Bilan "1 jeune, 1 solution" : l'apprentissage, fer de lance de l'emploi des jeunes

Rachel Rodrigues Publié le
Bilan "1 jeune, 1 solution" : l'apprentissage, fer de lance de l'emploi des jeunes
L'apprentissage constitue un puissant levier contre le chômage des jeunes. // ©  Stephane AUDRAS/REA
Favorisé par les effets incitatifs des aides à l'embauche, l'essor conséquent de l'apprentissage se confirme, tout en révélant des disparités de profils et l'enjeu de qualité des formations, selon France Stratégie, qui dresse le bilan du dispositif "1 jeune, 1 solution".

L'apprentissage se porte bien. C'est le bilan, dressé en janvier 2024, par le rapport d'évaluation de France Stratégie sur le dispositif "1 jeune, 1 solution", lancé en 2020, pour pallier les difficultés structurelles engendrées par la crise du Covid-19.

Ce constat intervient dans un contexte d'essor de l’alternance, poussé par plusieurs politiques impulsées par Emmanuel Macron. La prolongation de l'aide unique à l'embauche d'apprentis, fin novembre, a confirmé le souhait du gouvernement d'atteindre le cap symbolique d'un million d'apprentis par an, d'ici la fin du quinquennat.

Le contrat d'apprentissage, roi de l'alternance

Dans le détail, le bilan du dispositif confirme ce succès à travers la signature de 837.000 nouveaux contrats d’apprentissage en 2022 (dont 821.900 pour les jeunes de 16 à 29 ans). Un chiffre en augmentation de 14% par rapport à 2021.

Cette hausse est cependant un peu moins marquée que celle observée entre 2020 et 2021, qui était alors de l'ordre de 38%, "ce qui pourrait signifier que les entreprises éligibles à l’aide à l’apprentissage y aient pour la plupart déjà eu recours en 2021", précisent les auteurs du rapport.

À titre de comparaison, les contrats de professionnalisation enregistrent eux une baisse de 12% entre 2021 et 2022. Le nombre d’entrants en contrat de professionnalisation est passé de 79.600 à 71.800 en 2022 (et de 66.900 à 59.100 pour les moins de 26 ans).

Un écart que Ahmed El Khadiri, délégué général de l'Union nationale des missions locales (UNML), justifie par la "finalité" de ce type de contrats, qui n'est pas la même que pour les contrats d'apprentissage. "L'apprentissage est ouvert à tous types de qualifications tandis que seuls les titres professionnels RNCP sont ouverts au contrat de professionnalisation", rappelle-t-il.

L'impact du soutien financier

L'essor du contrat d'apprentissage s'explique avant tout par l'existence d'un système d'aides financières "largement incitatif" pour les entreprises accueillant des jeunes, explique Ahmed El Khadiri.

Résultat : "les employeurs ont tout intérêt à recruter les jeunes en apprentissage plutôt que sous la forme d'autres contrats", affirme Stéphane Lembré, historien à l'université de Lille, spécialiste de l'apprentissage, de l'emploi et de l'éducation.

Les employeurs ont tout intérêt à recruter les jeunes en apprentissage plutôt que sous la forme d'autres contrats. (S. Lembré, université de Lille)

Preuve du recours conséquent des entreprises à ces financements, les aides à l'embauche d'alternants ont représenté environ 80% des dépenses effectuées pour les dispositifs du plan "1 jeune 1 solution", entre 2020 et 2022, révèle France Stratégie.

Selon leurs calculs, il est possible d'estimer qu'en 2020, 80.000 embauches auraient été engendrées par la mise en place de l'aide à l'apprentissage, sur un total de 629.600 contrats signés, cette année-là. Cela représente environ la moitié de la hausse observée entre 2019 et 2020.

L'apprentissage, nouveau levier contre le chômage des jeunes

Outre l'argument financier, l'alternance est aussi devenue un rempart contre le chômage des jeunes, observe Stéphane Lembré. "La politique menée vis-à-vis de l'apprentissage aujourd'hui, est subordonnée à une politique pour l'emploi des jeunes".

La hausse du taux d'emploi des jeunes de 15 à 24 ans, ces deux dernières années (+3,9 points entre 2020 et 2021 et +2,6 points l'année suivante), s'explique d'ailleurs à moitié par les contrats d'apprentissage conclus, selon le bilan de France Stratégie.

Ce type de contrat représente, en effet, 1,7 point de l'augmentation observée en 2021, contre 0,7 point pour les contrats en CDI et 0,3 point pour les contrats en CDD. En 2022, 1,3 point de l'augmentation est due aux contrats d'apprentissage, contre 1,2 pour les CDI et 0,2 pour les CDD. "Le dynamisme de l’emploi des jeunes en apprentissage ne s’opère donc pas au détriment de l’emploi en CDI et en CDD", précisent les auteurs de l'étude.

Une filière valorisée

Les représentations ont également évolué. Dans l'esprit collectif, "l'apprentissage est devenu une formation par alternance et non plus une formation sur le tas, comme c'était encore le cas dans les années 1970", détaille Stéphane Lembré.

L'historien va plus loin. Progressivement vu comme une "forme d'éducation en soi" et non plus un "simple contrat" avec la loi du 16 juillet 1971, l'apprentissage a été élargi à tous les types de formations, en 1987. "Et il est plus plus attrayant de communiquer sur des ingénieurs qui entrent dans le monde du travail avec de bons salaires via l'apprentissage que de parler de jeunes qu'on a poussés vers l'apprentissage par défaut", détaille-t-il.

Aujourd'hui, toutes les filières semblent s'y intéresser. En témoigne le nombre croissant d'établissements de l'enseignement supérieur (publics comme privés) qui ouvrent et communiquent sur leurs cursus en alternance. "Sans pour autant être gage de qualité, notamment dans le privé", avertit l'historien.

Moins d'apprentis infra-bac

Une autre réalité tend à se confirmer : les étudiants en apprentissage sont de plus en plus diplômés. Les données établissent qu'en 2019, 45% d’entre eux avaient un diplôme de niveau inférieur au baccalauréat. Cinq ans plus tard, en 2022, ils n'étaient plus que 30% dans cette situation.

À l'inverse du contrat de professionnalisation qui voit sa part de bénéficiaires infra-bac augmenter, passant de 17% en 2019 à 29% en 2022.

Se former en apprentissage n'est plus synonyme d'études courtes. (S. Lembré)

Selon le rapport de France Stratégie, cette hausse du niveau de diplôme des apprentis a probablement été favorisée par "l’élargissement des dispositifs d’aide vers les niveaux de qualification supérieurs, par rapport à l’aide unique qui existait avant le plan de relance", et qui ne s'adressait alors qu'aux entreprises embauchant des jeunes infra-bac.

Néanmoins, une tendance plus générale se dessine. "Se former en apprentissage n'est plus synonyme d'études courtes", affirme Stéphane Lembré. Si avant, l'apprentissage s'adressait plutôt à un public de jeunes éloignés du cadre scolaire classique, pour leur donner l'opportunité de s'insérer professionnellement plus rapidement, aujourd'hui, "l'entrée immédiate sur le marché du travail après ce type de formation n'est plus systématique".

Aller chercher les bas niveaux de qualification

L'augmentation du nombre d'étudiants apprentis plus diplômés est une évolution positive qu'il faut encourager, selon Ahmed El Khadiri, tout en n'oubliant pas les publics de jeunes avec des niveaux de diplôme plus faibles.

Pour le délégué général de l'UNML, plusieurs leviers peuvent être actionnés. "Il faut travailler en profondeur avec les CFA et les acteurs économiques pour mieux approfondir l'articulation entre l'apprentissage et les organismes de formation", explique-t-il.

Sur l'aspect financier, la piste de pondération des aides en fonction du niveau de qualification n'est pas tranchée. "Si on a réussi à développer l'apprentissage aujourd'hui, c'est aussi parce qu'on dispose d'une règle simple qui s'applique à tous", rappelle-t-il, précisant qu'une telle différenciation risquerait par là-même, de complexifier administrativement le modèle.

Rachel Rodrigues | Publié le