"La Comue, le darwinisme social et l'extinction programmée du Muséum"

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Dans une tribune, quatre professeurs du Muséum national d'histoire naturelle - Donato Bergandi, Hervé Lelièvre, Pascal Tassy et Michel Van Praet - s'inquiètent de l'avenir de leur établissement face à la mise en place de la Comue Sorbonne Universités.

"Ce qui se cache derrière les anciens Pres et les futures Comue (Communautés d'universités et d'établissements) est une logique économiciste. A savoir, une orientation idéologique qui considère que l'économie a la primauté sur l'ensemble des autres activités humaines. Mutualisation des services et transfert de compétences ont été placés au service des économies d'échelle pour que les Comue, deviennent des machines à phagocyter les structures administratives, d'enseignement et de recherche.

Votée le 22 juillet 2013, la loi ESR de G. Fioraso propose aux universités et aux grands établissements trois possibilités de regroupement, la fusion, la Comue (un mode fédéral) et l'association (un mode confédéral). Seuls les deux premiers imposent la création d'un nouvel établissement. Cette différence est importante : le 'nouvel être juridique' instaure une dépendance hiérarchique et fonctionnelle qui conduit à la perte d'autonomie et au transfert des compétences à son profit. Au contraire, l'association permet de conserver la souveraineté et l'autonomie de chaque membre, ainsi que l'originalité et la spécificité de leurs activités.

Faire partie d'une Comue, suivant le mode de la fusion (ou absorption, aspiration, comme on voudra) équivaut à un acte d''hara-kiri institutionnel' ou de suicide politique.

Quel que soit le parti politique au gouvernement, qu'il soit de droite ou de gauche, la philosophie politique sous-tendue par la Comue exprime des présupposés propres au 'darwinisme social'. Cette doctrine politique se caractérise par le transfert en trompe-l'œil du principe de la sélection naturelle au domaine social. L'analogie de la 'survie des plus aptes', s'applique à deux niveaux de sélection pour l'accès aux ressources : une sélection intra- et une sélection inter-regroupements. La sélection intra-regroupement des effectifs entre petits et gros établissements a comme conséquence que les responsables défendant les intérêts des grosses institutions auront la prédominance au sein d'une Comue. La sélection inter-regroupements, provoquée par le redécoupage du territoire national, agira entre les différentes Comue qui se trouveront en compétition afin d'accéder à la répartition la plus favorable des ressources. D'où la justesse du point de vue du Groupe Jean-Pierre Vernant lorsqu'il dénonce la mainmise de la 'caste' représentée par les présidents d'universités et par les membres du groupe Marc Bloch sur les 'richesses' du grand emprunt (*).

La domination politique de ces responsables est l'expression de la 'survie des plus aptes'. Survie qui est servie par des procédures de scrutin indirect qui faciliteront la mise en place de systèmes administratifs où les communautés à fort effectifs auront la prédominance politique et la majorité dans son organe délibératoire, le conseil d'administration (CA), lieu décisionnel des élites. Cette hiérarchisation poussée évoque une sorte de 'centralisme démocratique', ce mode archaïque d'organisation politique où l'élite impose la ligne politique suivie à la lettre par les niveaux subalternes du parti. Les Comue sont une fausse bonne idée car elles ne sont que les spectres des anciennes baronnies des facultés d'avant 68 et du centralisme démocratique.

Les Comue sont une fausse bonne idée car elles ne sont que les spectres des anciennes baronnies des facultés d'avant 68 et du centralisme démocratique.

Les responsables des établissements dits 'd'excellence' armés du pouvoir hérité de leurs seules dimensions (effectif important), exerceraient une autorité sur les établissements plus petits. Les plus aptes ne sont que les plus gros : ici le seul trait sélectionné est la taille. Or la planète n'est pas peuplée que d'éléphants et les titanosaures de l'ère secondaire ont disparu. Quand la sélection naturelle induit la diversité biologique, le darwinisme social produit le contraire : l'uniformisation par absorption. Le Muséum national d'Histoire naturelle (membre de Sorbonne universités) avec sa singularité est représentatif des institutions de taille modeste aux missions spécifiques. La logique économique des Comue est aux antipodes de la plus-value liée à la diversité. Se limiter, en raison des inévitables contraintes budgétaires, à avancer un avantage économique immédiat est en fin de compte l'expression d'un aveuglement politique qui empêche de saisir la réelle portée de cette couche technocratique additionnelle et de ses finalités ultimes. Qui peut croire que la sélection sociale née de l'accommodement des acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche avec les élites politiques est un acteur fécond de sélection culturelle ? Faire partie d'une Comue, suivant le mode de la fusion (ou absorption, aspiration, comme on voudra) équivaut à un acte d''hara-kiri institutionnel' ou de suicide politique.

Une lourde responsabilité morale et politique pèse sur les épaules des responsables qui ont opté pour l'intégration dans une Comue fusionnante. Ils ont préparé ainsi les étapes administratives préliminaires à la disparition du Muséum national d'Histoire naturelle tel qui nous a été légué par l'histoire et avaliseraient la perte future de sa souveraineté politique et de son autonomie de projet."

Donato Bergandi, Hervé Lelièvre, Pascal Tassy et Michel Van Praet, professeurs du Muséum.

(*) Aujourd'hui baptisé « Investissements d'Avenir », sa richesse est toute relative. Sur les 11 milliards initiaux dédiés à l'enseignement supérieur et à la recherche, seuls les intérêts au taux de 3,41% de 3,6 milliards sont actuellement disponibles (soit 122.760.000 euros).

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