Frank Bournois : "Il ne faut pas attendre dix ans avant de réfléchir au financement des écoles"

Eva Mignot Publié le
Frank Bournois : "Il ne faut pas attendre dix ans avant de réfléchir au financement des écoles"
Deux cent ans après sa création, l'ESCP Europe est présente sur cinq campus en Europe. // © 
Grade de licence, financement des établissements de management, changement de statut... Le directeur de l’ESCP Europe, Frank Bournois, fait le point pour EducPros sur l’avenir de son établissement et les dossiers brûlants des business schools.

En 2019, l’ESCP Europe fête son bicentenaire. L’occasion pour Frank Bournois de revenir sur les grands défis qui attendent l’école et le monde des business schools.

Frank Bournois // DR
Frank Bournois // DR © Photo fournie par le témoin

Quel bilan tirez-vous de ces deux cents ans d’histoire ?

Au cours de ces deux cents années, l’ESCP Europe a aidé à transformer l’industrie et le monde de l’entreprise à travers ses formations. Depuis 1819, nous avons formé environ 100.000 dirigeants. Sur les cinquante premières années, l’école privée a contribué à la révolution industrielle et est allée jusqu’à intéresser la CCI (Chambre de commerce et d’industrie) de Paris, qui a décidé d’acquérir l’école en 1869.

A suivi alors toute une période de croissance de notoriété et de participation à l’émergence de métiers, par exemple dans les services et dans la banque. Dans les cinquante dernières années, nous avons accéléré l’internationalisation, avec l’implantation de nos campus à Londres, à Berlin et à Madrid.

Dans les prochaines cinquante années, nous serons confrontés à de nouveaux défis. Nous accueillons aujourd’hui des élèves de 19-20 ans qui auront affaire à l’accélération de la transformation de l’entreprise, avec la révolution numérique. Ils évolueront également dans un monde où la mondialisation se poursuivra avec une nouvelle donne : l’Europe continuera d’aller à son rythme, mais de grandes puissances lui passeront devant.

Enfin, nous devrons préparer nos jeunes à des rapports humains et hiérarchiques différents de ce que nous avons connu. Les personnes ne restent plus dans la même entreprise, au même poste des années, mais parfois seulement 12 à 15 mois. Cela aura forcément des conséquences sur le fonctionnement de l’entreprise à l’avenir.

Justement, parlons de l’avenir de l’ESCP. Que prévoyez-vous de faire évoluer dans vos formations ?

Notre portefeuille de formations a déjà beaucoup évolué. Depuis 2015, nous proposons toute une palette de cursus : Bachelors, master grande école, masters spécialisés (MS), MBA, Formation continue ou recherche à travers le doctorat.

À l’ESCP Europe, nous allons désormais procéder à un rééquilibrage des ensembles. Sur environ 5.500 élèves, 2.500 se trouvent dans le programme master de la grande école, 1.100 en master spécialisé et 1.000 en Bachelor. Nous nous dirigeons vers une croissance des effectifs, pour atteindre 7.000 à 8.000 étudiants. Le Bachelor, lui, devrait bientôt accueillir 1.500 élèves.

Que répondez-vous à ceux qui estiment que le Bachelor est un diplôme au rabais uniquement développé pour augmenter les ressources des écoles ?

Il est vrai que le Bachelor est une source de revenus pour les écoles. Nous avons énormément d’investissements à réaliser pour rivaliser sur la scène internationale, où la compétition entre écoles est très forte, et le Bachelor est un de nos leviers de financement.

Le Bachelor n'est pas une formation au rabais. Les candidats sont triés sur le volet pour rejoindre cette formation.

Mais cela ne signifie pas qu'il soit une formation au rabais, notamment à l’ESCP Europe. Les candidats sont triés sur le volet pour rejoindre cette formation. Les étudiants français ne représentent pas plus de 25 % des effectifs. Les entreprises ont besoin de tels profils, différents de ceux formés par le programme grande école. De plus, les Bachelors sont des formations coûteuses : nous avons beaucoup investi dans la qualité de cette formation.

Mais vous, et l’ensemble des écoles de commerce, peinez encore à acquérir la reconnaissance de ce diplôme par l’État via le grade de licence...

Il faut que les meilleures écoles obtiennent le grade de licence car c’est un gage de qualité. La CGE travaille sur ce dossier, et je suis extrêmement confiant. Bien sûr, ce grade de licence ne pourra pas être délivré à toutes les formations, et nous devons être extrêmement attentifs sur les critères mis en place.

Selon moi, les écoles bénéficiant à la fois des accréditations internationales Equis, délivrée par l’EFMD, et AACSB devraient pouvoir bénéficier d’un "coupe-file" pour obtenir un tel grade sans avoir à être évalués à nouveau : la qualité de leurs formations a déjà été reconnue internationalement.

Cette obtention du grade de licence ne doit pas être présentée comme une guerre entre écoles et universités, mais une bataille internationale pour que l’enseignement supérieur français et européen puisse rivaliser avec ses concurrents étrangers.

Comment anticipez-vous l’arrêt des dotations de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris-Île-de-France ?

L’école ne recevra plus un centime d’euros de son actionnaire pour son budget de fonctionnement à partir de 2021. Elle sera financièrement et totalement indépendante. Ce qui me contente parfaitement : une école se doit d’avoir une gestion saine. Ne pas dépendre de la chambre pour notre budget de fonctionnement renvoie, par ailleurs, une bonne image : les élèves peuvent avoir le sentiment d’entrer dans une business school bien gérée.

Nous prévoyons un retour à l’équilibre en 2021, au moment où les dotations cesseront. Nous comptons, entre autres, sur la fondation ESCP Europe, qui a désormais dix ans d’âge. Aujourd’hui, elle apporte près de cinq millions d’euros au budget de fonctionnement. Elle a un rythme très soutenu, et je suis persuadé qu’elle pourra de plus en plus contribuer à la vie de l’école.

D'ici à fin 2019, une holding regroupant les écoles franciliennes de la Chambre sera mise en place : les actionnaires pourront acheter un paquet global d’actions ou des actions spécifiques aux écoles.

L’actionnaire devra désormais jouer un autre rôle. Dans les années à venir, nous estimons qu’il y a 180 millions d’euros d’investissements à réaliser : 140 à 150 millions d’ordre immobilier, pour pouvoir bénéficier de campus de qualité, et le reste en investissements numériques et en ressources humaines.

Il y a deux grandes manières de trouver ces sommes : la Chambre pourrait très bien emprunter ou, comme le permet le statut d’EESC (Établissement d’enseignement supérieur consulaire), ouvrir le capital de l’école à des actionnaires externes. D'ici à fin 2019, une holding regroupant les écoles franciliennes de la Chambre sera mise en place : les actionnaires pourront acheter un paquet global d’actions ou des actions spécifiques aux écoles. Nous ne sommes pas inquiets. Aujourd’hui, de nombreux investisseurs se sont déjà manifestés.

Dans ce cas, pourquoi souhaitez-vous tant faire évoluer le statut d’EESC ?

À l’échelle mondiale, la compétition est féroce. Il ne faut pas attendre dix ans avant de réfléchir au financement des écoles. Plus vite nous trouverons des façons de résoudre ces problématiques de financement, mieux nous nous porterons.

La Chambre ne doit pas perdre son rôle de premier actionnaire. Nous sommes d’accord sur le fait que l’éducation n’est pas un produit comme les autres, et un changement de statut ne doit pas se faire au détriment de la qualité des diplômes. Mais une école bien gérée doit pouvoir verser des dividendes à ses actionnaires.

Adopter le statut de SA (société anonyme) est-il envisageable dans ces conditions ?

En tant que directeur de l’école, ce n’est pas à moi de prendre cette décision, mais bien à la Chambre. Cependant, je ne suis pas favorable à un tel changement. En basculant complètement dans une société anonyme, vous ouvrez la porte aux investisseurs "gourmands". Ils pourraient chercher à maximiser leur retour sur investissement, quitte à dégrader la qualité pédagogique de l’école.

Eva Mignot | Publié le