Bilan du quinquennat Macron : la diminution nette du chômage des jeunes ne bénéficie pas aux moins qualifiés

Etienne Gless Publié le
Bilan du quinquennat Macron : la diminution nette du chômage des jeunes ne bénéficie pas aux moins qualifiés
Le contrat engagement jeunes lancé début mars vise les jeunes sans formation. // ©  Stephane Audras/ REA
Après cinq ans de mandat, le constat est clair : la réforme de l'apprentissage et les mesures d'urgence mises en place du fait de la crise sanitaire ont joué un rôle majeur dans la diminution du chômage des jeunes. Reste que la situation des moins qualifiés demeure problématique.

Sur le papier, le bilan est positif. A l'issue des cinq années de mandat, le chômage des jeunes est en baisse. Le taux de chômage des 15-24 ans est effectivement descendu sous la barre des 16% (15,9%) alors qu’il dépassait les 20% (20,3%) fin 2019. "C’est son plus bas niveau depuis 1981", constate Eric Heyer, économiste à l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) dans une étude sur le marché du travail au cours du dernier quinquennat publiée en mars 2022.

"Les dispositifs d’urgence mis en place à l’occasion de la crise ont joué un rôle fondamental", analyse Franck Morel, ancien conseiller du Premier ministre Edouard Philippe pour les questions de relations sociales, de travail et d'emploi. "Le soutien de l'emploi des jeunes, malgré un bilan mitigé, a permis la création d'emplois".

Mais, quand on y regarde de plus près, les jeunes les moins qualifiés restent sur le carreau. Ils ont peu bénéficié de l'ouverture de l'apprentissage avec la réforme de 2018 et encore moins des aides exceptionnelles à l'embauche d'apprentis qui ont davantage bénéficié aux étudiants du supérieur.

Des subventions massives à l'embauche des jeunes aux effets limités sur l'emploi

Adopté en juillet 2020 par le nouveau gouvernement de Jean Castex, le plan "1 jeune, 1 solution" voulait éviter le syndrome de "génération sacrifiée" du fait de la conjoncture économique dégradée par la crise sanitaire. Ce catalogue de dispositions devait permettre de limiter la hausse du chômage parmi les quelque 750.000 jeunes sortis du système scolaire en septembre 2020. Au total, pas loin de 12 milliards d’euros auront été consacrés en deux ans à ce plan jugé très coûteux par la Cour des comptes dans son dernier rapport annuel.

Dans la panoplie des mesures mises en œuvre, le plan "1 jeune, 1 solution" proposait ainsi pour faciliter l'insertion professionnelle des jeunes une aide aux entreprises (AEJ) de 4.000 euros versée aux employeurs pour tout jeune de moins de 26 ans recruté entre le 1er août 2020 et le 31 mai 2021, dans la limite de 1,6 Smic, quel que soit le niveau de qualification. La Cour des comptes a pointé son coût et sa relative inefficacité. "Cette aide généraliste – deuxième mesure en termes de coûts [NDLR : plus de 900 millions d’euros en moins d’un an] – n’a pas eu d’effet sur le volume total de l’emploi", estiment les magistrats de la rue Cambon.

Les dispositifs d’urgence mis en place à l’occasion de la crise ont joué un rôle fondamental (F. Morel, ancien conseiller du Premier ministre Edouard Philippe)

Plus nuancé, le Conseil d'analyse économique (CAE, organisme placé auprès du Premier ministre) estime que la prime à l'embauche de 4.000 euros a généré une augmentation d’environ 8% du nombre d’embauches, entre août 2020 et février 2021, soit un "impact robuste et statistiquement significatif". Le CAE juge cependant l'impact de cette aide plus faible que des mesures similaires comme le zéro charge adopté en 2008 lors de la crise financière.

Même constat pour la Dares (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du Travail) pour qui le dispositif de l'AEJ aurait permis une hausse de 7% de l’emploi en CDI ou CDD longs des jeunes de 22 à 25 ans soit 60.000 emplois supplémentaires rien qu'entre août et décembre 2020. Cependant, l’AEJ aurait favorisé un déplacement de l’emploi des 22-25 ans vers des CDD longs et CDI au détriment de l'emploi non salarié et de l'emploi intérimaire. Au total, selon la Dares, la mesure n'aurait donc pas augmenté le taux d'emploi des jeunes. Ce sont en fait les aides à l'embauche d'alternants qui auront fait le plus pour l'insertion professionnelle des jeunes.

Le supérieur, principal bénéficiaire des aides à l'embauche d'apprentis

Et effectivement, le gouvernement a été généreux... Ainsi, les aides à l'embauche d'alternants (contrat d'apprentissage ou de professionnalisation), qui accordaient aux employeurs 5.000 euros pour le recrutement d'un jeune de moins de 18 ans et 8.000 euros pour un jeune de plus de 18 ans, ont été plusieurs fois prolongées et demeurent en place jusqu'au 30 juin 2022.

Cette aide, qui était prévue uniquement pour l'embauche d'apprentis préparant un diplôme de bac+3 maximum, a d'ailleurs été ouverte aux apprentis préparant un bac+5 après un intense lobby des conférences institutionnelles (France Universités, CGE, CDEFI).

Selon Eric Heyer et les experts de l'OFCE, "cette dynamique favorable à l’emploi des jeunes est certainement due aux mesures prises concernant l’apprentissage" : "L’apprentissage facilite l’insertion professionnelle des jeunes en leur permettant d’acquérir une qualification reconnue par un diplôme et une expérience professionnelle qui débouche souvent sur une embauche définitive".

Et si l'on en croit les chiffres, cette politique a eu des effets concrets surtout dans le supérieur : 62% des 738.000 contrats d’apprentissage signés en 2021 l’ont été pour préparer un diplôme de niveau bac+2 ou plus contre 53% en 2017. L’enseignement supérieur joue aujourd'hui le rôle de locomotive de l’apprentissage : les formations infra-bac en apprentissage attirent de nouveau après la classe de troisième même si la progression des effectifs est moindre.

Reste que le niveau de subvention atypique de l'apprentissage pendant la crise explique aussi la hausse elle aussi atypique des apprentis. Avec l'arrêt des aides exceptionnelles à la mi-2022, le nombre des apprentis va sans doute retrouver son niveau habituel. Certains effets pervers seront alors supprimés comme l'effet de substitution - certaines embauches en apprentissage auraient eu lieu de toute façon sous une autre forme de contrat - et l'effet d'aubaine - nombre d'employeurs ont anticipé sur leurs recrutements et profité de ces emplois quasi gratuits en apprentissage pour embaucher des jeunes qu'ils avaient prévu d'intégrer plus tard. Dernière limite de l'exercice du quoi qu'il en coûte : le coût budgétaire très difficilement soutenable dans la durée de la subvention des emplois en apprentissage.


Le marché de l'apprentissage libéralisé en 2018
Réforme structurelle mise en place en début de quinquennat, la loi du 5 septembre 2018 sur la "Liberté de choisir son avenir professionnel", a profondément libéralisé le marché de l'apprentissage. Désormais l’ensemble des organismes de formation qui souhaitent dispenser des actions de formation par apprentissage obtient un niveau de financement pour chaque contrat entre jeune et une entreprise. De plus, l'apprentissage est élargi de 25 à 29 ans. La loi a "débridé" le système et les résultats ne se sont pas fait attendre : dès 2019, le nombre de contrats d'apprentissage enregistrait pour la première fois une hausse à deux chiffres - + 16% - avoisinant le cap symbolique des 500.000 (491.000 contrats signés en 2019).

Pour les moins qualifiés des jeunes, le problème reste entier et l'apprentissage a manqué sa cible

La plus grosse ombre au bilan du quinquennat Macron concernant l'emploi des jeunes demeure la situation des près d'un million de jeunes de 16 à 29 ans qui ne sont ni en études, ni en emploi, ni en formation, les "NEET" ("Not in education, employment or training"). "Le problème de l’insertion des jeunes sortis prématurément du système scolaire sans diplôme ni qualification reste entier, constate l'OFCE. C’est pour ces jeunes que l’apprentissage est la solution d’insertion professionnelle la plus décisive, mais la réforme de 2018 n’a eu aucun effet sur eux".

Le problème de l’insertion des jeunes sortis prématurément du système scolaire sans diplôme ni qualification reste entier. (OFCE)

Emmanuel Macron ne l'occulte d'ailleurs pas. Fin 2021, avant même d'être candidat à sa réélection, il estimait : "Le chômage des jeunes est plus faible aujourd’hui qu’avant la crise. Il n’a d’ailleurs jamais été aussi faible depuis 2008. Il demeure toutefois trop élevé et je ne me résous pas à ce que plusieurs centaines de milliers d’entre vous soient depuis trop longtemps sans emploi, souvent sans ressources".

Pour ces jeunes les plus éloignés de l'emploi, le gouvernement a donc lancé sa toute dernière réforme sociale, le 1er mars 2022, le CEJ (contrat engagement jeunes) qui vise à accompagner 400.000 jeunes de moins de 26 ans cette année. Objectif : reprendre rapidement une activité via la découverte de métiers, une formation qualifiante ou un emploi dans un secteur en tension. La tâche sera rude pour atteindre l'objectif.

Elisabeth Borne, ministre du Travail et de l'Emploi, le reconnaît sans peine, il est difficile d'aller chercher cette partie de la jeunesse pour leur offrir un accompagnement personnalisé et les aider à bâtir un projet professionnel. "On veut travailler avec des associations de lutte contre la pauvreté qui sont déjà mobilisées dans le cadre de l'appel à projets 100% inclusion pour aller chercher les jeunes qui ne viennent plus vers les missions locales, vers Pôle emploi et qui ont une certaine méfiance vis-à-vis des institutions" explique la ministre.

Une manière en creux de reconnaître que pour ces jeunes non qualifiés, l'apprentissage n'aura été que très rarement une solution au cours du quinquennat : en deux ans, le nombre de jeunes sans diplôme entrant en apprentissage n'a progressé que de 5,9% quand le total des entrées a bondi de 63,7%. Autrement dit les aides très généreuses à l'embauche d'apprentis ont été quasiment sans effet pour les jeunes les plus en difficulté sur le marché du travail. Et si en définitive, l'apprentissage avait surtout permis d'insérer dans l'emploi des jeunes qui avaient le moins de difficultés ? L'adage semble se vérifier : en matière de chômage, le réservoir se vide toujours par la bonde.

Etienne Gless | Publié le