Quelle pédagogie pour la nouvelle génération?

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Quelle pédagogie pour la nouvelle génération?
"Pour la génération Z, le 'pourquoi faire' est devenu le moteur de tous les apprentissages", selon Éric Lalitte. // ©  UCL
Pour Éric Lalitte, directeur d'In'tech Info (groupe ESIEA), on prête à la génération Z née avec Internet une maîtrise intuitive des outils numériques et de leurs possibilités. La réalité ne correspond pas toujours au portrait statistique d'une génération plus hétérogène qu'on ne le dit et qui a encore besoin de prendre confiance en ses propres richesses.

Éric Lalitte, directeur d'Intech'Info

"On dit des nouvelles générations qui se présentent dans les écoles de professionnels du numérique qu'elles ont beaucoup changé ; c'est à la fois vrai et faux. Nés avec Internet, ces jeunes gens n'ont jamais vécu sans un accès immédiat à l'information : blogs, site de partage, etc. Pourtant, s'ils possèdent une maîtrise intuitive des outils que les générations précédentes ont dû s'approprier, elle ne semble pas leur faciliter les études.

On le mesure au nombre de ceux qui quittent précocement le secondaire (620.000 entre 18 ans et 24 ans – selon les chiffres du gouvernement). Quel type de pédagogie faut-il privilégier afin de favoriser le succès de tous ? Cette question est aujourd'hui primordiale lorsque l'on souhaite former des personnes polyvalentes, capables de s'adapter à un monde qui change sans cesse.

Une pédagogie du concret et de l'accompagnement individuel

En premier lieu, une pédagogie adaptée doit privilégier un enseignement basé sur la pratique ; car il apparaît clairement que les cours théoriques et magistraux ne peuvent convenir à tous. Ils ne correspondent ni aux capacités d'attention des étudiants, ni aux réalités de l'exercice de leur future activité. Confrontés à la pléthore d'information que recèlent les nouveaux médias, les jeunes élèves ont bien conscience de ce qu'ils ne pourront jamais tout savoir. Pour eux, le 'pourquoi faire ?' est devenu le moteur des apprentissages.

Les cours théoriques et magistraux ne correspondent ni aux capacités d'attention des étudiants, ni aux réalités de l'exercice de leur future activité.


Un exemple : plutôt que d'évoquer interminablement en cours tous les détails du routage réseau au risque d'en endormir plusieurs, on propose désormais aux étudiants de créer un véritable réseau, sans attendre. Cette mise en situation professionnelle précoce permet de s'appuyer sur un cadre concret qui sert de support à une véritable appropriation. L'enseignant y est là pour chacun, pas seulement pour transmettre, mais aussi pour apprendre à identifier les solutions qui fonctionnent ; en résumé : pour apprendre à apprendre. Ce travail d'accompagnement individuel est redevenu essentiel.

Désapprendre la compétition

Lorsque l'on apprend ainsi, il n'y a pas de concurrence, les étudiants doivent collaborer, demander à leur voisin comment il a fait ; ils sont sollicités lorsqu'ils ont résolu un problème et se sentent en droit de demander un coup de main lorsqu'une nouvelle difficulté survient, etc.

La mémorisation des contenus pédagogiques est bien meilleure lorsqu'elle met en jeu des échanges et de la créativité et lorsque l'on 'fait' quelque chose. La dynamique change également : il n'y a pas des 'bons' et des 'mauvais', mais un ensemble de personnes confrontées à une demande qui s'approprient un savoir, individuellement et collectivement ; et motivées au point d'en oublier parfois la pause !

Enseigner ce qui n'est pas écrit

Il existe de nombreuses manières de communiquer et de s'exprimer, les maîtriser est considéré comme central dans un nombre croissant d'écoles dans le monde et doit aussi faire partie de nos enseignements. Bien qu'ils soient présents sur les réseaux sociaux très précocement, les étudiants ne savent pas pour autant communiquer.

À l'aise en ligne, le gourou d'un forum pourra être incapable de prendre la parole en public ! Or, devoir simplement échanger par mail avec un client implique déjà une quantité de savoirs : savoir transmettre une information, poser les bonnes questions, organiser des réunions, etc. Il y a quantité d'enjeux différents associés à la réalisation technique que la pédagogie doit intégrer. Les cours d'orthographe prennent un autre poids dans ce contexte...


Les métiers du numérique impliquent avant tout de "rendre service aux autres". Cela met en jeu 50% de technique et 50% de compétences humaines.


Tout savoir n'étant pas forcément écrit, il faut aussi enseigner comment 'lire' un discours ou interpréter des réactions. Développer l'intelligence émotionnelle et les compétences humaines est essentiel car les émotions mal gérées interfèrent avec les apprentissages mais aussi avec l'exercice d'une profession.

Les métiers du numérique impliquent avant tout de 'rendre service aux autres'. Cela met en jeu 50% de technique et 50% de compétences humaines. Les étudiants n'en sont pas forcément conscients au départ. Il est même possible que certains s'interdisent des carrières qui leur seraient pourtant ouvertes ! Notre culture de l'excellence dans une discipline qui justifierait à elle seule une vocation est aussi à revoir.

Identifier et valoriser plus tôt d'autres compétences

Les professionnels de l'enseignement informatique se sont rapidement aperçus que des élèves en difficulté dans les matières théoriques pendant les classes préparatoires intégrées occupaient plus tard, en entreprise, des postes équivalents à ceux qui avaient effectué un cursus brillant.

C'est dans ce contexte qu'ont été créées des écoles comme In'tech Info : afin d'accueillir tous les profils, sans distinction de baccalauréat d'origine. Il est formidable de constater qu'un élève qu'on pensait peu assuré sur le plan technique fait merveille dans l'entreprise où il effectue son stage ; au point que l'on vienne nous voir pour nous demander une dizaine d'autres comme lui ! 

Aujourd'hui, les jeunes ignorent leurs propres richesses et ne savent pas identifier leurs points forts. Cela est dû en grande partie à une éducation qui néglige l'apprentissage des compétences non techniques.



Capacité à régler des conflits, à fédérer les énergies autour d'un projet, à établir une relation de confiance, à anticiper les besoins, à prévoir un dysfonctionnement : rien n'est fait au lycée pour identifier et valoriser ces compétences humaines pourtant essentielles au bon fonctionnement d'une société.

Aujourd'hui, les jeunes ignorent leurs propres richesses et ne savent pas identifier leurs points forts. Cela est dû en grande partie à une éducation qui néglige l'apprentissage des compétences non techniques. Évaluer ces compétences plutôt que sanctionner par une note dans une discipline est devenu primordial. Cela signifie simplement : identifier les activités que l'on est capable de faire dans tel ou tel domaine et celles que l'on ne maîtrise pas encore. Cela change tout, car chaque étudiant possède un ou plusieurs points forts.

Aujourd'hui, dans un marché du travail qui réclame des collaborateurs aux compétences variées, capables d'évoluer dans des milieux diversifiés, la confiance en soi est essentielle. Favoriser l'accès aux études et aux métiers de l'informatique à tous est possible, mais pour cela, il faut une pédagogie qui montre... qu'il n'existe pas une unique façon de réussir."

Éric Lalitte, directeur d'In'Tech Info (groupe Esiea)

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