Écoles de commerce : la course aux clics sur les réseaux sociaux

Jean Chabod-Serieis Publié le
Écoles de commerce : la course aux clics sur les réseaux sociaux
Les écoles de management sont passées maîtresses dans l'art de mettre en avant leurs contenus sur les réseaux sociaux. // ©  JASON HENRY/The New York Times-REDUX-REA
Des écoles de commerce citées entre 30.000 et 78.000 fois sur les réseaux sociaux en 2018, cela ferait baver n’importe quel responsable de communication. Quels sont les secrets des écoles qui cartonnent, et quels moyens humains, financiers et matériels mettent-elles derrière pour atteindre une telle audience ? Lever du voile dans les trois écoles les plus citées sur les réseaux sociaux.

C’est un rapport qu’attendent chaque année les responsables communication des business schools : l’étude sur "l’influence médiatique des grandes écoles de commerce", publiée par Meltwater, une entreprise qui édite et commercialise des logiciels de surveillance des médias et de veille stratégique.

Dans l’édition 2019, qui analyse les données de l’année 2018, Meltwater y livre notamment un classement des écoles par nombre de mentions sur Facebook, Twitter, Instagram et Youtube, ainsi que les forums. Le trio de tête : l’Insead (avec 77.856 mentions, soit à elle seule plus de 21% des parts), l’Essec (avec 44.834 mentions) et Audencia (avec 30.295). Comment ces écoles sont-elles organisées pour atteindre de tels résultats ?

Référents et ambassadeurs

Chez Audencia, la communication agrège une quinzaine de personnes, dont quatre sur le digital. Outre un webmaster et un webdesigner, un content manager s’occupe spécifiquement des réseaux sociaux. "Notre content manager anime une communauté d’experts qui postent des contenus", précise Arnaud Fournier, le responsable de la communication digitale, en insistant sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un community manager dont la fonction consiste à poster lui-même les contenus. Nous permettons à une vingtaine de collaborateurs de prendre la parole au nom de l’école. Nous les avons formés et leur avons adressé le plan de communication. Ils sont pour nous des ‘référents communication’. Parallèlement, nous avons des ‘ambassadeurs’ : une centaine d’experts, enseignants ou professionnels, avec un compte Twitter et autonomes dans leurs publications."

Étudiants à fort leadership

À l’Essec, la communication compte huit personnes, dont une responsable du digital et des réseaux sociaux. "Tous les membres de l’équipe jouent un rôle sur les réseaux sociaux, et la responsable du digital – diplômée de l’Essec par ailleurs – coordonne et se pose en soutien", précise Natalie Kettner, la nouvelle directrice de la communication et du marketing du groupe.

L’école a également ses ambassadeurs, dont le rôle est dévolu aux étudiants. "Nous identifions ceux qui ont un fort leadership, impliqués de longue date, ou jouant un rôle particulier dans la vie de l’école (projets, associations, etc.). Nous les formons et leur confions des posts au nom de l’école, depuis leur compte Twitter, pour couvrir des événements spécifiques, comme nos Digital weeks." Selon le cabinet Meltwater, Twitter est le réseau social préféré des écoles de commerce avec 80,7% des mentions en 2018 à lui tout seul.

Un fil conducteur : la stratégie de l’école

À l’Insead, la communication regroupe une vingtaine de personnes. À chaque question sur son usage des réseaux sociaux, Axel Tagliavini, le directeur de la communication, revient aux basiques : la stratégie de l’école. "Nous partons tout le temps de là pour en déduire des objectifs business que l’on traduit ensuite en stratégies sur les réseaux sociaux, elles-mêmes traduites en tactiques. Généralement, l’erreur est de se focaliser sur les tactiques réseaux sociaux sans regarder les missions de l’école et les objectifs business."

L'erreur est de se focaliser sur les tactiques réseaux sociaux sans regarder les missions de l’école et les objectifs business.
(A. Tagliavini)

Le directeur de la communication recourt à ce qu’il appelle le triangle magique : audience (quelle cible voulons-nous atteindre ?), contenu (quel contenu sera le plus adapté à cette cible ?), plate-forme (laquelle est la plus adaptée pour ce contenu ?). "Nous organisons des comités éditoriaux avec les départements (programmes diplômants, formation continue, relations Alumni) pour déterminer tout cela."

À chaque réseau, son contenu

Outre l’équipe, une bonne campagne sur les réseaux sociaux passe par la personnalisation des contenus, avec un basique : à chaque réseau un contenu différent. "Tout dépend de la cible que nous voulons toucher, détaille Arnaud Fournier. Sur Twitter, nous ciblons surtout les entreprises et les partenaires car c’est un média peu consulté par les étudiants, qui lui préfèrent Instagram."

Natalie Kettner a également une approche dissociée : "Sur Facebook, nous poussons nos diplômés récents, sur Linkedin, qui est un réseau plus pro, nous valorisons les témoignages, les parcours de diplômés, et sur Instagram, nous mettons en avant la vie étudiante."

Le sponsoring pour "pousser" des contenus

Une fois la stratégie et les moyens mis en place, il faut créer des indicateurs clés. Mais, avec le digital, ces indicateurs sont à prendre avec précaution. Car il existe plusieurs leviers pour gonfler les chiffres : l’achat de followers bien sûr, mais aussi – moins controversé – le sponsoring de contenus, qui consiste à payer le réseau social pour mettre en avant un ou plusieurs posts.

Le sponsoring, les trois écoles de commerce leaders du classement Meltwater le pratiquent mais avec parcimonie. "Nous le réservons aux contenus stratégiques pour la maison, ceux pour lesquels nous souhaitons donner un coup de pouce, contextualise Natalie Kettner. C’est ce que nous avons fait récemment avec notre campus digital augmenté, car nous voulions lui donner de l’audience." Le coût du sponsoring est variable.

À l’Insead, "cela va de 200 à plusieurs centaines de milliers d’euros, confie Axel Tagliavini. Si le département MBA a, par exemple, besoin d’un push, il peut bénéficier d’un sponsoring de 50.000 à 100.000€." Si le sponsoring est officiellement rare, c’est que les directions de la communication privilégient l’engagement (la reprise ou le commentaire d’un post par les internautes) "naturel" ou "organique".

À l'avenir, on s’oriente vers des contenus interactifs, ludiques, basés sur l’image et ultra-ciblés.
(A. Fournier)

Toujours aussi occasionnellement, les trois écoles recourent à des agences pour des besoins très spécifiques. "Nous sollicitons parfois une société de production pour de la création de contenus vidéo, explique Arnaud Fournier qui a lui-même passé dix ans en agence, mais nous gérons la quasi-totalité de nos besoins en interne." De son côté, l’Insead sollicite les agences pour de la publicité ciblée ou du renfort d’équipe.

Montée en puissance de la gamification

Et l’avenir ? Il se jouera certainement sur un ciblage encore plus précis des publics, dopé par l’utilisation massive de la vidéo et de la gamification (l’internaute décroche des récompenses à mesure qu’il avance dans le contenu). C’est du moins l’avis d’Arnaud Fournier qu’illustre une récente campagne de communication. "Pour la remise de diplômes des promos 2018, nous avions créé une story interactive avec de la gamification : une personne de l’équipe jouait le rôle d’un étudiant qui recevait un diplôme et il était possible, en votant, de l’habiller en toge, le faire agir, lui faire visiter les coulisses de la cérémonie, réagir, etc. On s’oriente vers ce genre de contenus interactifs, ludiques, basés sur l’image et ultra-ciblés."

Jean Chabod-Serieis | Publié le