L'évacuation de Tolbiac, un tournant dans la mobilisation contre la loi ORE

Étienne Gless, Laura Taillandier Publié le
L'évacuation de Tolbiac, un tournant dans la mobilisation contre la loi ORE
Devant le campus de Tolbiac, des manifestations dénoncent l'évacuation des étudiants par les forces de l'ordre, vendredi 20 avril 2018. // ©  Etienne Gless
Blocage symbolique du mouvement contre la loi ORE, le campus de Tolbiac de l'université Paris 1 a été évacué par les forces de l'ordre, au petit matin du 20 avril 2018. Les étudiants mobilisés veulent convaincre les lycéens de les rejoindre, tandis que les présidents d'université sont divisés sur le recours aux forces de l'ordre.

"Haddad démission !" "État reviens, t’as oublié tes chiens !" "Pas de flics dans les facs"… Après l’évacuation du centre Pierre-Mendès-France de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, vendredi 20 avril 2018 au matin, plusieurs centaines de personnes s’étaient rassemblées sur le trottoir d’en face, rue de Tolbiac, peu avant midi. Des étudiants, ainsi que des cheminots en grève, des personnels hospitaliers, ou encore des militants de la France insoumise…

De la colère chez les étudiants

"Notre sentiment ? De la peine et de la haine", confie Margot, en L2 d’histoire, venue avec deux amies. "Georges Haddad [le président de Paris 1] assure que l’évacuation s’est faite dans le calme. Faux ! assure l'étudiante. Faire évacuer la fac par des centaines de policiers coûte plus cher que de réparer les soi-disant dégradations." Les étudiants présents s'indignent de la violence de l'évacuation. "J’ai crié aux CRS qu'il y avait un blessé", raconte Manon, étudiante en école de cinéma d’animation, venue en soutien.

De son côté, la préfecture de Police dément tout incident. Et George Haddad se dit "soulagé". "Je tiens à remercier du fond du cœur les forces de l’ordre, la préfecture de Police, pour le savoir-faire et la façon dont cela a été géré. Je suis heureux qu’il n’y ait aucun blessé", a-t-il assuré sur BFMTV.

Pour la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, cette intervention "était nécessaire", au regard des dégradations sur le campus et dans le quartier. "Il est important que les lieux universitaires retrouvent leur liberté", souligne Frédérique Vidal, qui se fixe désormais comme objectif de permettre la tenue des examens dans de bonnes conditions.

Les présidents d'université pas tous sur la même ligne

Lilâ Le Bas, la présidente de l'Unef, craint que les évacuations ne se généralisent sur les autres campus. "Le ministre de l'Intérieur, Gérard Colomb, ne lui donne pas tort : "Partout, l’État de droit sera rétabli." Dans la nuit de jeudi à vendredi, un amphi de l'université de Strasbourg occupé par les étudiants a, lui aussi, été évacué.

En début de semaine, Michel Deneken, le président de l'établissement, avait consulté les étudiants par le biais d'un vote électronique, où un peu plus de 71 % des votants s'étaient prononcés pour l'arrêt du blocage. À Montpellier, le tribunal administratif a ordonné aux occupants de l’université Paul-Valéry Montpellier 3 de libérer sans délai les lieux occupés depuis la mi-février.

Tous les présidents ne sont sur la même ligne. À Nanterre, alors que le blocage se poursuit, Jean-François Balaudé est venu "renouer le dialogue" avec les étudiants, réunis en assemblée générale, jeudi 19 avril 2018. Regrettant l'intervention des forces de l'ordre précédemment sur le campus, il a proposé la tenue d'états généraux dans son établissement.

Six présidents d'université ont également publié, sur EducPros, une tribune pour demander l'ouverture de négociations sur la réforme et ainsi mettre un terme à la situation avant qu'elle ne dégénère. L'Unef se dit également prête à participer à de "véritables discussions", même si l'organisation étudiante vient de quitter, à l'instar de syndicats enseignants, les concertations sur l'arrêté licence devant permettre d'acter dans les textes les conséquences de la réforme.

"Tolbiac, un symbole qui vient de tomber"

Pour la présidente de l'Unef, Lilâ Le Bas, "le gouvernement fait le choix de l'usage de la force en permanence, mais ne répond pas sur le fond." Et "s'il croit étouffer le mouvement, il se trompe. Les blocages ne sont pas le seul outil de mobilisation. Il y aura d'autres mobilisations et des rassemblements pour se faire entendre."

Les étudiants réunis devant Tolbiac lui donne raison. Selon eux, l'évacuation ne calmera pas la mobilisation. "Tolbiac, c’est un symbole qui vient de tomber, mais on va se relever", assure Norman étudiant à Paris 3. "Ce gouvernement essaie de nous discréditer, mais comme ça ne marche pas, il nous envoie les matraques !" s’emporte Marianne en L2 de sociologue à l’université de Paris-Nanterre.

Sur la dalle d’une barre d’immeubles en face de la tour du campus de Tolbiac, des étudiants en assemblée générale réfléchissent à la suite à donner au mouvement. L'un d'entre eux harangue la foule assise : "Réveillez-vous ! C’est bien de discuter, mais le plus important, c’est d’agir. Alors les étudiants de Censier, Paris 8 ou Nanterre, occupez vos facs, barricadez-vous !"

Une option est avancée : mobiliser les lycéens, chaînon manquant du mouvement. "Dès la rentrée, l'enjeu sera de les convaincre de nous rejoindre", pointe Bobby étudiant en L1 de science politiques. Les manifestants devant le campus de Tolbiac se donnent déjà rendez-vous le 1er mai, prochaine date de mobilisation.

Étienne Gless, Laura Taillandier | Publié le