Après la révolution bitcoin, la blockchain s’attaque à l’éducation

Céline Authemayou Publié le
Après la révolution bitcoin, la blockchain s’attaque à l’éducation
Après avoir bouleversé le monde de la finance avec le bitcoin, la blockchain pourrait bien révolutionner le secteur de l'éducation et plus généralement l'authentification de tout document. // ©  LAURA MORTON/The New York Times-REDUX-REA
Pour authentifier les diplômes octroyés à leurs étudiants, des établissements d’enseignement supérieur commencent à s’intéresser à la blockchain. Cette technologie numérique, sur laquelle repose le réseau monétaire Bitcoin, pourrait bien devenir le nouvel eldorado du secteur de l’éducation.

Comment authentifier un diplôme en quelques clics ? Depuis le 31 mars 2016, les élèves-ingénieurs diplômés de l'ESILV, école privée francilienne, peuvent inscrire sur leur curriculum vitae un identifiant composé de chiffres et de lettres. Grâce à ce code, leurs futurs recruteurs pourront se rendre sur Internet et vérifier en quelques minutes la véracité des informations contenues sur le CV. Bienvenue dans un nouveau monde numérique, celui de la blockchain.

Cette technologie de cryptage a fait une apparition fulgurante dans le monde de la finance au cours des dernières années. Elle est en effet à l'origine du réseau monétaire Bitcoin, créé en 2008 par Satoshi Nakamoto. Cette "crypto-monnaie" offre la particularité d'être régie par les utilisateurs eux-mêmes, loin de toute banque centrale ou organisme tiers. Grâce à un algorithme de cryptologie, chaque opération monétaire est inscrite dans un bloc, constituant ainsi une chaîne, réputée inviolable. D'où le terme anglais "blockchain".

"En 2008, lorsque Satoshi Nakamoto crée la première brique du bitcoin, il y inscrit la date et le titre du jour du "Times", raconte Cyril Grunspan, responsable du département mathématiques et ingénierie financière à l'ESILV. Dès le début, il était donc très clair qu'on pouvait inscrire dans la blockchain autre chose que de simples transactions monétaires..."

juguler les fraudes

Actes notariés, dossiers médicaux, brevets... Bon nombre de secteurs économiques pourraient être concernés par le développement de cette technologie permettant de certifier tout type de documents. Parmi lesquels, les diplômes.

Selon HireRight, cabinet étasunien spécialisé dans la vérification de CV, 86% des recruteurs américains constatent régulièrement des fausses déclarations dans les candidatures reçues. En France, les établissements reconnaissent volontiers être de plus en plus sollicités par les entreprises. Au point de développer des nouvelles technologies pour authentifier les diplômes et soulager ainsi les équipes administratives, à l'image de l'Insa Toulouse.

Le ministère de l'Éducation nationale a lui-même annoncé en janvier 2016 la création d'un service numérique permettant aux détenteurs d'un diplôme visé par l'État d'attester de la validité du document. La technologie sur laquelle se basera le ministère n'est pas connue. La blockchain pourrait être une solution.

"Aujourd'hui, les recruteurs dépensent de plus en plus de temps et d'argent pour vérifier les curriculum vitae des candidats", constate Sylvain Kalache, cofondateur de l'école d'informatique Holberton School, installée dans la Silicon Valley. L'établissement, créé en 2015, a décidé d'inscrire tous les diplômes de ses étudiants sur la blockchain. "Si les recruteurs contrôlent autant les parcours, c'est qu'ils sont régulièrement confrontés à des fraudes", poursuit le Français.

À l'image du bitcoin, devenu en quelques années une crypto-monnaie universelle, la blockchain est devenue un standard mondial.

Un outil simple, irréfutable et universel

À l'heure actuelle, Holberton School et l'ESILV sont pionnières dans l'utilisation de la blockchain dans le secteur de l'éducation. La première proposera ses premiers diplômes certifiés dans un peu plus d'un an. La seconde a franchi le pas fin mars, pour une centaine de diplômés ingénieurs. Si l'administration ne communique pas sur le coût de l'opération, elle rappelle seulement que la démarche est basée sur une technologie gratuite. Reste tout de même à payer le prestataire, qui réalise l'intégration dans la chaîne de blocs.

À partir du PDF d'un diplôme, une empreinte numérique est créée. C'est cette empreinte, cryptée, qui va être enregistrée dans une transaction au cœur de la blockchain. Stockée dans une "brique" numérique, elle sera datée et verrouillée grâce à une clé de signature, propre à chaque établissement. "Tout l'intérêt de la blockchain est qu'on ne peut jamais revenir en arrière, ce qui en fait un outil de vérification simple et irréfutable", souligne Pierre Noizat, à la tête de Paymium, société spécialisée dans la certification de documents et partenaire de l'ESILV.

Autre avantage et non des moindres : à l'image du bitcoin, qui s'est mué, en quelques années, en une crypto-monnaie universelle, la blockchain est devenue un standard mondial. La technologie est, de fait, plus fiable qu'un système développé par une seule entreprise et soumise, par exemple, aux contingences économiques de la société. "La blockchain survivra à tous les prestataires", résume, philosophe, Pierre Noizat.

La blockchain, "l'Internet des années 1995"

Une fois l'empreinte numérique inscrite dans la chaîne par les établissements ou leurs prestataires, à charge ensuite aux étudiants de communiquer cette empreinte aux recruteurs, ces derniers pouvant accéder à l'information via des explorateurs de blockchain, sorte de navigateurs web dédiés.

"Force est de constater que bon nombre d'explorateurs sont encore un peu 'geek', reconnaît Louison Dumont, fondateur de BitProof, start-up dédiée à la certification de documents et partenaire d'Holberton School. La technologie en est aujourd'hui au stade d'Internet dans les années 95. Il faut donc la rendre plus 'grand public'. Les utilisateurs ne doivent pas avoir besoin de connaître tout le fonctionnement de la blockchain pour pouvoir s'en servir."

Les recruteurs, des utilisateurs qui restent à convaincre

La simplicité d'utilisation: c'est par là que passera le succès. Les initiatives des deux établissements sont encore trop récentes pour que ceux-ci disposent d'un retour d'expérience. Les écoles, comme les entreprises, entrent en phase de tests. Avec des questions cruciales : les recruteurs attraperont-ils le virus blockchain ? Quel crédit accorderont-ils à ce modèle, qui n'a finalement de valeur qu'aux yeux de ses propres utilisateurs ?

"Il y a quelques mois, j'aurais été assez sceptique, reconnaît Sylvain Kalache, d'Holberton School. Mais aujourd'hui, des géants tels qu'IBM ou Sony se lancent dans la certification via la blockchain. C'est bien la preuve que cette technologie est vouée à se massifier."

Le géant japonais de l'électronique a en effet annoncé en février 2016 le lancement d'une plateforme basée sur la blockchain pour partager des données liées à la formation (dossiers scolaires, par exemple). "La compagnie considère que cette technologie a le potentiel de façonner de manière significative le paysage éducatif mondial", expliquait Sony dans son communiqué. Prévue pour 2017, l'application sera testée dans le cadre du concours de mathématiques qu'organise chaque année la société, Global Math Challenge.

Céline Authemayou | Publié le