Les universités françaises à l’heure brésilienne

Mathieu Oui Publié le
Les universités françaises à l’heure brésilienne
Le Corcovado de Rio de Janeiro // DR // © 
Il n’y a pas qu’en matière sportive que le Brésil intéresse la France. Alors que le pays s’apprête à accueillir, en juin 2014, la Coupe du monde de football, de plus en plus d’établissements d'enseignement supérieur français envisagent d’ouvrir des représentations permanentes sur les grands sites universitaires brésiliens.

2014 : l'année du Brésil pour l’enseignement supérieur français ? Oui, si l'on en croit la multiplication des projets d’implantation des universités françaises outre-Atlantique. Plusieurs créations de bureaux permanents sont ainsi en bonne voie : si celui de Lyon Saint-Étienne à l’USP (université de São Paulo) a ouvert dès l’automne 2013, les représentations permanentes de SPC (Sorbonne Paris Cité) à São Paulo et celle de l'université de Toulouse à Recife doivent se concrétiser dans les prochains mois.

Imaginées dans le cadre des regroupements d'universités en cours de structuration, notamment via les COMUE (Communautés d’universités et établissements), ces implantations pourraient aussi, à plus long terme, concerner l’université de Lille à Belo Horizonte (Université fédérale du Minas Gerais), ainsi que celles de Bretagne (Porto Alegre) et d’Aix-Marseille (Rio).

Fonctionnant sur la réciprocité (les établissements brésiliens devraient également disposer de représentants chez leurs partenaires français) et le cofinancement, ces bureaux auront des missions variables. "L’objectif global est de structurer et accompagner la mobilité étudiante, mais aussi d’être un point d’expertise et de suivi des projets de formations ou de recherche", résume Thierry Valentin, représentant pour le Brésil et l’Amérique du Sud à la CPU (Conférence des présidents d'université).

Un plan d'investissement brésilien encourageant pour les universités françaises

Plusieurs raisons peuvent expliquer cet engouement. Il y a tout d’abord l’investissement massif du gouvernement brésilien dans l’internationalisation de son enseignement supérieur. Lancé en 2011, le programme "Sciences sans frontières", qui mise sur l’envoi de 100.000 étudiants boursiers à l’étranger pendant quatre ans (2012- 2015), a eu "un fort impact en termes d'attractivité", assure Thierry Valentin.

La France accueille plus de 4.000 étudiants brésiliens par an, dont 2.500 au titre de "Sciences sans frontières", ce qui en fait la première destination européenne du programme.

Autre élément : la coopération bilatérale est déjà ancienne entre les deux pays, avec par exemple les programmes d’échanges d’étudiants BRAFITEC (BRAsil France Ingénieurs TEChnologie) pour les formations d'ingénieurs ou BRAFAGRI (Brasil France Agriculture) pour les écoles du secteur agricole. Par ailleurs, les institutions françaises disposent de plusieurs représentations permanentes avec les bureaux du CNRS à Rio, de l’IRD (Institut de recherche pour le développement) à Brasilia ou encore de l’AUF (Agence universitaire de la francophonie) à São Paulo.

Sorbonne Paris Cité : un bureau permanent avec un enseignant-chercheur et un administratif

"En réfléchissant à la stratégie internationale de Sorbonne Paris Cité, le Brésil s’est rapidement imposé en raison de partenariats déjà forts entre les huit membres du groupement et les institutions brésiliennes, dans le domaine de la santé, des SHS (sciences humaines et sociales) et des sciences dures, analyse Frédéric Ogée, en charge des relations internationales de SPC. Nous devrions signer, cette année, l’accord pour l'ouverture d'un bureau à la rentrée universitaire de mars 2015."

Cette représentation permanente compterait une ou deux personnes pour développer l’accompagnement de projets de recherche et de diplômes conjoints, le recrutement d’étudiants, etc.

"L’hypothèse de travail est d’avoir un enseignant-chercheur détaché sur place qui se consacrerait à un projet de recherche et de réseautage de haut niveau. Il serait accompagné d’une autre personne au profil plus administratif qui serait en charge de la promotion, de la présence sur les salons, du recrutement d’étudiants et des contacts avec les entreprises", décrit Frédéric Ogée.

Dès cette année, un appel à projet de mobilité des enseignants-chercheurs a permis le financement de plus d’une trentaine de missions au Brésil, sur des thématiques aussi variées que les troubles alimentaires, l’immunologie et les maladies inflammatoires, l’action publique, les énergies ou les méthodes d’apprentissage innovantes.

Université de Lyon : la recherche en vue

"Notre priorité est de renforcer la coopération scientifique avec l’université de São Paulo", explique de son côté Jan Matas, responsable de l’équipe internationale de l’université de Lyon. Les thèmes de recherche communs aux deux partenaires portent notamment sur l’environnement, la dépollution, l’urbanisation et les transports.

"Developper et pérenniser ces programmes de recherche nous permettra aussi de renforcer les échanges d'étudiants brésiliens et français dans nos établissements", insiste-t-il.

Les universités de Lyon 2 et Lyon 3 ont en effet déjà tissé des liens en matière de formation avec l'USP : une double licence en droit sera lancée à la rentrée 2014, dans le cadre des projets PITES (Partenariats internationaux triangulaires d'enseignement supérieur).

Les cours de droit français seront dispensés, en français, aux étudiants en licence à l’USP par des enseignants-chercheurs lyonnais. En fin de cursus, les étudiants titulaires d'une licence en droit brésilienne et d'une licence en droit française pourront s'inscrire en master dans l'une des deux universités lyonnaises partenaires.

Un enjeu sur la formation continue des cadres

Mais ces rapprochements bilatéraux pourraient aussi déboucher sur la formation continue des cadres brésiliens, secteur "où la demande est forte", estime Frédéric Ogée (SPC).

"Notre représentation sur place aura aussi pour mission de recenser les besoins de formation continue pour adapter notre offre en conséquence. Il y a un vrai besoin de cadres intermédiaires généralistes dans le domaine des sciences sociales, de la santé, des affaires publiques, de l’environnement", prévoit-il.

"Les entreprises françaises implantées au Brésil – on en compte plus de 500 – ont un besoin crucial en matière de ressources-humaines, prolonge le chargé de mission à la CPU Thierry Valentin. C’est un vrai défi de recruter des cadres techniques commerciaux ou juridiques d’un bon niveau et qui soient biculturels."

À Lille, plusieurs projets associent les filières universitaires de Lille 1 et de Lille 2 et le groupe Oxylane-Decathlon, dans son implantation brésilienne. Le département de STAPS de Lille 2 a notamment en projet un master en management international destiné à former des cadres à responsabilités dans plusieurs pays émergents dont le Brésil.

Plusieurs blocages Persistent

Pour développer plus avant ces échanges et faciliter la mobilité, plusieurs blocages doivent encore être levés. Parmi les neuf propositions de Jean-Charles Naouri, représentant spécial auprès du ministère des Affaires étrangères pour les relations avec le Brésil, figurent notamment l’assouplissement des conditions d’obtention des visas ou une meilleure coordination des régimes sociaux entre les deux pays.

Reste enfin un immense chantier à ouvrir : celui de la reconnaissance mutuelle des diplômes de l'enseignement supérieur.

Quand les établissements français jouent collectif à l'international

L’exemple de l’implantation française au Brésil reflète l’évolution des stratégies internationales des universités, qui se situent désormais aussi à l'échelle des sites universitaires. Ce qui permet de mutualiser les moyens, et d'agir à plus grande échelle, par le biais de représentants permanents sur place.

Outre le Brésil, Sorbonne Paris Cité envisage ainsi d'installer un bureau permanent à Buenos Aires en 2014 (au sein de l’équivalent de la CPU en Argentine). D’autres projets d’antennes sont avancés à Singapour et à Berlin. "Pour 2015, nous envisageons également de nous implanter en Chine et en Amérique du Nord, où nous avons énormément de collaborations", espère Frédéric Ogée, en charge des relations internationales de SPC.

Mathieu Oui | Publié le