble que son rôle sera plus fortement tourné vers l’Éducation nationale, et que l’ESR aura un secrétaire d’État ou un ministre délégué."

Dans l’attente d’un secrétariat pour l'enseignement supérieur

"Au niveau administratif, ce ministère unique ne sera pas non plus un choc, note Jean-Loup Salzmann. Nous avons déjà un secrétariat général commun avec l’Éducation nationale, de même que nous partageons la direction des ressources humaines et celle des affaires financières. Mais nous avons besoin d’un responsable qui s’occupe à plein temps de l’université, pour que nos problématiques ne soient pas noyées sous les rythmes scolaires, la réforme du statut enseignant ou la question de la carte scolaire, qui sont de gros dossiers."

Geneviève Fioraso est largement pressentie pour ce poste, après la conclusion de Benoît Hamon lors de la passation de pouvoir le 2 avril. Ce dernier a en effet glissé un "à bientôt" appuyé à l’égard de l’intéressée.

"Elle connaît les dossiers et elle a prouvé son poids politique en faisant passer la loi ESR à l’Assemblée et au Sénat, ce serait une chance qu’elle reste", soutient Jean-Loup Salzmann. "Elle a réussi à établir un climat de collaboration intéressant, estime également Christian Lerminiaux. Même s’il reste encore beaucoup de travail pour mettre en œuvre la loi ESR, notamment les regroupements par site."

"Finalement, on garde les mêmes et on recommence, lâche de son côté Marc Neveu, cosecrétaire général du Snesup [Syndicat national de l’enseignement supérieur]. Nous ne nous faisions de toute façon que peu d’illusions sur les évolutions à venir. Mais peut-être y aura-t-il des infléchissements, nous attendons de voir ce que Benoît Hamon va proposer."

Nous avons besoin d’un responsable qui s’occupe à plein temps de l’université, pour que nos problématiques ne soient pas noyées (J.-L. Salzmann)

Les premiers mots de Benoît HAMON sur l’ESR

Sur le fond, difficile pour l’instant de connaître les positions du ministre sur l’enseignement supérieur : il ne s’est que très peu exprimé sur ce sujet. Ses premiers mots, lors de la passation de pouvoir, sont assez succints. "Les premiers objectifs qu’il a pu énoncer, en faveur de la promotion sociale, nous paraissent tout à fait nobles. Nous espérons à ce sujet lui faire comprendre que celle-ci s’opère tout autant dans les écoles d’ingénieurs qu’à l’université", glisse le responsable de la CDEFI.

Benoît Hamon a notamment déclaré qu'il lutterait contre une "forme d'assignation à résidence sociale". Un sujet qui lui tient à cœur, d’après ce qu’a pu observer Pascal Binczak, ancien président de l’université Paris 8, où Benoît Hamon a enseigné et siégé au conseil d’administration.

"J’ai le souvenir d’un enseignant très impliqué et soucieux de ses étudiants et de leur devenir professionnel. Il s’investissait notamment fortement pour les aider à trouver des stages. Il était très sensible à la situation souvent défavorisée des jeunes de Seine-Saint-Denis, qui avaient en revanche une très forte volonté de s’en sortir. Il n’est pas anodin qu’il soit venu dans une université en banlieue", indique le professeur de droit public, président de la communauté Paris Lumières.

Côté recherche, "ses premiers mots ont été pour souligner que celle-ci ne devait pas être 'fondée sur le court-termisme', décrit Christian Lerminiaux. Nous avons ici une très légère inquiétude : nous espérons qu’il ne s’agit pas d’opposer recherche fondamentale et recherche appliquée, cette dernière pouvant être tout autant à long terme que la première. Les diminutions des budgets de l’ANR [Agence nationale de la recherche] sont déjà peu rassurantes".

Un ministre trop à gauche ?

Quant aux syndicats étudiants, si l’UNEF s’est fendue d’un communiqué listant les chantiers sur lesquels le nouveau ministre est attendu, l’UNI a pour sa part descendu en flèche le profil du nouveau locataire de la rue de Grenelle : avec en ligne de mire son passé syndical et son positionnement sur l’aile gauche du parti socialiste.

"Avec Benoît Hamon, c’est un idéologue militant, spécialiste de la démocratie façon 'AG étudiantes', qui remplace un idéologue philosophe à la tête du ministère de l’Éducation nationale, dénonce le syndicat dans un communiqué. […] Nous attendons de lui qu’il clarifie rapidement ses relations avec les syndicats étudiants et lycéens de gauche et qu’il donne des garanties d’impartialité dans le fonctionnement de son ministère."

Le syndicat estime en outre que le quadragénaire "reste un véritable novice en matière d’éducation". "La seule jeunesse qu’il connaît c’est celle qui milite dans les rangs de la gauche et de l’extrême gauche étudiante", tranche-t-il.

Une vision que ne partagent pas les présidents d’université. "C’est quelqu’un qui s’intéresse à la jeunesse et aux étudiants. Il connaît l’université", estime Jean-Loup Salzmann, qui a eu l'occasion de lui faire visiter son établissement.

"Je pense qu’il lui faudra découvrir un peu l’enseignement supérieur et la recherche, reconnaît tout de même Christian Lerminiaux. Mais cela n’a rien de problématique pour un ministre qui entre en fonction. C’était le cas de bien d’autres avant lui."

L'espoir d'un poids politique plus fort

"Plus que sa connaissance du secteur, c’est son envie de faire et sa capacité à mouiller la chemise qui compte, avance le président de la Cdefi. Et surtout, nous avons besoin d’un ministre qui aura l’écoute de l’Élysée, de Matignon et de Bercy."

"Je compte sur lui et sur son poids politique pour que la priorité du président de la République sur l’enseignement supérieur et la recherche se concrétise dans les décisions budgétaires", renchérit Jean-Loup Salzmann.

Une espérance partagée par d'autres dans la communauté, alors que Geneviève Fioraso a pu se voir reprocher de ne pas obtenir suffisamment gain de cause lors des arbitrages interministériels.

Camille Stromboni | Publié le