Suppression du CNA : une décision inattendue mais pas tout à fait définitive ?

Pauline Bluteau Publié le
Suppression du CNA : une décision inattendue mais pas tout à fait définitive ?
Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement superieur et Agnes Buzyn, alors ministre de la Santé avec le docteur Donata Marra en avril 2018 lors de la remise du rapport sur la qualité de vie des étudiants en santé // ©  Nicolas Tavernier / R.E.A
Mis en route en juillet 2019 après la publication du Dr Donata Marra sur la qualité de vie des étudiants en santé, le Centre national d’appui (CNA) semble tirer sa révérence. Semble, car en coulisse, entre suppression inattendue ou institutionnalisation de la structure au profit de tous les étudiants, difficile de savoir vraiment sur quel pied danser.

Il part sur la pointe des pieds, presque sans un bruit mais sans que l’on sache très bien pourquoi. Officiellement, la mission du Centre national d’appui à la qualité de vie des étudiants en santé a pris fin il y a seulement quelques jours. Mais cela ne signifie pas pour autant que le CNA est "supprimé", au sens strict du terme. Dans un communiqué de presse datant du 16 septembre dernier, les deux ministères de tutelle, celui des Solidarités et de la Santé (MSS) et celui de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation (Mesri) affirmaient plutôt la nécessité "de formaliser et faire évoluer les missions jusqu’ici assurées par le CNA".

Car désormais, le Centre national d’appui sera directement inclus "dans le cadre du plan national d’action contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) de l’enseignement supérieur" sous l’autorité des "deux directions générales (Dgesip pour le Mesri et DGOS pour le MSS)". Une décision floue et incompréhensible qui en a surpris certains pour en contenter d’autres.

Une mise à l’arrêt du CNA du jour au lendemain

"La menace planait mais c’était tout de même complètement inattendu, s’exaspère Franck Rolland, alors vice-président en charge de la qualité de vie à l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI). Se faire remercier de la sorte est assez décevant." Le jeune interne en psychiatrie, très impliqué au sein du CNA, n’en revient toujours pas.

Tout s’est accéléré le 16 septembre dernier, lorsque les responsables du CNA ont fait le point avec le cabinet du ministère de l’Enseignement supérieur. "La mission du CNA était terminée depuis mai mais on nous disait qu’il continuerait, raconte le représentant de l’ISNI. On savait qu’il y aurait des évolutions, on nous a d’ailleurs demandé de faire un bilan avec les axes d’améliorations, ce qu’on a fait. Finalement, en septembre, on nous a simplement remerciés au profit d’une structure plus globale axée sur les VSS. C’est scandaleux."

Le CNA donnait vraiment une impulsion supplémentaire pour libérer la parole. (S. David-Le Gall)

Un début de prise de conscience collective grâce au CNA

À l’université de Rennes 1, Sandrine David-Le Gall, maîtresse de conférences à l’UFR de pharmacie, est elle aussi surprise. Également référente du CNA pour son université, elle participait aux différents groupes de travail avec une vingtaine de représentants étudiants, enseignants, responsables de formation, doyens… "Notre dernière réunion s’est tenue en juin, nous pensions tous nous retrouver en septembre, regrette-t-elle. Le CNA donnait vraiment une impulsion supplémentaire pour libérer la parole."

C’était justement là tout l’objectif du CNA : promouvoir la qualité de vie des étudiants en santé en proposant des formations, en partageant les bonnes pratiques, en évaluant l’impact des réformes sur les étudiants… "Nous nous sommes rendu compte que nous n’étions pas seuls dans ces situations, poursuit Sandrine David-Le Gall. Dans les réunions, nous parlions des constats, de ce qu’il fallait changer et nous partagions nos solutions."

À Rennes 1, tous les étudiants en deuxième année de médecine, odontologie et pharmacie suivent désormais 2h30 de formation aux VSS. Les quatrième et cinquième années sont sensibilisés sur les risques en stage et plusieurs enseignants ont reçu une formation à la santé mentale. "Nous avons pris conscience qu’il fallait faire de la prévention, nous sommes en réflexion sur d’autres sujets et l’objectif est aussi de nourrir les autres composantes, pas seulement en santé."

Une décision qui ne respecte pas l’esprit du CNA

Malgré cette forte implication au niveau local, l’enseignante ne sait pas vraiment ce qui l’attend vis-à-vis du CNA. "Je ne sais pas ce que mon poste de référente va devenir…" Car même si la nouvelle structure doit être dotée d’un comité de suivi et d’un comité scientifique, ceux qui ont pris part au CNA sont dans l’expectative. "Les ministères veulent 'faire évoluer' le CNA mais sans les gens qui y travaillent et sans l’esprit", estime Franck Rolland.

Depuis septembre, les échanges se poursuivent. "On nous demande les protocoles mais nous n’en avons pas puisque le CNA ne fonctionne pas comme ça !" Contactés, les ministères de la Santé comme de l’Enseignement supérieur n’ont pas répondu à nos sollicitations. La présidente du CNA, Donata Marra, en fonction jusqu’à fin octobre, n’a pas souhaité apporter de commentaires.

Une nouvelle structure élargie et institutionnalisée

De son côté la Fage se veut plus positive. Et pour cause, l’association étudiante est justement à l’initiative d’un élargissement du CNA. "Le souci du CNA était le manque de moyens financiers et humains, souligne Athénaïs Ercker, vice-présidente en charge de la santé. Et puis, il y avait aussi un besoin plus général pour tous les étudiants, donc nous sommes assez contents d’avoir pu institutionnaliser une structure, tout en gardant un pan pour les étudiants en santé."

Comme pour le CNA, des groupes de travail sont en ce moment même en train d’être formés en prenant en compte les spécificités des formations. "On pense que d’ici la fin de l’année nous pourrons être opérationnels." Quant aux thématiques abordées, l’étudiante assure que la structure ira plus loin que les VSS. "Notre but est de sortir les étudiants du mal-être. Nous faisons en sorte que les associations étudiantes soient présentes dans les débats, on a besoin d’eux pour créer de vraies recommandations."

À l’ISNI, Franck Rolland attend de savoir "à quelle sauce [il] va être mangé" au niveau national mais continue son implication locale. "Nous avons fait un travail monstrueux, nous avons réussi à créer un sujet autour de la qualité de vie des étudiants en santé et nous l’avons mis au goût du jour, tout n’est pas perdu."

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