Tal Bruttmann : "Il faut mieux former les enseignants sur la Shoah"

Isabelle Dautresme Publié le
Tal Bruttmann : "Il faut mieux former les enseignants sur la Shoah"
Le Mémorial de la Shoah organise des visites d'Auschwitz pour les enseignants et futurs enseignants // ©  Bjorn Steinz / Panos / REA
À l'occasion du 70e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz, le 27 janvier 2015, Tal Bruttmann, historien spécialiste de la Shoah, revient sur le manque de formation des enseignants sur cette période de l'histoire. Une réflexion qui fait écho à la "grande mobilisation de l'École pour les valeurs de la République" décrétée par Najat Vallaud-Belkacem suite aux attentats de début janvier.

undefinedPendant plusieurs années, vous avez accompagné des enseignants en Pologne, dans le cadre d'un partenariat entre le Mémorial de la Shoah et l'Éducation nationale. D'où est venue cette idée ?

En discutant avec des enseignants d'histoire-géographie du secondaire, je me suis aperçu qu'il existait une dichotomie entre les enjeux mémoriels liés à la Shoah et la connaissance des enseignants sur ce thème.

Alors que la Seconde Guerre mondiale figure parmi les périodes les plus importantes de l'histoire de la République – avec la Révolution française, comme le rappelle la Constitution –, les étudiants en histoire, des futurs enseignants pour certains, ont rarement été formés sur cette période durant leur cursus universitaire. Au moment de l'enseigner, il leur manque alors les connaissances scientifiques suffisantes. Mais, comme la Seconde Guerre mondiale est un sujet omniprésent, régulièrement évoqué tant au cinéma que dans la littérature, à la télévision ou dans la presse, les professeurs d'histoire-géographie peuvent avoir l'impression de le maîtriser. Dans ce contexte, il nous a semblé nécessaire de leur apporter du contenu, notamment en proposant une formation axée autour d’Auschwitz.

Sous quelle forme ?

Le Mémorial de la Shoah organise des conférences avec des historiens spécialistes de la question. Il propose également des voyages d'études de trois jours en Pologne. L'objectif est de permettre aux enseignants de mieux comprendre la politique d'extermination nazie. Auschwitz est particulièrement important car il est devenu le symbole à la fois de l'univers concentrationnaire et de la "solution finale". Mais c'est un site très complexe, constitué d'une multitude d'espaces. Le visiter aide à déconstruire les représentations et à corriger certaines erreurs, comme parler de "camps d'extermination" alors qu'il s'agit en réalité de "centres de mise à mort", ce qui est très différent !

Le problème, c'est que les professeurs qui s'emparent des outils que nous mettons à leur disposition ne sont pas nécessairement ceux qui en ont le plus besoin. Lors de nos voyages d'études nous avons, en effet, surtout affaire à des personnes qui sont déjà sensibilisées à la question. Soit parce que l’histoire de la Shoah les intéresse particulièrement, soit parce qu'elles ont éprouvé des difficultés à l'enseigner en classe. Mais la population enseignante est le reflet de la population française, y compris dans ses sensibilités politiques avec tout ce que cela suppose. Pour quelques-uns, le sujet ne présente pas d’intérêt particulier et n’est qu’un passage obligé du programme. 

La population enseignante est le reflet de la population française, y compris dans ses sensibilités politiques avec tout ce que cela suppose.

Pensez-vous que les attentats contre "Charlie Hebdo" et l'Hyper Casher de la porte de Vincennes sont susceptibles d'avoir un impact sur la formation des enseignants ?

On a longtemps pensé que l'antisémitisme avait disparu avec la Shoah. Ou, tout au moins, qu'il était circonscrit à l'extrême droite, tout comme le racisme d'ailleurs. Du coup, on l’a négligé dans la formation des enseignants. Or les événements récents montrent que non seulement nous n'en avons pas fini avec l'antisémitisme mais qu'en plus cette idéologie n’est pas propre à la seule extrême droite.

ll faut mieux former les enseignants sur ce champ particulier qu'est la Seconde Guerre mondiale et donc sur la Shoah. Mais attention, cela ne veut pas dire qu'il faille amener tout le monde à Auschwitz. La visite de ce lieu d’une part ne peut se faire sans apport scientifique et pédagogique, et d’autre part ne s’impose pas comme un passage obligé assurant une meilleure compréhension ou un meilleur enseignement. Il existe d'autres moyens. Le retour de la formation continue annoncé par la ministre de l'Éducation nationale il y a quelques jours est un signe encourageant.

Les actions du Mémorial de la Shoah
Conseils pour enseigner la Shoah, mises à dispositions de ressources pédagogiques mais aussi universités d'été à destination des enseignants. Le Mémorial de la Shoah multiplie les initiatives pour former les enseignants à cette période de l'histoire.

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Isabelle Dautresme | Publié le