Les DRH des universités en quête de souplesse

Jean Chabod-Serieis Publié le
Les DRH des universités en quête de souplesse
L’université de Bordeaux a déployé sur trois ans un "plan de déprécarisation" à destination des personnels Biatss en créant plus d’une centaine de postes de fonctionnaires. // ©  Camille Stromboni
Les directions des ressources humaines dans les universités aimeraient vraiment connaître le goût de l’autonomie, pourtant acquise depuis 2007, avec la loi LRU. Le poids de la masse salariale dans les budgets, les contraintes réglementaires et le manque de leviers sont tels que les DRH réclament une simplification de leur fonction. Le but ? Mener une réelle politique RH à l’échelle de chaque établissement.

"La gestion des ressources humaines dans les universités est un jeu complexe dont l’objectif est qualitatif, mais avec des moyens quantitatifs", assène Jean-François Balaudé, le président de l'université Paris-Nanterre. Autrement dit : les ambitions sont nobles, mais les universités n’ont pas les moyens de les réaliser.

"Les établissements ont une gestion très prudente, voire malthusienne, de leurs personnels parce que les budgets les contraignent. Les incertitudes – financières comme réglementaires – se confirment chaque année et les empêchent d’adopter une vision pluriannuelle", détaille celui qui préside depuis 2016 la Commission des moyens et des personnels de la CPU (Conférence des présidents de l’université), qui traite des questions de ressources humaines, de finances et de budget des universités.

Dans ce contexte confus, difficile d’envisager une réelle marge de manœuvre des directions des ressources humaines, onze ans après la loi LRU (Loi relative aux libertés et responsabilités des universités), dite aussi loi Pécresse.

"L’autonomie est récente à l’échelle de l’histoire des universités, analyse Jérôme Pech, le DRH de l’université Nice-Sophia-Antipolis. Les établissements ont fait leurs preuves, sont montés en compétences en matière de gestion, de RH, de systèmes d’information, etc. Malgré tout, il faut aller plus loin : il faut qu’on nous outille pour répondre aux objectifs fixés par l’État et par la concurrence internationale."

Nous demandons une plus grande autonomie dans la gestion de nos personnels, pour des effets plus rapides sur leurs carrières.
(J. Pech)

Le "on", renvoie au législateur en général, et la DGRH (direction générale des ressources humaines) du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en particulier, dont le rôle est de définir, à l’échelle nationale, "les orientations relatives à la gestion de carrière des personnels". Le "nous" renvoie à l’ensemble des DRH de l’enseignement supérieur public que représente Jérôme Pech, président depuis un an de Sup’DRH, l’association qui regroupe une centaine d’adhérents, tous DRH d’établissements publics, universités, écoles d’ingénieurs et grandes écoles.

"Au moment du passage à l’autonomie, après la loi Pécresse, des transferts de compétences ont eu lieu mais avec des différences de niveaux selon les corps de personnels, selon qu’ils sont administratifs, enseignants-chercheurs ou enseignants du second degré", rappelle le DRH.

"Dans le cas d’un changement d’échelon d’agent, l’acte d’arrêté rendant possible ce changement est pris soit par le ministère, soit par le rectorat, soit par l’établissement, en fonction du corps d’appartenance de l’agent, ajoute-t-il. Nous demandons une plus grande autonomie dans la gestion de nos personnels, pour des effets plus rapides sur leurs carrières. En multipliant les acteurs, la chaîne de gestion se complique inévitablement."

Le poids de la masse salariale dans le budget

Dans une université, la part de la masse salariale peut représenter jusqu’à 80 % du budget annuel, mêlant tous les agents regroupés en filières, elles-mêmes subdivisées en corps : Biatss (personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé et des bibliothèques), enseignants-chercheurs, enseignants du second degré. C’est pourquoi la gestion des ressources humaines – parcours professionnels, évolution de carrière, formation, primes, sanctions, etc. – est le reflet de la bonne santé de l’établissement.

À l’université de Bordeaux, la masse salariale représente 65 % du budget, soit 330 millions d’euros. "Lorsque j’étais vice-président du conseil d’administration de l’université, la majeure partie de mon travail relevait de questions RH", se souvient Dean Lewis, aujourd’hui VP RH de l’université de Bordeaux et ancien président de Bordeaux 1, avant la fusion de trois des quatre universités bordelaises en 2014.

"La politique RH est un levier majeur du développement dans un contexte de changement continu : lois LRU et ORE [relative à l’orientation et à la réussite des étudiants], impacts des PIA [programmes investissements d’avenir], regroupements d’universités, etc. Pour nous, il s’agit de dégager des financements pour accompagner nos 6.000 personnels, dont 3.000 Biatss", appuie-t-il.

Nous proposons, à masse salariale globale constante, des transformations de postes de maître de conférences en postes de professeur.

C’est pourquoi, à masse salariale globale constante, l’université a déployé sur trois ans un "plan de déprécarisation" à destination des personnels Biatss en créant plus d’une centaine de postes de fonctionnaires.

"En ce qui concerne les enseignants-chercheurs, avec la diminution notable du nombre de départs de professeurs des universités et dans l’objectif de promouvoir les maîtres de conférences, nous proposons, toujours à masse salariale globale constante – quatre postes de maître de conférences équivalant à trois postes de professeurs – des transformations de postes de maître de conférences en postes de professeur."

Des techniques de gestion fine de la masse salariale – reposant sur une bonne connaissance des capacités budgétaires, basée elle-même sur un audit complet et pluriannuel des dépenses et des revenus – offrent un minimum de souplesse aux RH.

Des compensations financières incomplètes

Ces techniques de gestion, ces "leviers", les DRH les utilisent au maximum. Mais tous regrettent qu’ils ne soient pas plus nombreux, les maintenant dans une dépendance réglementaire contradictoire avec leur autonomie financière. Exemple avec les enseignants-chercheurs dont la moitié environ sont recrutés sur concours à l’échelle nationale par le CNU (Conseil national des universités)… mais payés à l’échelle locale par l’établissement.

En 2013, la CPU publiait 12 propositions afin d’améliorer la gestion des RH dans les universités. Parmi elles : rendre la formation accessible à tous les personnels, simplifier la politique indemnitaire, obtenir pour les enseignants du second degré et les Biatss un contingent de promotions locales, etc. Quoi de neuf depuis ?

"Cela a évolué mais pas suffisamment, regrette Jérôme Pech. Ce qui est problématique pour nous, c’est la différenciation des leviers selon les corps. Si vous voulez donner des moyens aux managers, il faut qu’ils aient des leviers de rémunération, de promotion et de sanction rendus possible par la loi. Or, nous n’en avons quasiment pas. Nous voudrions avoir le plein exercice de nos pouvoirs pour une pleine autonomie des DRH."

Nous voudrions avoir le plein exercice de nos pouvoirs pour une pleine autonomie des DRH.
(J. Pech)

Et Jean-François Balaudé de souligner que si les propositions de la CPU ont été aussi peu entendues, c’est que la condition sine qua non de leur réalisation – la sécurisation financière des universités – est restée fragile.

"Les mesures nationales devraient se traduire par des abondements de notre masse salariale, ce qui n’est pas le cas. La compensation de la hausse de la CSG (contribution sociale généralisée) – qui se traduit par une hausse de nos embauches – n’a été couverte qu’à 73 % à ce jour. Cela nous empêche de déployer pleinement notre politique indemnitaire et notre politique de formation", s'alarme-t-il.

Autre exemple de ce manque à gagner avec le glissement vieillesse technicité (GVT) : à masse salariale égale, les salaires augmentent chaque année à mesure de l’avancée des agents dans leur carrière.

"Tous les ans, le GVT augmente les budgets des établissements de 300.000 euros à 1 million d’euros, explique Jean-François Balaudé. Et pour l’année prochaine, nous ignorons encore si cela sera bien le cas."

Le vice-président RH, l’allié politique du DRH

Il est malgré tout une compensation que la loi LRU a permise : la naissance des vice-présidents RH. "C’est un poste à géométrie variable", précise Jérôme Pech, rappelant ainsi que chaque établissement décide de la création d’un VP RH, la fonction étant dans le cas contraire assurée par le vice-président chargé de l’administration. "Les postures varient : certains sont focalisés sur les enseignants-chercheurs, quand d’autres s’occupent de tous les corps."

L’existence même de cette fonction légitime le travail des DRH. Elle est la garantie, pour Jean-François Balaudé, "que le sujet est porté au niveau politique", entendez la présidence de l’université.

"À Nice-Sophia-Antiolis, le lien est permanent avec le VP, reprend Jérôme Pech. Nous avons une réunion hebdomadaire et j’en ai une autre avec le DGS (directeur général des services). Ainsi, je joue le rôle d’intermédiaire entre tous : il faut dépasser le binôme pour viser le trinôme."

"J’ai rencontré Françoise Le Fichant, la présidente de l’association des VP RH, ajoute le président de Sup’DRH. Nous nous sommes mis d’accord pour échanger et trouver des sujets communs de travail." La concrétisation de cette volonté de rapprochement, avec l’objectif de pousser les sujets RH des établissements d’enseignement supérieur et de recherche à l’échelle nationale.

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