Brigitte Plateau : "L'enseignement supérieur a besoin d'un relais politique plein et entier"

Céline Authemayou Publié le
Brigitte Plateau : "L'enseignement supérieur a besoin d'un relais politique plein et entier"
Brigitte Plateau, administratrice générale de Grenoble INP // ©  Grenoble INP
Ce mois-ci, Brigitte Plateau est la rédactrice en chef invitée d’EducPros. Nouveau secrétaire d’État, fusions et regroupements d’établissements, liens entre pédagogie et numérique… L’administratrice générale de Grenoble INP commente l’actualité de juin 2015 et défend un système agile, capable de s’adapter aux mutations de la société.

Arrivée de Thierry Mandon : "il est urgent d'avoir une réflexion de fond"

"Attendue depuis plusieurs semaines, la nomination d'un nouveau secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur et à la Recherche est une très bonne nouvelle. Le secteur a besoin d'un relais politique plein et entier, capable d'apporter des réponses claires aux questions qui agitent la communauté. Au-delà des dossiers urgents, Thierry Mandon devra mener une véritable réflexion de fond, sur la place de l'enseignement supérieur et sur la construction de son socle.

Des réformes fortes ont déjà été menées, à l'image du passage aux RCE (Responsabilités et compétences élargies) pour certains établissements ou de la loi ESR adoptée en juillet 2013. Mais il ne suffit pas de légiférer : il faut aller au bout du raisonnement, passer à la pratique. Prenons l'exemple des regroupements et des Comue : une fois leur création actée, il faut assurer la pérennité du processus, en travaillant à leur soutenabilité financière, à leur place dans les classements internationaux.

Cette réflexion devra passer par la concertation. Une ligne d'action devra être définie clairement, tout en acceptant qu'elle puisse être remise en question régulièrement."

Fusions, regroupements : "il faut accompagner le changement"

"Les résultats du baromètre EducPros dédié au moral des acteurs de l'enseignement supérieur ne me surprennent pas : les processus de fusion/restructuration entraînent du stress au sein du personnel des organisations. C'est presque une banalité ! Il est en effet toujours complexe de changer de poste, de position pour un individu. En revanche, ce n'est pas parce que cette situation est 'normale' qu'il ne faut pas trouver des solutions. Il est primordial d'accompagner ces changements structurels. C'est facile à dire, mais sur le terrain, les actions sont plus complexes à mettre en place. Les personnels ont besoin de savoir qu'ils sont écoutés et entendus.

Après le monde économique, c'est au tour de l'enseignement supérieur de se restructurer. Aujourd'hui, il est plus que jamais nécessaire de se repositionner, dans un contexte où les contraintes extérieures sont de plus en plus fortes. Je ne suis pas pour la fusion à tous crins : les solutions doivent s'adapter à un contexte local, à une histoire et aux moyens mis à disposition. Grenoble INP, par exemple, a opté pour un regroupement fédéral de six écoles d'ingénieurs, chacune conservant une grande autonomie de gestion."

Insertion professionnelle : "les efforts doivent se poursuivre"

"De façon traditionnelle, les écoles se sont toujours intéressées à l'insertion professionnelle de leurs diplômés. De leur côté, les universités ont fait énormément d'efforts sur le sujet au cours des dernières années. Les conseils délivrés par les recruteurs dans votre article sont judicieux.

Je retiens particulièrement celui dédié aux petites entreprises : s'intéresser aux PME est toujours complexe car les interlocuteurs sont multiples. Pourtant, c'est au cœur de ces structures qu'on trouve une forte capacité à innover, à entreprendre. À Grenoble INP, nous avons un club des entreprises. La moitié des membres sont des PME. Les liens tissés ne sont pas les mêmes qu'avec les grands groupes. Les relations sont plus personnalisées et la notion de personne, comme de projet, joue un rôle plus fort.

Quant au conseil concernant les réseaux sociaux, j'aurais même été plus loin, en poussant les établissements à utiliser, outre les réseaux, tous les outils numériques mis à leur disposition. Nos étudiants disposent ainsi de CV multimedias. L'i3CV (International Interactive Internet CV) est un CV vidéo multilingue, qui permet aux étudiants de postuler plus facilement à l'international pour un stage ou un premier emploi."

Les personnels ont besoin de savoir qu'ils sont écoutés et entendus.

Numérique et enseignement : "tout est question d'équilibre"

"Le point de vue de Yann Bergheaud [organisateur des journées du e-learning] sur les nouveaux usages numériques appliqués à la formation est très intéressant : il ne s'agit pas simplement de prendre le virage du numérique, encore faut-il savoir pourquoi on le fait. Mais je ne partage pas toutes ses remarques. Quand il dit qu'il faut revenir aux fondamentaux et à l'apprentissage de la liberté, je parlerais pour ma part davantage d'autonomie. Après tout, c'est ce que l'on recherche avec l'enseignement : un élève, autonome, qui interagit avec le maître dans une démarche de dialogue et de débat. On en revient aux racines grecques de l'éducation.

Quant à dire que nous sommes tous égaux devant le numérique, je ne suis pas d'accord. Le niveau social joue malheureusement en défaveur de certains usagers. Si le numérique modifie la donne, on ne peut pas encore parler d'égalité.

Au cœur de ce débat, je crois qu'il est important d'évoquer une pratique émergente très importante : c'est celle de la communauté d'apprenants. On le voit avec les Mooc, ces communautés sont extrêmement riches. Les encadrants y trouvent un réel intérêt, tout comme les participants. Le numérique développe une autre forme de communication, qui ne doit pas remplacer la communication directe, mais qui la complémente. Tout est toujours question d'équilibre."

# Carteblanche : "L'ingénieur doit être entrepreneur et ingénieux"

"Il est une question qui prend une importance cruciale pour nos écoles : quelle place pour les ingénieurs dans la société actuelle et future ? L'ingénieur du début du XXe siècle est celui qui a apporté le confort et le bien-être. Son confrère de la fin du XXe siècle est souvent vu comme celui qui a abîmé la planète.

Il faut que l'ingénieur du XXIe siècle joue un rôle dans la mutation sociétale et planétaire actuelle.
Il doit être un technologue capable d'avoir des connaissances scientifiques approfondies mais doté également d'un esprit "laboratoire". Il doit savoir expérimenter rapidement, être agile, entrepreneur et ingénieux. Il doit aussi être responsable pour un monde durable.

Pour arriver à cela, il est indispensable de mettre les étudiants en situation, à travers des enseignements spécifiques, des ateliers de création, des sensibilisations au sein de fablabs, par exemple. Les initiatives s’organisent. De là à dire qu’elles se généralisent, ce n’est pas le cas. Mais ont-elles d’ailleurs besoin de l’être ? Le processus est en marche, mais là encore, tout est question d’équilibre et de raison : le pédagogue apprend sur le terrain, par l’expérience."

Céline Authemayou | Publié le