Les universités face au défi de la transition écologique

Florian Dacheux Publié le
Les universités face au défi de la transition écologique
Au centre de recherches scientifiques Georges-Péri à l'université de Corse, des places de parking sont abrités par des ombrières solaires, permettant de recharger les voitures électriques. // ©  Université de Corse
Depuis 2015, une vingtaine d’universités initient des projets ambitieux visant à développer des sites plus responsables écologiquement. En sont-elles capables et en ont-elles les moyens ? Greenwashing ou réelle prise de conscience ? État des lieux.

Il n’est pas rare de croiser, sur les pelouses de Paris-Nanterre, un groupe d’étudiants en compagnie d’un troupeau de moutons. Outre leur participation à la tonte de l’herbe, ces moutons, gérés par l’association La Ferme du Bonheur, pâturent librement, en prenant soin d’y laisser quelques excréments riches en nutriments qui enrichissent la terre du campus.

Favoriser la biodiversité, l’université Paris-Nanterre en a fait le socle de sa politique en termes d’écologie. Passé au zéro phyto depuis 2015, le campus mêle potager partagé, ruche pédagogique et aire de compostage. Plus aucun produit chimique n’est utilisé dans l’entretien des espaces verts, et l'établissement est aujourd’hui la première université de France à détenir le label éco-jardin. Mieux, la secrétaire d’État à l’Écologie, Emmanuelle Wargon, lui a décerné, le 13 février 2019, le "trophée des campus responsables".

Les distinctions se multiplient pour le campus altoséquanais : coup de com ou vrai défi ? "Cela fait six ou sept ans que nous avons pris à bras-le-corps ce sujet qui était plus ou moins latent dans l’établissement. Il en va de notre responsabilité sociale en fonction de nos moyens et de nos ambitions, déclare Stéphane Brette, vice-président patrimoine et transition écologique à l'université Paris-Nanterre. Si ces comportements écoresponsables reflètent une vraie prise de conscience pour nous, il est sûr que cela amène de l'attractivité et une dynamique pour les étudiants."

Relever le défi des économies d’énergie

Au-delà de ses extérieurs plus "green", l'université de Paris-Nanterre tente également de donner l’exemple dans la réhabilitation et la construction de nouveaux bâtiments aux normes HQE. "Depuis 2016, nos équipes de recherche sont installés dans un bâtiment en bois de 5.000 mètres carrés sur quatre étages, qui dispose d'un système de ventilation naturelle, poursuit Stéphane Brette. Et, d'ici à un an, nous disposerons d’un bâtiment entièrement chauffé en géothermie."

Au vu du nombre de participants au concours Cube 2020, institué par l'IFPEB (Institut français pour la performance du bâtiment), Nanterre n'est pas le seul campus qui tente de mobiliser ses équipes sur l'enjeu des économies d'énergie. Candidate au concours, l’université de Bordeaux a, depuis 2015, entamé la mutation de son parc immobilier en suivant un schéma directeur "énergie-eau" pour lutter contre la surconsommation.

Il ne suffit pas de claquer des doigts pour que les mentalités changent. C'est même le plus difficile à mettre en œuvre.
(T. Decadt)

De l’isolation de combles à l’installation de robinets thermostatiques en passant par le calfeutrage des fenêtres, l’établissement vise une gestion raisonnée de l’eau et une réduction des gaz à effets de serre. "Aujourd’hui, Bordeaux, c’est 8 millions d’euros de fluide par an, assure Thierry Decadt, responsable développement immobilier à l’université de Bordeaux. Si on ne fait rien, on va doubler la facture en moins de dix ans."

Avec 290 bâtiments et 570.000 mètres carrés, l’université de Bordeaux a lancé plusieurs chantiers d'envergure, en particulier sur le campus de Pessac-Talence-Gradignan, avec l’installation de façades bioclimatiques. Le bâtiment historique A33 de Valence sera prochainement recouvert d'un toit de 3.000 mètres carrés de panneaux photovoltaïques.

Montant de l'opération ? 300.000 euros, intégralement financés par des fonds propres. L'université devrait ainsi réaliser une économie d'énergie de 3 % par an pendant dix ans. À terme, l'objectif est de disposer d'un réseau de chaleur urbain sur l’ensemble du domaine universitaire.

Sensibilisation, écogestes et RSE

Mais devant les freins financiers combinés aux évolutions lentes des mentalités, les trophées et autres concours ne font pas toujours le poids. Pour éveiller les consciences, les campus s’orientent davantage vers une démarche participative ouverte à tous les acteurs, des étudiants aux personnels en passant par les collectivités.

Un projet d’étudiants bordelais, intitulé Erlen Project, et lauréat du concours d'innovation Hacketafac 2018, a ainsi vu le jour. Il s’agit d’une interface ambiante pour aider les usagers du campus à prendre conscience de leur consommation énergétique en la visualisant. Les initiatives de ce genre visent à faire évoluer les comportements de chacun, ce qui peut parfois prendre plus de temps que prévu.

"Il ne suffit pas de claquer des doigts pour que les mentalités changent. C'est même le plus difficile à mettre en œuvre", constate Thierry Decadt. Même philosophie du côté de l’université de Corse, qui s’est fixé pour objectif de réduire de 10 % la facture énergétique de deux bâtiments à Corte d’ici à juin 2019.

Le tout sans réaliser de travaux majeurs. "Cette réduction doit passer par une veille pour identifier d’éventuels dysfonctionnements, une optimisation du réglage des installations techniques et une sensibilisation des étudiants et des personnels aux bons gestes à adopter", affirme Pierre Mattei, le directeur du patrimoine, de la logistique et de la prévention à l’université de Corse, qui souhaite que le projet soit, in fine, élargi à l’ensemble des campus d’Ajaccio, Cargèse et Biguglia.

D’Épinal à Saint-Étienne, d’autres établissements tentent de réduire leur empreinte environnementale. À l’instar de l’université de Poitiers, engagée dans une stratégie de développement durable, reconnue par l’obtention du label Développement durable et responsabilité sociétale en 2016.

L’établissement a notamment mis en service une chaufferie biomasse qui permet de fournir le chauffage de 60 % des surfaces utilisées. "L’urgence de politiques de développement durable a cessé d’être un débat, estime Laurent-Emmanuel Brizzi, vice-président patrimoine et développement durable à l'université de Poitiers. Nous avons diminué notre facture énergétique de 4,5 millions d’euros en 2014 à 4 millions en 2017. Pour 2019, cette baisse devrait se poursuivre, avec 500.000 euros d'économies supplémentaires."

300 millions à trouver

Si toutes ces universités semblent prises d'une subite envie de se mettre au vert, c’est que la loi Elan du 23 novembre 2018 fixe le principe d'une réduction de 40 % de la consommation d'énergie des bâtiments tertiaires à l'horizon 2030. Il y a donc urgence à ce que les campus entament leur transition écologique.

Il est clair que la réhabilitation des bâtiments ne suffira pas, sans l'adhésion complète de tous les acteurs et des étudiants. À travers son "Pise", un partenariat interne pour la sobriété énergétique, l'iniversité de Bordeaux a déjà réalisé une baisse de 13 % de ses émissions, et peut raisonnablement espérer atteindre l'objectif légal d'ici à 11 ans.

Pour les autres, la route est encore longue, et coûteuse. "On attend que l’État puisse apporter le financement nécessaire au respect des engagements qu’il a lui-même défini", revendique Stéphane Brette.

Le vice-président transition et écologie de l'université Paris-Nanterre n'a sans doute pas encore digéré la décision du gouvernement qui n'a pas retenu l'amendement pour "la rénovation énergétique des établissements publics d'enseignement supérieur", déposé en novembre 2018 dans le cadre du projet de loi de finances 2019. Un soutien financier de 300 millions d’euros pour une "rénovation intelligente du parc des universités" aurait pourtant été le bienvenu.

Florian Dacheux | Publié le