La grève des enseignants-stagiaires de Grenoble, révélatrice des difficultés des Espé

Erwin Canard Publié le
La grève des enseignants-stagiaires de Grenoble, révélatrice des difficultés des Espé
C'est la deuxième grève en trois ans à l'Espé de Grenoble. // ©  Espé de Grenoble
Depuis la fin mars, des enseignants-stagiaires de l'Espé de Grenoble sont en grève pour dénoncer notamment une charge de travail jugée excessive. Des dysfonctionnements déjà pointés dans d'autres Espé. Un appel à la mobilisation nationale est lancé.

Quatre ans après leur mise en place, les Espé (Écoles supérieures du professorat et de l'éducation) sont toujours en proie à des difficultés. "Elles n'ont pas encore trouvé leur rythme de croisière", reconnaît Alain Billate, en charge de la formation des enseignants au Snes-FSU.

Fer de lance de la contestation : Grenoble. Depuis la fin du mois de mars, des enseignants-stagiaires – qui ont donc réussi le concours d'enseignant et sont en master 2, partageant leur temps entre la formation et le stage en classe – de l'Espé iséroise sont en grève, soutenus par une intersyndicale (Snes-FSU, Sud, FO, Snalc…). Une grève de la formation, qui se prolongera les 11 et 12 avril (les stagiaires grenoblois étant présents à l'Espé uniquement les mardis et mercredis), d'après le résultat du vote de l'assemblée générale de ce mardi 4 avril 2017.

Le nombre officiel de grévistes n'est pas connu et fait l'objet d'une guerre de chiffres. "Nous avons plus de 1.000 stagiaires [tous sites compris : Grenoble, Chambéry, Bonneville, Valence] et moins d'une quarantaine de grévistes. C'est une proportion très faible", souligne Bettina Debû, directrice de l'Espé de l'académie de Grenoble.

"Nous demandons la fin de la rétention des chiffres par la direction car nous savons que la grève est massivement suivie. Dans un cours de 150 étudiants, seuls 25 étaient présents. Les grévistes ne se réduisent pas à ceux qui s'affichent devant le rectorat", rétorque Antoine*, enseignant-stagiaire en première ligne de la mobilisation.


Des conditions de travail particulièrement difficiles, des contenus de formation déconnectés des réalités de l'enseignement et des pressions administratives sont dénoncés par les stagiaires. "L'année de stage est trop lourde, avec parfois 60 heures de travail par semaine", précise Alain Billate. "Les demandes ne sont pas toutes illégitimes, admet Bettina Debû. Leur année est très complexe, lourde. Mais c'est le modèle de formation qui est ainsi fait et une année d'entrée dans le métier est forcément lourde."

"Une charge de travail très lourde"

Cette critique de la surcharge de travail pour les enseignants-stagiaires des Espé n'est pas nouvelle. Les rapports 2015 et 2016 de suivi de la mise en place des Espé notaient tous deux que "la charge de travail des professeurs stagiaires était très lourde en M2". Dans une enquête du Snuipp-FSU de 2016, les répondants estimaient à plus de 48 heures par semaine leur temps de travail hebdomadaire et se disaient à 75 % "débordés" et à 62 % "stressés". "Il est très difficile de suivre à la fois un master et un stage. Ce que les stagiaires grenoblois décrivent, c'est ce que l'on voit partout, toutes nos enquêtes le montrent", renchérit Alain Billate.

Les contenus de formation sont également remis en question. Les stagiaires en grève demandent "la réadaptation ou la suppression des UE qui n'apportent rien". "Des cours sur le genre ou sur les relations avec les parents d'élèves ne sont pas une préoccupation immédiate des stagiaires et, pourtant, c'est bien le rôle de la formation initiale que de former à cela, répond Jacques Ginestié, président du réseau national des Espé et directeur de celle d'Aix-Marseille. Mais ces problèmes sont inévitables et c'est le rôle des conseils de perfectionnement que d'améliorer cela. Il est certain en tout cas que les étudiants doivent être associés à la construction de la formation." En revanche, ajoute-t-il, "l'idée n'est pas d'arriver à une formation basée uniquement sur la pratique. Supprimer le mémoire ou certains enseignements n'est pas la solution."

Fiche individuelle d'émargement et cours pendant les vacances

Si ces problématiques sont relativement similaires sur tout le territoire, deux gouttes d'eau ont fait déborder le vase grenoblois, dont l'Espé avait déjà connu une grève en février 2015 pour des raisons similaires. Tout d'abord, la mise en place d'une "fiche individuelle d'émargement". À la place d'un "appel" ou d'une fiche collective d'émargement, les étudiants de l'Espé doivent faire signer une fiche individuelle à chaque fin de cours par le formateur.

Les stagiaires dénoncent un "flicage" doublé d'une attitude infantilisante de la part de l'administration. "Ils restent des stagiaires en formation continue et nous devons contrôler leur assiduité, puisqu'ils sont payés par l'employeur", réplique Bettina Debû. Et la directrice de l'Espé d'assurer toutefois qu'un autre modèle est envisagé.

La deuxième goutte, c'est l'organisation de cours sur une semaine de vacances. "Le calendrier universitaire diffère du calendrier scolaire et les vacances du premier sont plus courtes. Nous entendons toutefois cette demande", indique Bettina Debû. L'académie de Grenoble étant très étendue, certains stagiaires doivent parfois faire plusieurs dizaines de kilomètres pour se rendre à l'Espé, leur lieu de stage pouvant en être très éloigné. Dans une étude de 2015-2016, le Snalc, syndicat enseignant, relevait également ces difficultés.

Les stagiaires grévistes de l'Espé de Grenoble doivent être reçus par la direction de l'école ce mercredi 5 avril 2017. Même s'ils obtiennent des garanties, leur objectif ne semble pas d'arrêter le mouvement. "Nous lançons un appel à la mobilisation nationale car nous constatons que les problèmes sont largement partagés", déclare Antoine.

Une pétition est également mise en ligne, s'ajoutant à un questionnaire en ligne destiné aux étudiants en Espé de toute la France sur leur ressenti à propos de leur formation. Selon Antoine, "il y a déjà 400 réponses et la moyenne est de 6/20 à la question sur la pertinence de la formation reçue. Aussi, 30 % disent avoir déjà pensé à démissionner durant leur année de stage…" Des déçus que les enseignants-stagiaires de Grenoble espèrent mobiliser.

*Le prénom du témoin a été modifié à sa demande.

Les revendications des enseignants-stagiaires grévistes de l'Espé de Grenoble
Revendications dont l’application est demandée "à brève échéance" :

- La suppression de la fiche individuelle d’émargement
- Une prise en considération de leur statut de fonctionnaires responsables et adultes
- La suppression des menaces à la titularisation
- Pas de cours pendant les "vacances" (interruptions pédagogiques)
- Un allégement ou plus de souplesse concernant l’écrit réflexif et les divers travaux à rendre.

Revendications "à mettre en place en vue de l’année prochaine" :

- Une formation adaptée et de qualité
- La réadaptation ou la suppression des UE qui ne leur apportent rien
- Davantage de clarté en ce qui concerne les emplois du temps, les instances existantes et les
différents supports de travail
- Une meilleure répartition du temps de travail, notamment pas de cours pendant les vacances
- La réduction, voire la suppression des évaluations
- Donner aux stagiaires et aux étudiants un réel poids décisionnel (en donnant, par exemple, au conseil d’école un vrai pouvoir décisionnel et en permettant aux stagiaires de renégocier avec les formateurs le contenu des formations).

Erwin Canard | Publié le