Des facs "Aspie-Friendly" pour accompagner les jeunes autistes

Sandrine Chesnel Publié le
Des facs "Aspie-Friendly" pour accompagner les jeunes autistes
L'Université fédérale de Toulouse-Midi-Pyrénées coordonne l'initiative Aspie-Friendly au niveau national. // ©  Aurélie Garriga / UFTMP
Le projet "Construire une université Aspie-Friendly" a pour objectif de favoriser l'accès aux études supérieures des jeunes atteints d'un trouble du spectre autistique. Une vingtaine d’universités et quelques entreprises sont déjà impliquées dans l'initiative lancée en novembre dernier.

On les appelle les "Aspies". Un nom inspiré par le syndrome d’Asperger, pour désigner les personnes autistes sans déficit intellectuel. Aujourd’hui, en France, 1 % de la population serait concernée, et pourtant moins de 500 étudiants porteurs de ce trouble du spectre autistique sont inscrits dans l’enseignement supérieur.

"Les jeunes Aspies qui réussissent à avoir le bac et à faire des études supérieures sont des survivants, commente Cédric Haurou-Béjottes, référent Occitanie-ouest d’Aspie-Friendly. Car l’autisme est encore mal dépisté, et seuls les autistes très soutenus par leur famille réussissent à contourner les difficultés de l’enseignement ordinaire, pas encore assez inclusif."

Parmi les Aspies les plus connus, l’écrivain et conférencier Josef Schovanec. Docteur en philosophie et en sciences sociales, diplômé de Sciences po Paris, il est l’auteur, en 2017, d’un rapport sur l’emploi des personnes autistes, dans lequel il souligne que l’accès aux études secondaires et supérieures doit leur être facilité. Il est aussi l’un des inspirateurs d’Aspie-Friendly.

Construire un réseau

"J’ai commencé à travailler sur ce projet quand j’étais au cabinet de Thierry Mandon [alors secrétaire d'État chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche], se souvient Bertrand Monthubert, ancien président de l’université de Toulouse 3-Paul-Sabatier. Dans le cadre du troisième plan autisme, nous avons souhaité mettre en place une expérimentation autour de l’accueil des étudiants autistes. À Toulouse, nous étions enthousiastes, mais il est vite apparu qu’il fallait nous constituer en réseau avec d’autres universités pour mutualiser les outils, plutôt que de développer des solutions chacun dans notre coin."

Libéré de ses fonctions au ministère de l’Enseignement supérieur en 2017, Bertrand Monthubert contacte une quinzaine d’universités et répond à l’appel à projet du Programme investissements d’avenir 3, dans le cadre des "Nouveaux cursus à l’université".

Lauréat de la consultation, le projet "Construire une université Aspie-friendly" se voit attribuer, par l’ANR (Agence nationale de la recherche), un financement de 5 millions d’euros, sur une durée de dix ans. Et devient également l’une des briques de la stratégie nationale pour l’autisme 2018-2022.

Pour un accompagnement global

Lancé officiellement en novembre 2018, Aspie-Friendly souhaite construire une approche globale, qui implique l'identification des jeunes concernés – si possible dès le lycée –, l’aide à l’orientation, l'adaptation des conditions d’études à leurs contraintes, mais aussi l’aide au quotidien pour le logement et la restauration, et l’insertion professionnelle.

Patrick Chambres, professeur de psychologie cognitive à l'université Clermont-Auvergne, et responsable de la PUFADSA (plate-forme universitaire de formation à distance au spectre de l’autisme), explique que les troubles (interaction sociale, communication) qui touchent les jeunes autistes ont un impact dans leurs relations avec les professeurs et les autres étudiants.

Les jeunes Aspies qui réussissent à avoir le bac et à faire des études supérieures sont des survivants.
(Cédric Haurou-Béjottes)

Ils les empêchent également de comprendre ce qu’on attend d’eux, quand ce n’est pas totalement explicite. "Or, on ne cesse de dire des choses implicites dans une journée. Un autiste a besoin de consignes claires. De plus, tout ce qui n’est pas prévu est source de stress et d’angoisse chez un Asperger, décrypte Patrick Chambres. Un changement de salle au dernier moment, par exemple, peut l'amener à renoncer à un examen."

Pourtant ces jeunes ont de réelles capacités intellectuelles, parfois même nettement au-dessus de la moyenne : "L’autisme est une autre forme d’intelligence, complète Bertrand Monthubert, il y a des manières de penser qui peuvent être spécifiques aux personnes autistes. L’université doit les prendre en compte, en notamment travaillant sur les méthodes d’évaluation."

Mutualiser la recherche

Le projet Aspie-Friendly comprend donc un important volet pédagogique, pour définir les adaptations nécessaires à la réussite des Aspies. Et parallèlement, des groupes de travail planchent sur l’innovation numérique, la formation et l’accompagnement des professionnels et des référents...

Un centre de ressources et d’accompagnement est en cours de développement. Il permettra aux personnels des universités de s'autoformer. "L’objectif est qu’une équipe pédagogique qui reçoit un étudiant Aspie sache comment fonctionne l’autisme et quel est l’impact potentiel sur les études", détaille Bertrand Monthubert.

La Comue Université Grenoble-Alpes, qui a rejoint tout récemment le projet Aspie-Friendly, travaille, de son côté, sur les innovations technologiques et le développement d’outils pédagogiques numériques. "Nous avons rejoint le projet pour bénéficier des avancées des autres universités Aspie-Friendly, et leur faire profiter de nos expérimentations, témoigne Marie-Paule Belicco, chargée de mission handicap et accessibilité de la Comue. Par exemple, nous avons, à Grenoble, une flotte de robots de téléprésence, et nous réfléchissons à la façon dont nous pourrions les utiliser pour les Aspies. En effet, il peut être épuisant pour eux de suivre deux TD de suite dans une classe."

Des entreprises partenaires

Comme l'initiative a pour ambition d’accompagner les jeunes autistes en amont et en aval de leurs études supérieures, des entreprises, comme Microsoft, Thalès ou Altran, se sont également engagées dans le projet. Philippe Trotin, directeur de la mission handicap et de l'accessibilité chez Microsoft France, travaille sur la problématique de l'insertion professionnelle, avec Simone Bonnafous, ancienne présidente de l'université Paris-Est-Créteil-Val-de-Marne.

"Nous mettons l'accent sur le repérage, par les universités, des étudiants Aspies intéressés par des stages, ainsi que sur leur recrutement en entreprise. Une charte, à destination des entreprises intéressées, a ainsi été rédigée. Elle les engage à proposer des stages courts, puis de plus en plus longs, pour une implication progressive, et des personnes référentes formées. Nous réfléchissons aussi à la possibilité d’intégrer des binômes d’étudiants, un Aspie et un ami, pour faciliter l’intégration", souligne Philippe Trotin. "De plus en plus d'entreprises prennent conscience de l'intérêt de la neurodiversité dans leurs équipes", ajoute Bertrand Monthubert.

Outre les universités et les entreprises, le projet Aspie-Friendly espère aussi fédérer d’autres acteurs, comme les maisons du handicap, les associations de familles d’autistes… "C’est un projet sur dix ans, donc nous l’abordons avec ambition et humilité, reconnaît Bertrand Monthubert. Ce qu’il faut retenir c’est que nous avons moins d’Aspies dans les universités que nous devrions en avoir. Or, c’est une chance pour toute la société de pouvoir les intégrer davantage dans nos établissements, puis dans les entreprises, car ils nous amènent à nous poser des questions sur la façon dont on évalue, dont on enseigne, et comment on accueille la diversité. Finalement, toutes les innovations et les ressources développées pour les Aspies serviront à tous les étudiants, Aspies ou pas". Pour réussir, peut-être, à construire une université véritablement inclusive.


Un projet sur dix ans

Lancé officiellement le 14 novembre 2018, l'initiative "Construire une université Aspie-Friendly" sera évaluée par une équipe de chercheurs spécialisés en autisme, politiques d’accessibilité et économie de la santé.

C'est l’Université fédérale Toulouse-Midi-Pyrénées qui en assure la coordination nationale. Sont également partenaires, les universités d’Aix-Marseille, Clermont-Auvergne, Nîmes, Montpellier, Bordeaux, Rouen, Poitiers, Picardie-Jules-Verne, Cergy-Pontoise, Grenoble-Alpes, Paris-Descartes, Paris-Est-Créteil-Val-de-Marne, Paris-Saclay, ainsi que la CDUS (Conférence des doyens et directeurs des UFR scientifiques), le CNAM, Unisciel, Ferrepsy, la fondation FondaMental, l’Institut des handicaps du CHU de Toulouse, le ministère des Armées, Airbus, AutiConsult, CGI, SAP, Thalès, et Microsoft France.

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