"Quand les machines corrigeront le bac", la chronique d'Emmanuel Davidenkoff

Emmanuel Davidenkoff Publié le
Un logiciel est-il capable de corriger des copies avec la même pertinence qu’un être humain ? Au-delà de la question technique, l'enjeu est, bien sûr, également économique et politique. Cette chronique a été publiée par l'Echo Républicain.

Dans deux jours tomberont les résultats du bac, ce qui ravivera pour quelques heures le débat sur son niveau. Profitons-en, car à cette polémique récurrente devrait très vite s’en substituer une nouvelle : un logiciel est-il capable de corriger des copies avec la même pertinence qu’un être humain ?

Comme souvent, le débat viendra des Etats-Unis, où plusieurs expériences menées par des chercheurs en intelligence artificielle poursuivent le Graal de la correction massive automatisée.
Elle demeure peu intéressante à l’échelle d’une classe, sauf à standardiser des exercices au niveau national, puisque la programmation de la machine impose qu’une centaine de devoirs aient préalablement été corrigés par un être humain, afin de paramétrer le logiciel. Pour les examens et concours, elle permettra en revanche des gains de temps et d’argent extraordinaires.

Cette innovation est imminente, et seules nos réticences culturelles en retarderont l’avènement. Il faudra s’habituer à ce que les élèves composent sur ordinateur, et surtout admettre qu’un logiciel n’est pas moins juste qu’un professeur – ce point fera sans doute longtemps débat, alors même que la docimologie a prouvé depuis le début du XXe siècle que les corrections humaines étaient tout sauf justes (parmi les effets pervers systématiques et validés les plus connus : la tendance à surnoter une copie moyenne venant après une mauvaise copie et, en miroir, la tendance à sous-noter une copie moyenne venant après une très bonne copie).
De manière assez cocasse lorsqu’on y songe, le débat qui précèdera l’acceptation de ces systèmes sera possiblement bien plus violent que lorsqu’il  fallut nous convaincre de remettre nos vies à des métros sans conducteur ou à des avions mus par des pilotes automatiques.

Couplés aux cours massifs en ligne (Moocs), de tels systèmes de correction vont en tout état de cause profondément redessiner l’économie de l’éducation, libérant un temps aujourd’hui consacré à des tâches chronophages et/ou répétitives, sans affecter la qualité ni l’équité de l’enseignement, voire en les améliorant.
Cette évolution se fera pour le meilleur si ce temps est réinvesti au profit des élèves, des étudiants et, dans le supérieur, de la recherche. Mais elle peut aussi se faire pour le pire si ces innovations servent de prétexte à une uniformisation de l’offre et à des suppressions de postes.

Elle ouvre en outre de nouvelles perspectives au privé qui, notamment dans le supérieur, pourra rapidement affecter ses dépenses différemment et, à terme, diminuer ses coûts – là aussi, la question est de savoir qui en profitera le plus, du consommateur ou de l’actionnaire, et si le service public saura faire face à cette nouvelle donne concurrentielle.

Au regard de ces évolutions imminentes, la petite musique qu’entonnera d’ici deux jours le chœur des contempteurs du bac évoquera celle que l’orchestre du Titanic continua à interpréter pendant de longues minutes après que le navire eut heurté l’iceberg qui allait l’envoyer par le fond – dérisoire halo sonore d’un monde bientôt englouti.

Emmanuel Davidenkoff | Publié le