L’indifférence des établissements face à l’anonymisation des candidatures sur Parcoursup

Pauline Bluteau Publié le
L’indifférence des établissements face à l’anonymisation des candidatures sur Parcoursup
Anonymisation des candidatures sur Parcoursup : beaucoup de bruit pour… des changements mineurs. // ©  Nicolas Tavernier/REA
L’anonymisation des candidatures sur Parcoursup est désormais de mise. Nom, prénom, âge et adresse des candidats ne seront plus accessibles pour les établissements lors de l’examen des dossiers. Si le ministère s’en félicite, les représentants des formations se montrent, quant à eux, plutôt indifférents et doutent de l'intérêt d'une telle mesure.

"C’est déjà un grand pas", confiait le ministère de l’Enseignement supérieur suite à l’annonce de l’anonymisation des candidatures sur Parcoursup, le 18 février dernier. Proposé par Frédérique Vidal, le dispositif est supposé favoriser la mixité sociale et éviter toute discrimination.

À l’occasion d’une rencontre avec la ministre, la CPU (Conférence des présidents d’université), la CDEFI (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs), la CGE (Conférence des grandes écoles) et l’APLCPGE (Association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux grandes écoles) se sont engagées à mettre en place cette anonymisation dès 2019.

Seules quelques formations réellement concernées

Un processus qui n’aura finalement que très peu d’impact sur les admissions. En effet, comme le rappelle le communiqué, seuls le nom, prénom, âge et adresse des candidats seront anonymisés "dès lors que ces données ne sont pas nécessaires à un examen éclairé du dossier du candidat". Ce qui signifie que les établissements qui proposent des formations en apprentissage, en internat ou qui sélectionnent leurs étudiants via des concours ou des entretiens auront forcément accès à ces informations.

Ainsi, seules les universités sont véritablement concernées par le dispositif. "On regrette que l’anonymat ne soit pas imposé à tous", explique Alain Joyeux. Le président de l’APHEC (Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales) remet en cause la création d’un système à deux vitesses : "Nous, on ne voit pas nos candidats, on les juge sur leur dossier, alors que d’autres formations font passer des entretiens, donc il n’y a plus d’anonymat. Ce n’est pas juste".

D’un point de vue technique, je ne vois pas comment on peut tout anonymiser, c’est trop compliqué.
(François Germinet)

Mais du côté des écoles sélectives, comme les écoles de commerce ou d’ingénieurs, à l’heure actuelle, les changements ne sont pas envisageables. "Une année scolaire se prépare plus d’un an à l’avance, nous travaillons déjà sur la rentrée 2020. Nous avions averti le ministère sur la complexité de l’anonymisation, et nous avons été entendu, puisque nous ne sommes pas concernés cette année par cette mesure", admet Marc Renner, président de la CDEFI.

"Il faudrait pouvoir l’adapter à chaque formation, estime Alice Guilhon, présidente du Chapitre des écoles de management à la CGE. Je suis pour la réforme, mais il faut parfois être réaliste, un concours ne peut pas être anonyme. Il va donc falloir travailler à nouveau pour lever toutes les contraintes qu’impliquent le dispositif."

"Faites-nous confiance"

Pour autant, même pour les formations non sélectives, cette anonymisation reste très relative. Les appréciations des bulletins scolaires, les lettres de motivation et toutes autres pièces justificatives à fournir, telles que les diplômes, ne seront pas rendues anonymes. "Les représentants des formations ont également fait savoir qu’il leur était nécessaire […] de disposer d’informations sur l’environnement scolaire du candidat", prévient aussi le communiqué du ministère.

"Le risque, c’est que le dispositif aille encore plus loin, s’indigne Alain Joyeux. Là, le ministère fait comme si nous avions déjà discriminé nos étudiants. Or, nous voulons juste dire : faites-nous confiance, nous sommes pour la diversité !" Car, selon Marc Renner, l’anonymisation pourrait être totale et concerner l’ensemble des formations. "Si on doit le faire, on le fera. Il faut juste prendre conscience que cela prend du temps."

Un dispositif inutile ?

Or, pour le président de la commission formation à la CPU, François Germinet, difficile de faire mieux en termes d’anonymat. "D’un point de vue technique, je ne vois pas comment on peut tout anonymiser, c’est trop compliqué, insiste-t-il. Ce qui serait plus juste, c’est de prendre seulement en compte les résultats du bac, mais pour l’instant, ce n’est pas quelque chose d’envisageable."

Selon lui, l’anonymisation pourrait rendre aussi plus difficile "l’homogénéisation" des classes, notamment en écoles d’ingénieurs, où les étudiantes restent sous-représentées, ou en CPGE, où la diversité des lycées d’origine est vue comme une richesse. "Avant, on pouvait faire quelques rééquilibrages, mais là, ce ne sera plus possible", prévient-il.

Quel est donc l’intérêt des établissements ? Tous s’accordent à dire qu’il ne s’agit pas d’une demande de leur part. "Cela ne faisait pas partie de nos attentes. On ne se sent pas vraiment concerné", admet Alice Guilhon. Même constat pour la CPU : "Ce n’était pas un sujet pour nous, et cela ne va rien changer, mais si le ministère a souhaité le mettre en place, c’est qu’il y a certainement de bonnes raisons", obéit François Germinet.

Seul Alain Joyeux se montre beaucoup plus réticent. "Quel est l’apport de cette mesure ? C’est la question que je me pose. Car, pour moi, l’anonymisation ne va rien révolutionner."

Pauline Bluteau | Publié le