Ingénieurs pédagogiques : les artisans de l'innovation

Morgane Taquet Publié le
Ingénieurs pédagogiques : les artisans de l'innovation
Parmi les missions des ingénieurs pédagogiques : former les enseignants aux nouvelles méthodes d'apprentissage. Ici, un atelier de formation de l'Idip à l'université de Strasbourg. // ©  Sophie Blitman
Avec l'avènement des cellules d'innovation pédagogique et autres services universitaires dédiés, un métier se développe dans l'enseignement supérieur, celui d'ingénieur pédagogique. Portrait de quatre d’entre eux, aux profils aussi divers qu’atypiques.

Le métier d'ingénieur pédagogique se développe, au fur et à mesure que les services dédiés s'étoffent et prennent une dimension plus multimédia. Toutefois, si de plus en plus de cursus dédiés apparaissent, il n'existe pas encore de voie toute tracée pour exercer cette profession. Qu'ils soient contractuels ou en poste via un concours d'ingénieurs d'études, tous ont en commun le goût de la pédagogie et du rapport humain, et l'envie de conseiller. Mais du parcours aux missions, le métier d'ingénieur pédagogique est protéiforme.

Des services de taille variable

Des missions qui varient en fonction de la taille des services d'ingénierie pédagogique. À l'École des mines de Nantes, le service CAPE (centre d'appui aux pratiques d'enseignement), où travaille Aurore Martins, rassemble des conseillers pédagogiques, des développeurs, un responsable technique, une assistante juridique et une ingénieure multimédia pédagogique.

À Paris-Descartes, le service "PédagoNum", dont dépend Carine Annette, dispose de pas moins de 10 ingénieurs pédagogiques. Dauphine et son service de 7 personnes, dirigé par Cécile Chevalier, fait la part belle aux profils diversifiés avec un diplômé d'école d'ingénieurs, un autre titulaire d'un master de communication et un diplômé de droit, tandis qu'à l'ICP (Institut catholique de Paris), la création du service "Les ateliers du numérique" est très récente. Il se déploie actuellement autour d'un designer pédagogique, Sébastien Ballanger, un enseignant-chercheur, un administratif et un informaticien.

Des parcours tournés vers la formation...

Aurore Martins, ingénieure multimedia pédagogique à l'école des Mines de Nantes

Issue du milieu du marketing avec des expériences dans le Web et le multimédia, Aurore Martins travaille comme ingénieure multimédia pédagogique aux Mines de Nantes. C'est son quatrième poste en huit ans dans le domaine de l'ingénierie pédagogique. Après un passage du côté de la formation continue à l'école de design de Nantes il y a une dizaine d'années, Aurore Martins a voulu basculer vers la formation initiale. Elle suit alors un master usage des TIC pour l'éducation et la formation. "Mon idée de départ était de faire de l'ingénierie de FOAD [formation ouverte et à distance]."

Directrice du CIP (Centre d'ingénierie pédagogique) à l'université Paris-Dauphine, Cécile Chevalier a sans doute le parcours le plus orienté vers l'ingénierie. En 1997, elle obtient un master sciences et techniques image et son à Brest. Elle se spécialise ensuite avec un master ingénierie des médias pour l'éducation à Poitiers, "une formation très tournée vers la pédagogie et les techniques de l'information" et très nouvelle à l'époque. "C'est en effectuant un stage au service audiovisuel d'un centre de formation que j'ai eu le déclic", explique Cécile Chevalier. Après un passage à l'Essec, elle intègre Dauphine en tant que directrice du service. "Au début, nous étions un peu seuls, mais progressivement je vois le métier se professionnaliser, et les exigences évoluer."

... ou À la suite d'une reconversion professionnelle

Carine Annette, inégnieur pédagogique à Paris-Descartes

Carine Annette est l'une des dix ingénieurs pédagogiques de Paris-Descartes. C'est en période de reconversion professionnelle, à 38 ans, après plusieurs années dans le privé, qu'elle se tourne vers l'ingénierie pédagogique. Après des années dans le secteur de la formation, elle, qui dit avoir beaucoup d'affinités avec le numérique, reprend un master ingénierie en e-formation à Rennes 1. En poste contractuel, elle envisage aujourd'hui de passer le concours d'ingénieurs d'études à un poste d'ingénieur pédagogique.

Pour le designer pédagogique, Sébastien Ballanger, il s'agit aussi d'une reconversion professionnelle. Avant d'arriver à l'ICP, il a été professeur des écoles puis auteur et réalisateur de documentaires. "À un moment de ma vie, j'ai souhaité croiser ces deux parcours. J'ai découvert le métier un peu par hasard, en cherchant à droite à gauche ce qui se trouvait à la croisée de mes deux expériences professionnelles", explique-t-il. Un parcours un peu atypique qui le mène vers un poste taillé sur mesure, celui de designer pédagogique, un profil très marqué audiovisuel qu'il occupe depuis mai 2015.

un pédagogue technophile

Pour faire mieux réussir les étudiants, l'ingénieur pédagogique propose de nouvelles possibilités d'apprentissage en utilisant le potentiel des nouvelles technologies. Mais attention, "un bon ingénieur n'est pas un informaticien, même si beaucoup de gens voient encore notre métier comme tel", pointe Cécile Chevalier. Ses qualités ? "Le goût de la pédagogie, la capacité d'écoute, l'envie de travailler en équipe", précise-t-elle. En résumé, un "bon" ingénieur pédagogique est un pédagogue, "qui soit si possible technophile mais pas forcément geek".

Un "bon" ingénieur pédagogique est un pédagogue, si possible technophile mais pas forcément geek.
(C. Chevalier)

En tant qu'ingénieure multimédia pédagogique, Aurore Martins est par exemple chargée de la production de contenus multimédias tels que des Mooc ou des jeux sérieux, en collaboration avec les enseignants. "Raconter une histoire est aussi un aspect essentiel de mon travail", décrit-elle. Exemple avec la création du jeu sérieux "IceScream" qui porte sur l'effet de panique sur une chaîne logistique, quand il existe une variation de commandes. L'enseignant voulait s'inspirer de Beergame (un jeu de simulation conçu par le MIT), pour réaliser un jeu applicatif et informatif, qui permette de commencer à proposer des débuts de solution aux étudiants." Un an et demi de travail aura été nécessaire pour arriver à un pilote aujourd'hui.

Parmi ses autres activités : la recherche de subventions en tant que chef de projet. "L'enseignant a un projet, et nous cherchons des financements et des partenaires pour le monter", explique-t-elle. Pour réaliser un Mooc sur les transitions énergétiques pour le printemps prochain, Aurore Martins cherche ainsi à dénicher des subventions auprès des universités numériques thématiques. Son activité se résume donc à un tiers de gestion de projet, un tiers de production de contenus et un tiers de scénarisation et accompagnement des dispositifs de formation conçus.

De la sensibilisation à la formationSébastien Ballanger, designer pédagogique à l'Institut catholique de Paris

À l'ICP, une des premières missions de Sébastien Ballanger est de sensibiliser les équipes enseignantes aux possibilités du numérique. Pour commencer, l'organisation d'une journée de formation et de recherche organisée fin juin 2015 dans les locaux a permis de montrer aux enseignants une captation de débat et différentes capsules vidéo, rapporte-t-il. "Nous avons travaillé en binôme avec un enseignant de théologie qui souhaitait réaliser une capsule vidéo pour son cours sur les fondements de l'islam." De l'idée à la mise en scène dans les rayons de la bibliothèque à trois cameras, ils ont réalisé ce projet de "valorisation du cours" à quatre mains. Parmi les projets en cours ou à venir pour le designer pédagogique : deux Mooc, l'un avec la fac de lettres et l'autre avec la fac de droit canonique. La construction d'une offre de formation mixte présentiel/distanciel est également prévue.

Son profil atypique et la petite taille du service permettent à Sébastien Ballanger de travailler lui-même très en amont et sur le fond des projets. "Le travail de conception pédagogique se fait réellement entre l'enseignant et Sébastien", décrit le vice-recteur aux affaires académiques Laurent Tessier. Son atout ? "Mon profil de réalisateur. Une tâche qui est parfois confiée à des prestataires extérieurs dans d'autres établissements", confie Sébastien Ballanger.

Un travail d'équipe

Cécile Chevalier, directrice du CIP (Centre d'ingénierie pédagogique) à l'université Paris Dauphine

À Dauphine, au CIP, tous les ingénieurs pédagogiques partagent leur temps entre l'animation de la plate-forme Blackboard et la gestion de projets suivant le rythme du calendrier universitaire, explique Cécile Chevalier. Une gestion de projets de A à Z. "Cela peut aller de l'accompagnement d'un professeur pour la réalisation de blogs étudiants à la réalisation d'un SPOC pour remplacer un cours magistral. L'objectif est qu'ils agissent comme de véritables chefs de projet : du conseil à l'enseignant, à la gestion du projet jusqu'à l'évaluation de l'impact", explique-t-elle.

Autre point commun entre tous ces ingénieurs pédagogiques : ils ne travaillent pas seuls. Le plus souvent, c'est en binôme qu'ils exercent : d'abord avec l'enseignant, puis en équipe quand les compétences audiovisuelles ne sont pas présentes dans le service.

"Nous aimerions faire un peu plus de conseils, mais les enseignants ont souvent déjà une idée de ce qu'ils veulent quand ils viennent nous voir, explique Cécile Chevalier. Mais nous sommes dans un système où l'enseignant-chercheur travaille seul, et nous sommes encore parfois considérés comme des techniciens..." Une perception qui pourrait évoluer au fur et à mesure que les équipes d'ingénieurs pédagogiques se structurent dans les universités et les écoles.

Un métier peu rémunérateur
Les rémunérations des ingénieurs pédagogiques sont assez homogènes... et plutôt basses. Être ingénieur pédagogique n'est pas rémunérateur, tous les ingénieurs le disent. Ils dépendent de la grille des ingénieurs d'études et leurs salaires nets tournent tous autour de 2.000 €.

À Dauphine, un débutant percevra, net, autour de 2.000 €, alors qu'un ingénieur pédagogique confirmé (de 10 à 15 ans d'ancienneté) pourra prétendre à 2.500 €. À titre d'exemple, à 40 ans, Aurore Martins à l'École des mines de Nantes est au 5e échelon après 8 ans d'ancienneté dans le métier. Une profession qu'on exerce par passion, selon ses propres mots.

Morgane Taquet | Publié le