Andrée Sursock  : "Pour atteindre l'égalité femmes-hommes, la contrainte doit avant tout être sociale"

Morgane Taquet Publié le
Andrée Sursock  : "Pour atteindre l'égalité femmes-hommes, la contrainte doit avant tout être sociale"
Pour Andrée Sursock, une politique globale doit être mise en place pour atteindre la parité. // ©  plainpicture/Westend61/Sigrid Gombert
"Femmes et pouvoir, quelle égalité ?" L’Association des femmes dirigeantes de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation s'est penchée sur la question lors de son séminaire annuel, le 19 janvier 2018. Andrée Sursock, Senior Advisor au sein de l'Association européenne des universités apporte son éclairage international.

22,5 % de femmes professeurs des universités, 19 % de directrices de recherche, 9 présidentes d’université… Dans l’enseignement supérieur français, peu de femmes occupent des postes à responsabilité. Comment expliquer cela ?

Ces inégalités ne sont pas spécifiques à la France. Lors de mes évaluations dans bon nombre de pays en Europe, j'ai constaté une certaine parité dans la catégorie des doctorants. Mais dès qu’on grimpe dans la hiérarchie, cette parité se dilue progressivement.

Andrée Sursock
Andrée Sursock © EUA

Toutefois, certains pays font exception, à l’image des pays scandinaves. En Suède, par exemple, il y avait peu de femmes présidentes d’université il y a encore quinze ans. Un programme de formation à la présidence a été mis en place et, au bout de dix ans, plusieurs femmes ont accédé à de telles fonctions. Les statistiques évoluent dans le bon sens, mais il faut rester prudent car des reculs sont possibles…

Vous constatez un certain retour en arrière, en matière de politiques d'égalité ?

Je dis qu'il faut être vigilant avec ces questions de pouvoir et de privilèges, et qu'en la matière il n'y a pas d'acquis. J'ai accompli une partie de mes études à Berkeley, aux États-Unis. En 1975, la personne qui est devenue ma directrice de thèse avait remarqué que, dans les laboratoires, il y avait plus de femmes dans les années 1940 qu'en 1975. Autre exemple : de la Renaissance jusqu'au 18e siècle, parmi les grands peintres, on retrouvait plusieurs femmes qui étaient particulièrement reconnues. Mais il n'y a pas eu de relais dans les musées, dans les galeries, car le monde de la peinture continuait à être façonné par les hommes. Résultat : ces femmes peintres ont totalement disparu de la muséographie.

Ce que je veux pointer du doigt, c'est l'insuffisance de masse critique : la présence de quelques femmes à des postes à responsabilité ne fait pas la différence. En 2015, le cabinet de conseil McKinsey évaluait ainsi le point de bascule à 35 %. Il faudrait 35 % de femmes dans les équipes dirigeantes pour que cela fasse une différence.

Quels sont les obstacles à l'exercice du pouvoir par les femmes ?

J'utiliserai trois métaphores pour parler de la situation des femmes dans l’enseignement supérieur. La première est celle du tuyau percé : c'est l'idée selon laquelle il faut un nombre important de doctorantes pour arriver à ce qu'une femme devienne professeur. C'est notamment le cas dans les sciences.

Autre figure de style applicable au supérieur : le sol gluant, c'est l'étape avant le plafond de verre, ce sont ces femmes "engluées" dans des fonctions intermédiaires qui ont du mal à dépasser le niveau de directrice de département, par exemple.

Et enfin, il y a le plafond de verre, qui empêche d'arriver à la fonction suprême de présidente d’université.

Un cadre légal contraignant est-il la clé pour améliorer ces chiffres ?

La contrainte n'a pas à être forcément légale. Il faut qu'il y ait une pression sociale extérieure pour que cela fonctionne. En Suède, par exemple, une association publie tous les écarts de salaire entre hommes et femmes. La prise de conscience globale, c'est aussi de tenter de convaincre que le leadership féminin est tout aussi efficace que le leadership masculin.

Prenons l'exemple de l’Islande, le pays le plus paritaire d'Europe. Quand la plupart des banques ont fait faillite en 2008, la seule banque qui a survécu fut celle qui était dirigée par des femmes, car elles avaient été plus prudentes. Les pays qui réussissent ont pris à bras le corps le problème, et ont eu une approche très exhaustive. On ne peut pas réformer une institution à la fois, il faut travailler sur les aspects légaux, les mécanismes et les leviers de changement au niveau des gouvernements et des associations. En Suisse, par exemple, l'Agence d'accréditation et d'assurance qualité des universités a inclus la politique de genre dans son évaluation.

Sans politique globale, on constate le phénomène de dents de scie. En la matière, le moment de libération de la parole des femmes qui nous vivons actuellement créé un climat propice à cette prise de conscience générale.

Morgane Taquet | Publié le