#MeToo à l'hôpital : des cris silencieux ?

Pauline Bluteau Publié le
#MeToo à l'hôpital : des cris silencieux ?
#MeToo à l'hôpital : des centaines de temoignages confirment l'omerta du monde médical. // ©  DEEPOL by plainpicture/Sue Barr
Il aura donc suffi d'une parole, d'un hashtag pour que les médias s'enflamment. Le 10 avril dernier, dans les colonnes de Paris Match, Karine Lacombe, infectiologue, accuse l'urgentiste Patrick Pelloux de "harcèlement sexuel et moral". L'annonce a fait l'effet d'une bombe. Depuis, les témoignages se multiplient de la part des médecins ou des internes, alors même que les enquêtes sur les violences sexistes et sexuelles n'ont eu de cesse d'alerter ces dernières années.

Un étudiant en pharmacie sur quatre a déjà été agressé sexuellement, tout comme 30% des étudiants en médecine ont été victimes de harcèlement pendant leurs études et un tiers des étudiants en soins infirmiers. Dans la majorité des cas, ces actes sont perpétrés, à l'hôpital, pendant un stage, par un supérieur hiérarchique.

Ces chiffres datent de 2021 et 2022. Mais finalement, dans chaque enquête sur le bien-être, et surtout, le mal-être des étudiants en santé, la question des Violences sexistes et sexuelles (VSS) revient. Toujours en suspens. Comme si les étudiants l'attendaient et connaissaient déjà la réponse.

Parler, un acte militant

Car derrière ces chiffres, on trouve le plus souvent des étudiantes. À peine âgées de plus de 20 ou 23 ans, elles racontent. Le médecin que l'on prend pour l'infirmière, le patient qui préfère que la petite jeune en blouse vienne faire sa toilette, le chef qui tente une approche physique envers une interne pendant une opération chirurgicale, les blagues lourdes au bloc opératoire. Des anecdotes, les étudiants en santé en ont des tonnes. Souvent, elles ne se rendent même plus compte de ce qu'elles subissent car depuis qu'elles ont 18 ou 19 ans, elles passent leur "vie à l'hôpital".

D'ailleurs, même sans aborder le sujet frontalement avec elles, rien qu'en évoquant le déroulement de leurs premiers stages ou de leur expérience à l'hôpital, on finit par y trouver une pincée de sexisme, d'humiliation ou de harcèlement sexuel. Toutes en parlent. Toutes. Au détour d'une discussion, d'une table-ronde, d'un colloque, d'un congrès, les étudiantes osent. Parfois la tête baissée, avec un air de "je l'ai dit mais je n'ai rien dit". Du off, comme on l'appelle dans le journalisme.

Elles racontent le plus souvent sous couvert d'anonymat. Car même si elles savent qu'elles ne sont pas seules, elles ont encore du mal à savoir vers qui se tourner et surtout, à quoi bon en parler. Certaines estiment que "ce n'est rien", que "c'est l'ambiance de l'hôpital". D'autres ont des inquiétudes sur leur future carrière. "Ça reste une honte, un combat pour les étudiantes, admettait une interne en médecine. Dénoncer, ce n'est pas anodin, c'est un acte militant."

L'omerta malgré les alertes

Car si aujourd'hui, la parole tend à se libérer comme cela a été le cas dans le monde du spectacle, du cinéma et dans dans de nombreuses écoles grâce aux balance ton stage, balance ton école d'art ou autres #sciencesporcs, dans les études de santé, l'omerta règne toujours en maitre malgré les alertes.

Il aura fallu attendre début 2023 que les fresques carabines, souvent à connotation sexuelle, soient interdites des salles de garde. Fin 2023, que la Conférence des doyens de médecine lance une concertation sur les risques psychosociaux et les VSS. Février 2024 qu'un praticien hospitalier soit condamné à 12 mois d'interdiction d'exercice pour harcèlement moral et sexuel. En mars, un étudiant avait quant à lui été condamné à cinq ans de prison avec sursis pour agressions sexuelles (il doit finalement reprendre son stage à l'hôpital, ndlr).

De petites victoires dans une "culture carabine" qui ne prend pas une ride. Peut-être qu'il faut multiplier les témoignages, peut-être que c'est la seule solution pour se faire entendre. Mais n'est-ce pas trop facile d'en arriver là ? Pourquoi les enquêtes, les livres, les chiffres, les condamnations ne suffisent pas ?

Les associations étudiantes attendent "des solutions concrètes". Elles les attendent depuis toujours car ce n'est pourtant pas faute d'alerter. Ou plutôt #PasFautedAlerter : le message passera peut-être mieux à coup de hashtag.

Pauline Bluteau | Publié le