Apprentissage : les écoles privées se rebiffent

Étienne Gless Publié le
Apprentissage : les écoles privées se rebiffent
Les écoles privées ne veulent pas être lésées par la réforme de l'apprentissage en cours. // ©  Eduservices
Cinq groupes d’enseignement supérieur privé s’inquiètent de la réforme du financement de l’apprentissage. Parmi les craintes exprimées par Eduservices, le Cesi, Galileo-Studialis, d'Eductive et le groupe IGS : la diminution des sommes allouées au barème et la question du financement de l’interprofessionnalisation.

"Confier la construction des diplômes aux b­ranches professionnelles, c’est comme confier la politique du logement aux promoteurs immobiliers !" Philippe Grassaud, P-DG d’Eduservices, n’y va pas par quatre chemins avec l’axe majeur de la "révolution copernicienne" de l’apprentissage, engagée par l’exécutif depuis le 9 février 2018 : le pilotage de l’apprentissage par les branches professionnelles.

Le patron d'Eduservices avec ceux des groupes privés Cesi, Galileo-Studialis, Eductive et IGS ont créé le 21 mars 2018 le collectif des Entreprises éducatives pour l’emploi (3E). Ce lobby du "100 % privé lucratif", comme le surnomme avec autodérision un de ses membres, regroupe uniquement des sociétés commerciales. Il entend bien donner de la voix, alors que le projet de loi de réforme de l’apprentissage sera présenté le 16 avril en Conseil des ministres et examiné au Parlement en juin. "Nous formons plus de 100.000 jeunes, dont la moitié en alternance, et nous représentons 45 % des contrats de professionnalisation postbac conclus en France", précise Philippe Grassaud.

Créer un statut d'entreprise à but éducatif

Les entreprises éducatives pour l'emploi réclament à être traitées à parts égales avec les autres acteurs de la formation en alternance, qu'ils soient publics, consulaires, associatif à but non lucratif. Jusqu'ici, les sociétés commerciale ne peuvent pas accéder à des financements de type subventions ni obtenir le statut d'EESPIG (établissement d'enseignement supérieur privé d'intérêt général). Elles plaident donc pour la création d'un statut d'entreprise à but éducatif, calqué sur le modèle des EESC (établissement d'enseignement supérieur consulaire), un statut de société anonyme par actions créé en 2014 et accessible aux écoles des chambres de commerce.

Le barème avait son utilité : maintenir un lien étroit entre l’entreprise et le centre de formation.
(R. Serre)

Un barème réduit de 575 millions d’euros en cinq ans

Autre grief : "Le gouvernement envisage de diviser par trois la part de la taxe d’apprentissage qui revenait aux établissements techniques, ce qu’on appelle le barème, ou "hors quota", qui finance les établissements", dénonce Roger Serre, délégué général et l'un des fondateurs du groupe IGS. Et d'ajouter : "Veut-on appauvrir l’enseignement technique en lui enlevant les deux tiers de ses ressources complémentaires ? 88.000 jeunes risquent alors de ne plus y étudier. Attention à ne pas casser ce qui marche !"

Les groupes d'éducation technique privés plaident pour que soit sanctuarisé l’ex-barème (rebaptisé CDFTI, pour contribution au développement de la formation technique initial), et, surtout, pour que son taux soit revalorisé à 0,215 % de la masse salariale ou, a minima, à 0,156 % comme actuellement. Dans le futur système, la part de la contribution alternance à la CDFTI serait en effet en forte diminution, à 0,08 % de la masse salariale.

Jean Herlain, conseiller emploi du groupe IGS, a fait le calcul : "En 2013, sur 3 milliards d’euros de collecte de taxe d’apprentissage, 935 millions étaient affectés aux écoles dans le cadre du barème. Après la loi de 2014, on est passé à 630 millions. Dans le projet de loi actuel, la collecte diminuera de moitié, soit 325 millions. En cinq ans, on a donc perdu 575 millions. C’est dramatique pour l’ensemble de l’enseignement professionnel public et privé !" La diminution de cette ressource représente 7 à 15 % du budget des établissements.

"À un moment donné quand il n'y a plus, on ne fait plus", soupire encore Roger Serre, également vent debout contre l'arrêt du versement de la taxe d’apprentissage des entreprises directement aux organismes de formation. Dans le nouveau système, la future contribution alternance serait en effet intégralement collectée par les seules Urssaf. "Le barème avait son utilité : maintenir un lien étroit entre l’entreprise et le centre de formation, plaide le président du groupe IGS. Le fait de verser la future contribution alternance à l’Urssaf tue le seul lien financier direct entre les entreprises et les organismes de formation."

Quid de l'interpro pour les formations supérieures ?

"Il faudra aussi garantir des fonds pour financer les formations aux métiers plutôt transverses", avertit Sophie Crespy, directrice de Cesi Alternance, qui pointe une fois encore le risque du pilotage par les branches professionnelles : "Les branches ont leurs préoccupations et souhaiteront financer d'abord leurs propres métiers et non des métiers transverses."

Comment garantir alors le financement de formations en alternance dans l'enseignement supérieur, comme les ressources humaines, qui intéressent tous les secteurs ? "Jusqu'ici, le financement était garanti par deux OPCA, Agefos PME et Opcalia. Mais demain ? Est-ce qu'une partie de la contribution sera garantie au sein de chaque branche, ou maintiendra-t-on une le système actuel pour que ces métiers transverses puissent continuer à s'apprendre en alternance ?"

Pourtant, les entreprises ont actuellement d'énormes besoins sur des niveaux de formation postbac, donc davantage transverses. "Chez Engie, nous employons 2.000 alternants, dont seulement 4 % préparent un CAP", observe ainsi Rachel Compain, la directrice développement social et diversité. "Si, demain, Thalès ne peut plus recruter des ingénieurs en alternance, ils n’embaucheront pas pour autant des boulangers !" ironise un autre membre de 3E. Manière, une fois de plus, de reprocher à la réforme de l'apprentissage de privilégier d'abord l'infrabac...

Étienne Gless | Publié le