Les méthodes françaises pour attirer les meilleurs étudiants chinois

De notre correspondant à Shanghaï, Joris Zylberman Publié le
Les méthodes françaises pour attirer les meilleurs étudiants chinois
(ernoldi/flickr) // © 
Les États-Unis et l’Angleterre sont très combatifs dans l’Empire du milieu. Mais la France n’a pas de complexe à avoir. Elle bénéficie sur place du prestige de sa culture et de l’excellence réputée de ses écoles dont le parfum élitiste peut charmer les jeunes Chinois. Ceux qui ont déjà des rudiments de français. Un capital à faire fructifier.


À Shanghai, la question n’est pas anodine. Que choisir lorsqu’on est courtisé par les meilleures universités ? C’était le dilemme de Fangzhou, 17 ans et multimédaillé des maths. Dans l’appartement familial résidentiel, au cœur de la métropole, tout en servant le thé, sa mère étale fièrement la vingtaine de prix olympiques remportés par son fils depuis le collège. Ce jeune homme d’un mètre quatre-vingt, drogué à l’Internet et à Céline Dion, fait partie de l’élite lycéenne chinoise. Comme cinquante de ses camarades, il a été sélectionné au début de sa terminale dans un groupe éminent exempté de « gaokao », le bac chinois. C’est la pratique commune aux grands lycées de l’Empire du milieu. Dans ce groupe, les deux tiers sont dirigés vers les plus grandes universités du pays. Les autres partent à l’étranger.

Alors, comment se faire connaître de ces jeunes Chinois, pour qui l’excellence étrangère rime presque avec les États-Unis ? Comment les attirer alors que l’anglais domine et que le français première langue n’existe pas dans leurs lycées ? Voilà un double défi pour les grandes écoles qui entendent faire leur place sur ce marché de jeunes pousses de haute volée. Et elles ont des arguments à faire valoir. Encore faut-il savoir les vendre... in situ.

Exhiber un programme spécifique

Côté sciences, alors que le réseau ParisTech est présent à Shanghai depuis plus de dix ans, les initiatives évoluent. Une idée de Joël Vallat, proviseur du lycée Louis-le-Grand à Paris : recruter les élèves avant le bac. Depuis 2000, il intègre des Chinois dans ses pré- pas scientifiques. Depuis, il a obtenu l’appui du ministre de l’Éducation nationale. D’où le programme « Cinquante Chinois en classes prépas » signé en 2004 avec le gouvernement chinois et qui concerne aujourd’hui dix-sept lycées hexagonaux. C’est le consulat de France à Shanghai qui organise les épreuves de sélection : un test de maths en novembre et un entretien en décembre. Les élèves retenus quittent alors leur terminale pour des cours intensifs à l’Alliance française à Shanghai ou Canton de janvier à juin. Le bassin de Shanghai fournit le gros des troupes. 

Joël Vallat, ancien président de l’Association des lycées à classes prépas, se rend donc deux fois par an en Chine. Objectif : rencontrer ses pairs chinois, mais aussi persuader ses collègues français de la pertinence de l’ouverture. En mai 2007, Gisèle Le Bloa, du lycée Gay-Lussac à Limoges, et Serge Vanhove, du lycée Montaigne à Bordeaux, étaient du voyage. Au menu, visite du lycée Weiyu dans la banlieue de Shanghai, un établissement pilote, ce qui veut dire ici l’élite du secondaire. Dans l’une des terminales, un élève pose la question cruciale aux visiteurs du jour : « Que se passe-t-il si on ne réussit pas les concours ? » « C’est un système où la réussite est garantie, car il y a presque autant de places en écoles que de candidats aux concours », répond le proviseur parisien. Basique, le jeu des questions- réponses permet d’expliquer, de convaincre.  

Cultiver le « cocooning »

Les jeunes Chinois sont habitués a être très encadrés dans leur scolarité tout en restant très entourés par leur famille. Il s’agit de les tranquilliser. « Voilà le seul programme qui nous est proposé par l’Occident avec un encadrement pédagogique et relationnel aussi serré », se réjouit Yuan Jun, le proviseur adjoint du lycée Huashida. Autant jouer sur cette fibre. En effet, après les six mois à l’Alliance française en Chine, les étudiants passent les quatre semaines d’août dans une famille locale à Vichy où ils suivent les cours au centre de langues du Cavilam. « Arrivés en prépas, ils vivent à l’internat et non dans un campus à l’américaine où ils seraient livrés à eux-mêmes. En outre, nos classes prépas rassurent parents et enseignants car elles imposent aux élèves la même pression que dans l’enseignement chinois », fait valoir Laurent Dureuil, responsable du programme au consulat de Shanghai.

Autre point fort, apprécié en Extrême-Orient : l’homme est également chargé de faire le lien entre le lycée français et les familles chinoises jusqu’à l’intégration dans une grande école. Du suivi des bulletins scolaires aux soucis de santé, il s’assure que les élèves ne soient pas isolés ou en situation d’échec. De surcroît, les postulants chinois sont pris en main bien en amont, sur place, afin de les mettre au niveau des élèves français en prépas. L’Alliance française prévoit à cet effet des cours de dissertation de mai à juin. Sans oublier les cours de maths, trois heures par semaine depuis mars. Un cocooning plus studieux, mais qui apaise les cercles familiaux.  

Vanter des frais plus modestes que ceux des anglo-saxons

Autre argument de poids : l’excellence à bas prix.  « Vos prépas forment l’élite comme nos plus grandes universités. Mais l’un des éléments clés pour nos étudiants, c’est que le programme français est beaucoup moins cher qu’aux États-Unis ou en Angleterre », note Tang Shenchang, proviseur de la Shanghai High School, jumelée avec Louis-le-Grand depuis 2006. Les frais se limitent à l’internat (2 000 € pour dix mois), au billet d’avion retour et à la vie quotidienne. Tout le reste est pris en charge, y compris le visa. « C’est ce qui a convaincu mes parents », mentionne Wei, 17 ans, du lycée Fudan. « Avant ce programme, je n’avais pas pensé à la France », admet la future élève du lycée du Parc à Lyon. Pour Qiyang, 18 ans, en partance pour le lycée Clemenceau à Nantes, les objectifs sont clairs : « Je veux intégrer Polytechnique pour être ingénieur dans l’informatique. »  

Accroître sa visibilité dans les lieux

Il s’agit là de profiter de l’effet réputation qui fait merveille dans le vaste empire. Ce qu’ont bien compris les écoles de commerce qui privilégient une politique de recrutement direct. Mais, à la différence des lycées à classes prépas, elles opèrent en ouvrant des bureaux de représentation à Shanghai, à l’image de l’EM Lyon, implantée depuis 2000 à côté de la place du Peuple. Un petit morceau de France en territoire asiatique et qui fait rêver. « Ici, nous sommes surtout connus par le bouche-à-oreille », avoue Yves-Henri Robillard, son représentant dans les lieux. En outre, l’école, qui vise depuis 1990 à améliorer sa présence en Chine, a déjà signé des accords d’échange avec six grandes universités chinoises. Avec deux objectifs :  vendre son master en business aux Chinois et permettre à ses élèves français d’effectuer une partie de leurs études à Shanghai.

Vanter la spécificité française fait partie de la technique de séduction. « Même si nous offrons un cursus en anglais, nous ne sommes pas une copie des écoles anglo-saxonnes : notre master en deux ans s’accompagne d’un stage en entreprise, inexistant ailleurs. » Et d’ajouter : « Notre fonds de recrutement reste les jeunes intéressés par la France, pour sa culture ou pour tous ses clichés, tel le romantisme », nuance le représentant de l’école lyonnaise.  

Proposer des concours in situ

Les nationaux restés au pays peuvent profiter du SAI, ou service d’admission internationale : l’examen commun à HEC, l’ESCP-EAP, l’EM Lyon et le CERAM. Tel que l’a suivi Yuanyuan, 22 ans, passionnée de culture française, bientôt titulaire d’un bachelor de l’université de Shanghai et venue à une école de commerce par ouï-dire ! Car, contrairement au test pour les prépas scientifiques, le concours SAI est mondial. Comme les Mexicains ou les Russes, les candidats chinois passent chez eux le TAGE-MAGE, un écrit de gestion en français, ou le G-MAT, le même en anglais. Les meilleurs dossiers sont sélectionnés à Paris. En revanche, les entretiens se déroulent en Chine. C’est le jury qui se déplace.

Depuis 2003, l’EM Lyon a encore amélioré sa communication. Elle se fait connaître grâce à EduShanghai, l’une des agences contrôlées par le gouvernement. Mais l’outil décisif demeure les réseaux des anciens élèves. En 2006, un Club Chine a été créé à Lyon, tandis qu’un China Club existait déjà à Shanghai pour fédérer les anciens revenus au pays. Ainsi, Zheng Feng, 28 ans, ancien élève de l’ESCP-EAP, embauché à Paris dans un cabinet de conseil et de retour à Shanghai sous contrat d’expatriation. Conscient d’être encore une exception, il précise : « Hors cursus linguistique, les écoles de commerce françaises restent peu connues des Chinois. » Raison de plus pour faire du prosélytisme. 

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