Formation continue : les universités veulent décrocher le milliard

Camille Stromboni - Mis à jour le
Formation continue : les universités veulent décrocher le milliard
Pour atteindre cet objectif, François Germinet préconise le recrutement de 7.000 personnes, dont les salaires seraient financés par l'activité à "coûts complets". // ©  JY Lacote
François Germinet rend son rapport sur la formation continue à l’université le 6 novembre 2015. Atteindre l'objectif, qu'il fixe à un milliard d’euros de chiffre d'affaires en 2020, passera forcément par la mobilisation des enseignants-chercheurs, soutient le président de l'université de Cergy-Pontoise.

Un chiffre d’affaires d’un milliard d’euros en 2020. C’est l’objectif fixé par François Germinet à l'enseignement supérieur, dans son rapport sur la formation continue remis à Najat Vallaud-Belkacem et Thierry Mandon le 6 novembre 2015. Le président de l'université Cergy-Pontoise, en charge d'une mission sur le sujet, rappelle que cette manne représente aujourd’hui 400 millions d’euros, pour un marché global évalué à 13 milliards.

"La formation tout au long de la vie est un besoin de la société auquel les universités sont les plus à même de répondre. Elles doivent mettre en place pour cela un modèle économique viable, qui ne coûte rien. En revanche, il ne faut pas croire que cela va permettre d’équilibrer les comptes des universités. Ce serait se tromper de combat", prévient-il.

"Nous en sommes tout à fait capables, réagit Olivier Faron, à la tête du Cnam (Conservatoire national des arts et métiers), établissement qui réalise à lui seul un quart du chiffre d’affaires actuel de l’enseignement supérieur. Mais il faut une mobilisation sans précédent. D’autant que la concurrence est de plus en plus forte."

faire sauter les verrous psychologiques

Pour atteindre cet objectif, le président de l’université de Cergy-Pontoise imagine un nouveau modèle. Avec au centre : les enseignants-chercheurs. "Il faut faire sauter les verrous psychologiques, explique-t-il. Les universités doivent s’attaquer à ce marché en arrêtant de croire qu’il y a un clivage entre formation initiale et formation continue. Et cela sera impossible en continuant avec ce fonctionnement marginal, où la formation continue se limite souvent à des heures complémentaires effectuées par certains enseignants-chercheurs."

Le service d'un enseignant-chercheur doit réunir, de manière indifférenciée, les heures effectuées dans le cadre de la formation continue et celles dispensées en formation initiale, soutient-il. "Les enseignants-chercheurs sont motivés, il n’y a aucun frein de ce côté-là, insiste François Germinet. Seulement, en cette période de budget contraint, ils font déjà tout pour maintenir une formation initiale de qualité."

7.000 postes en plus

Une seule solution s'impose : recruter des enseignants-chercheurs, préconise l’auteur du rapport, qui évalue ce besoin à 7.000 postes, dont 3.000 enseignants-chercheurs, 1.500 Prag et 2.400 BIATSS.

"Le nombre de titulaires étant limité, avec le plafond d'emploi des établissements, il faudra explorer d'une part la piste des enseignants-chercheurs en CDD ou CDI, mais avec le risque de voir apparaître deux catégories d'enseignants-chercheurs, d'autre part, l'usage possible de supports d'emploi de titulaires, mais dont la masse salariale serait assumée totalement par les ressources propres des établissements. Ces deux possibilités se combinent aisément : un statut de contractuel en phase de lancement et une ouverture de concours lorsque l'activité, et donc la recette, est stabilisée", prévoit le rapport.

"L’enjeu est que l’activité de formation continue finance ces 7.000 postes. Et, pour cela, il faut désormais que cette activité soit financée à coût 'complet', précise François Germinet. C’est-à-dire que les coûts réels – dont le salaire des enseignants-chercheurs – soient pris en compte et répercutés dans le prix des formations, ce qui n’est pas le cas actuellement."

Les universités doivent s’attaquer à ce marché en arrêtant de croire qu’il y a un clivage entre formation initiale et formation continue.

Dépasser la question du statut des enseignants-chercheurs

Demeure la difficulté, récurrente, de la reconnaissance de cet engagement dans la carrière de l’enseignant-chercheur. "Qu’il s’agisse de la formation initiale ou continue, aujourd’hui, elles ne sont quasiment pas prises en compte par les sections du CNU dans les promotions, qui reposent à 90% sur la recherche", rappelle François-Noël Gilly, président de l’université Lyon 1, dont le chiffre d’affaires annuel en formation continue est de 14 millions d’euros, l'un des plus élevés parmi ceux des universités.

Un frein qui n'empêche pas l'émergence de ce nouveau modèle, évacue François Germinet. Une quinzaine d'établissements volontaires pourraient l'expérimenter dans l'immédiat, espère le président francilien. Ils bénéficieraient d'une labellisation "Pepite formation continue" et d'un fonds d'amorçage du ministère, remboursable en quelques années. Histoire de donner l'impulsion de départ.

Un soutien via le PIA 3
Le rapport de François Germinet préconise, à plus long terme, un soutien financier de l'État au démarrage, via le programme des investissements d'avenir 3.

Il pourrait prendre la forme de société d'accélération pour la formation continue (SAFC), sur le modèle des SATT existant pour le transfert de technologie. "Pour les établissements qui partent de loin en matière de formation continue, cela suppose un investissement initial sans retour sur investissement avant deux ou trois ans", souligne en effet Olivier Faron.
Les propositions du rapport concernant les établissements
  • Mettre en avant la présence des enseignants-chercheurs dans la formation continue, comme plus-value fortement différenciante
  • Justifier le chiffrage du salaire complet de l'enseignant-chercheur par l'expertise induite par sa condition d'enseignant-chercheur
  • Intégrer la formation continue dans le service des enseignants-chercheurs (quitte à limiter un % de service)
  • Prendre en compte dans les services et dans la rémunération des enseignants-chercheurs l'adaptation aux modalités pédagogiques de la formation continue
  • Recruter des enseignants-chercheurs avec les ressources générées par la formation continue, sous statut de contractuel d'une part, et de fonctionnaire sur des supports d'emplois d'autre part
  • Avoir une vision claire et complète de l'ensemble des dépenses, directes et indirectes, liées à une formation continue donnée
  • Diminuer les coûts de transaction internes pour augmenter la réactivité et la rentabilité des services dédiés
  • Valoriser le salaire plein et pas uniquement l'HETD même revalorisée, par le biais d'un calcul d'un coût moyen horaire incluant formation initiale et formation continue
  • Développer de nouveaux modèles économiques, notamment autour des stages courts et des certifications de type Mooc pour capter de nouveaux publics
  • Mettre en place des mécanismes incitatifs (rémunérations ou moyens pour la recherche) ; et ne pas déclarer de bénéfices tant que la totalité des coûts complets n'est pas prise en compte
  • Étendre l'approche par compétences ; diffuser l'approche des IUT au sein des établissements ; rendre modulable les formations des établissements selon une approche par compétences et non exclusivement par contenu
  • Adapter les formations aux rythmes des stagiaires ; déployer une offre de stages courts positionnés sur l'expertise de l'université
  • Développer massivement les dispositifs à distance
  • Revoir l'exigence de présence ou de traçabilité en formation continue, au profit de la finalité de la formation et l'attestation des compétences acquises
  • S'appuyer sur la certification délivrée pour revoir les exigences de validation d'une formation suivie

Lire le rapport : Le développement de la formation continue dans les universités (pdf)

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