Nicolas Crespelle (Quadrivium/UPMC) : "Sur l’innovation, il y a une prise de risque et c’est au privé de prendre le relais du public"

Isabelle Dautresme Publié le
Nicolas Crespelle (Quadrivium/UPMC) : "Sur l’innovation, il y a une prise de risque et c’est au privé de prendre le relais du public"
Nicolas Crespelle, président de la Fondation de l’Université Pierre-et-Marie-Curie et président du conseil de surveillance de Quadrivium Ventures. © UPMC // © 
Sorbonne Universités a lancé, fin janvier 2014, son fonds d’amorçage, baptisé Quadrivium. Une première en France. Initié et porté par la Fondation Pierre-et-Marie-Curie, il vise à financer des starts-up innovantes issues des laboratoires de recherche de la communauté d'universités. Explications avec son président, Nicolas Crespelle.

Pour la première fois en France, des établissements académiques fédérés par la fondation de l’UPMC (Université Pierre-et-Marie-Curie) lèvent un fonds de capital risque auprès d’investisseurs financiers. Quel est l’objectif d’un tel rapprochement  ?

Le modèle des fonds d’amorçage sous égide académique n’a rien de nouveau. Aux États-Unis, par exemple, cela fait longtemps que les capital risqueurs se sont installés dans les campus et ont poussé la porte des laboratoires. Conséquence : dès qu’un chercheur pense que ses travaux sont exploitables économiquement, il sait immédiatement à qui s’adresser. Et il y a de fortes chances qu’il trouve, sur le campus même, le “venture” qui va pouvoir le financer. C’est l’avantage d’une grande proximité entre universités et finance.

En France, il y a le monde académique d’un côté, le monde économique de l’autre et, encore plus éloigné, celui de la finance. Le chercheur qui souhaite exploiter les résultats de sa recherche perd beaucoup d’énergie à trouver de l’argent. Réciproquement, les ventures capitalistes ont du mal à s’y retrouver dans un paysage universitaire français très peu lisible. Dans ce cadre, le modèle d’établissements académiques dotés de leur propre fonds d’amorçage ne peut qu’intéresser chercheurs et investisseurs.

En France, le chercheur qui souhaite exploiter les résultats de sa recherche perd beaucoup d’énergie à trouver de l’argent

Sur quels critères les start-up sont-elles sélectionnées ?

Quadrivium Ventures draine les projets de start-up en gestation dans le pôle académique : entre 120 et 180 chaque année. Puis, il opère un premier tri sur la qualité de la technologie et son caractère innovant. Pour ce faire, il s’appuie sur un comité scientifique composé d’une trentaine d’experts en relation avec les plus grands chercheurs dans leur domaine. C’est un bon moyen de savoir si, dans d’autres labos, quelque part dans le monde, il n’existe pas déjà une technologie qui pourrait venir impacter le potentiel et donc l’avenir de celle qui est présentée. L’idée étant de faire émerger des technologies véritablement innovantes et donc porteuses.

Une fois ces projets validés scientifiquement, le fonds Seventure, gestionnaire financier de Quadrivium, décide ou non d’investir. Tout dépend du potentiel économique de chacune de ces start-up.

Au final, combien de start-up pensez-vous financer ?

Notre stratégie d’investissement est tout le contraire du saupoudrage. Avec les 35 millions d’euros déjà levés et les 60 millions au total que nous aurons à la fin de l’année, nous devrions être en mesure de financer 15 à 20 sociétés au maximum en quatre ans, à raison de quatre ou cinq par an.

Le principe est simple : chaque fois que le fonds investit une première tranche de 300.000 à 500.000 euros dans une start-up, il bloque entre 1,5 et 3,5 millions dans ses comptes dans le but d’accompagner le développement futur de la société.

Comptez-vous privilégier certains secteurs plutôt que d’autres ?

Dans un premier temps, notre objectif est de financer les start-up que nous estimons les plus porteuses d’avenir, peu importe le secteur. Ce qu’il faut absolument, c’est que ce soient des succès.

Dans quatre ans, lorsque l’intégralité des fonds de Quadrivium seront investis, nous lèverons non pas un mais peut-être deux ou trois nouveaux fonds spécialisés, par exemple l’un dans la santé, un autre dans l’ingénierie et le dernier dans l’environnement. Mais, au départ, il faut être totalement opportuniste et prendre ce qui passe.

Au départ, il faut être totalement opportuniste et prendre ce qui passe

Quid des start-up qui sont sélectionnées par le comité scientifique mais qui, au final, ne sont pas retenues ?

Nous essaierons de leur trouver des financements auprès d’autres fonds. Sachant qu’elles partent avec un net avantage, puisqu’elles seront estampillées du label scientifique de Quadrivium. Notre rôle, à Quadrivium Ventures et à Seventure, c’est aussi d’aider les chercheurs à trouver la bonne porte pour se faire financer.

Les 60 millions d’euros qui composent Quadrivium Ventures proviennent d’investisseurs publics (20 millions) et privés (40 millions). Que répondez-vous à ceux qui y voient une menace pour l’enseignement supérieur ?

La vocation première des établissements d’enseignement supérieur est, bien entendu, la recherche et la transmission de savoir. Mais il existe un sous-produit de la recherche qui est l’innovation. Et il est de la vocation d’un établissement académique d’exploiter, au nom de la société tout entière, tout ce que les chercheurs peuvent lui restituer, que ce soit par des découvertes, la transmission du savoir ou l’exploitation du produit de leur recherche au profit de l’économie.

La recherche fondamentale est du ressort du public puisqu’il n’y a pas nécessairement de perspective de rentabilité possible. Sur l’innovation, il y a une prise de risque et c’est alors au privé de prendre le relais.   

Quel est l’intérêt pour des fonds d’investir dans ce type d’actifs plutôt que dans de plus classiques ?

En faisant appel à un comité de sélection, composé d’experts pointus et reconnus dans leur domaine, Quadrivium accompagne des start-up non seulement innovantes mais surtout susceptibles d’introduire de véritables ruptures technologiques, à même de générer des taux de retour sur investissement de l’ordre de 8 à 15 %. De quoi séduire des investisseurs de fonds d’amorçage habitués à des retours faibles, voire négatifs.

Isabelle Dautresme | Publié le