Les Mooc, an II

Sophie Blitman Publié le
Les Mooc, an II
Vanessa Klein, responsable du programme Mooc à HEC, et Alberto Alemanno, professeur en droit européen // ©Nicolas Tavernier-REA // © 
Si 2013-2014 fut l'année de la déferlante Mooc dans les écoles et universités françaises, 2014-2015 s'annonce comme celle des interrogations, voire des critiques. Cependant, et sans succomber aveuglément à un effet de mode, EducPros vous donne huit raisons de continuer à produire ces cours en ligne ouverts et massifs, à l'occasion de la conférence "Mooc, faut-il encore y aller ? Si oui comment ?" du 26 septembre 2014.
SOMMAIRE

1. Pour expérimenter de nouvelles pratiques pédagogiques
2. Pour redonner de la valeur à l'enseignement
3. Pour renforcer son image de marque
4. Pour attirer de nouveaux étudiants
5. Pour booster sa formation continue
6. Pour créer des passerelles entre établissements
7. Pour remplir une mission de service public
8. Pour promouvoir la francophonie

Y a-t-il une bulle Mooc ? Après l'euphorie des débuts vis-à-vis de ces nouveaux cours massifs en ligne venus d'Amérique, le débat s'est installé dans la communauté universitaire française. Est-il vraiment utile, en cette période de crise économique, de dépenser quelque 50.000 € pour fabriquer des vidéos, si pédagogiques soient-elles ?

Depuis la rentrée, des voix se font entendre pour dénoncer l'inanité de ces cours en ligne qui n'ont pas, selon leurs détracteurs, rempli leurs promesses de démocratisation du savoir. En outre, alors que, dans la plupart des secteurs d'activité, le numérique a engendré des gains de productivité, rien de tel avec les Mooc. Tels sont les arguments que met notamment en avant Antoine Compagnon dans un article publié dans la revue "Débats". Le professeur au Collège de France dénonce ces "vaches à lait", "peu [performantes] en matière de formation initiale, notamment auprès des publics défavorisés, alors que leur utilité semble confirmée pour la formation continue des élites déjà diplômées des pays dits émergents".

Cependant, sans nier les insuffisances des Mooc tels qu'ils sont conçus aujourd'hui, à commencer par l'absence de modèle économique et les difficultés à délivrer une certification, force est de reconnaître qu'ils ont fait bouger les lignes, amenant les écoles et les universités à s'interroger sur leurs pratiques. Dès lors, celles-ci ont encore – au moins – huit bonnes raisons de produire des Mooc.

1. Pour expérimenter de nouvelles pratiques pédagogiques

Renouveler la pédagogie : aux dires des établissements qui se sont lancés dans l'aventure, c'est l'un des principaux intérêts des Mooc. Comme le souligne Yves Epelboin, qui tient un blog EducPros sur l'innovation et l'enseignement, "le plus important est que, dans la forme que nous connaissons aujourd’hui, ils [les Mooc] auront introduit l’impulsion qui était nécessaire pour innover. Ils n’auront pas remplacé l’apprentissage traditionnel en face à face mais le compléteront.(…) La distinction entre enseignement à distance et enseignement présentiel est brouillée, [l'enseignement] devient hybride".

D'ores et déjà, certains cours conçus au départ pour être de purs Mooc trouvent leur place dans les maquettes, soit en tant que tels, soit dans une perspective de pédagogie inversée. En outre, certains enseignants créent, sur ce modèle, des vidéos spécifiques pour leurs étudiants, baptisées Spoc (small private online classes) puisque les cours perdent leur dimension massive. Pour Jean-François Balaudé, président de l'université Paris Ouest Nanterre-la Défense, "ce modèle hybride correspond bien aux contraintes des étudiants, dont beaucoup ont un emploi salarié à côté de leur formation".

"Ce qu'on teste dans les Mooc, on peut ensuite l'appliquer dans d'autres formations", indique Jean-François Balaudé. Nous sommes en train de capitaliser un savoir-faire qui va pouvoir être diffusé petit à petit dans nos maquettes." De fait, l'université Paris Ouest Nanterre-la Défense a introduit, à la rentrée 2014, des "modules médiatisés, scénarisés et interactifs". Conçus comme "des sortes de petits Mooc internes", ils doivent donner de "grands repères" aux étudiants de L1 afin de les aider à passer le cap de la première année.

Pour Nicolas Sennequier, directeur de la stratégie de l'IMT (Institut Mines-Télécom), les Mooc participent d'un mouvement global que les établissements ont intérêt à accompagner : "Le numérique fait évoluer les manières de transmettre et d'acquérir des connaissances. Produire des Mooc, c'est être acteur de la transformation de l'apprentissage."

Ce qu'on teste dans les Mooc, on peut ensuite l'appliquer dans d'autres formations
(J.-F. Balaudé - Université Paris Ouest Nanterre la Défense)

2. Pour redonner de la valeur à l'enseignement

"On n'a jamais autant parlé d'enseignement que depuis qu'on fait des Mooc." Tel est le constat que dresse Pierre Dillenbourg, le "Monsieur Mooc" de l'EPFL (École polytechnique fédérale de Lausanne), souvent citée en exemple pour sa politique volontariste en la matière. Pour le directeur académique du Centre pour l'éducation à l'ère digitale, désormais, "avoir un Mooc avec 50.000 inscrits équivaut à une publication dans 'Nature'".

Si les Français ne sont pas aussi formels, beaucoup de responsables universitaires indiquent, comme Nicolas Sennequier, que, "intuitivement, on a le sentiment que les Mooc revalorisent la pédagogie". Alors que nombre d'enseignants-chercheurs se réinterrogent sur leurs pratiques, ces réflexions se diffusent par capillarité dans les établissements.

Une évolution d'autant plus appréciée que "la pédagogie était jusque-là le parent pauvre de l'université", souligne Jean-François Balaudé. Soucieux d'envoyer un signal fort à ses équipes, le président de Nanterre a lui-même participé au Mooc "Philosophie et modes de vie ; de Socrate à Pierre Hadot et Michel Foucault".

3. Pour renforcer son image de marque

En élargissant le public potentiel d'un cours à des dizaines de milliers de personnes, les Mooc sont synonymes de visibilité. Pour les enseignants comme pour les établissements.

"Les Mooc constituent indéniablement un élément de notoriété internationale dans le milieu académique, en valorisant ce que nous sommes, affirme le directeur de l'Essec, Jean-Michel Blanquer. Ils attirent l'attention d'un public éclairé sur l'une de nos expertises." L'école s'est lancée dans l'aventure à la rentrée 2014 avec un cours sur "L'avenir de la décision". Un choix stratégique car, explique le juriste, "le cours est produit par la chaire Edgar Morin qui véhicule une image prestigieuse, sur la thématique transversale de la complexité dans la vie économique".

Dans cette logique d'affirmation d'une marque, les Mooc peuvent en outre constituer "un outil de mise en cohérence de l'offre de formation", estime Olivier Faron, le directeur du Cnam. À condition, toutefois, de "veiller à une éditorialisation de ce que nous faisons". Un exemple ? Le Mooc "Introduction aux technologies des médias interactifs numériques" vient renforcer la présence du Cnam dans le secteur des jeux vidéo, à la suite de la création, en 2005, de l'Enjmin (École nationale du jeu et des médias interactifs numériques), à Angoulême.

Les Mooc constituent indéniablement un élément de notoriété internationale dans le milieu académique
(J.-M. Blanquer - Essec )

4. Pour attirer de nouveaux étudiants

Instruments de notoriété, les Mooc peuvent être une source de recrutement pour les établissements. Dans cette perspective, l'Institut Mines-Télécom "réfléchit sérieusement" à produire une version anglaise de ses Mooc, de manière à "se faire repérer par des étudiants qui pourraient être des candidats potentiels pour [ses] écoles", explique Nicolas Sennequier.

À l'université Paris Ouest Nanterre la Défense, le succès du Mooc "Philosophie et modes de vie : de Socrate à Pierre Hadot et Michel Foucault" a suscité, sinon des vocations, du moins des envies de poursuivre la réflexion. "On a noté un surcroît d'inscriptions en licence de philosophie à distance", observe le président Jean-François Balaudé.

5. Pour booster sa formation continue

Si le modèle économique des Mooc est loin d'être stabilisé, il n'est pas exclu d'en attendre, à moyen terme, quelques retombées financières. Au-delà de la certification payante, pas du tout rentable aujourd'hui, la formation continue pourrait y gagner.

Succès de l'année 2014, le Mooc "Du manager au leader" produit par le Cnam a rassemblé 36.000 inscrits. "20% sont allés jusqu'au bout", précise Olivier Faron, satisfait surtout de voir qu'à l'issue de la formation "10% des étudiants manifestent l'intention de suivre des cours au Cnam".

De là à faire des Mooc des produits d'appel, affichés comme tels, il n'y a qu'un pas. Que l'IMT n'a pas hésité à franchir : "L'idée est de présenter un Mooc comme un tremplin vers des modules de formation continue payants destiné à ceux qui veulent aller plus loin sur le sujet", explique Nicolas Sennequier. L'intérêt ? Les stagiaires se font une idée du type de cours proposé, tout en vérifiant qu'ils ont les prérequis nécessaires pour la suite.

Autre piste sur laquelle travaille l'IMT : proposer à des entreprises des TD en complément d'un Mooc. Intra ou interentreprise, ce supplément peut être conçu en présentiel ou à distance, mais avec, dans tous les cas, "davantage d'interactions avec l'enseignant que dans un Mooc", précise le directeur de la stratégie. Ce qui permet aussi d'amortir le coût de production du Mooc puisque celui-ci est intégré dans le catalogue de formation continue.

L'idée est de présenter un Mooc comme un tremplin vers des modules de formation continue payants
(N. Sennequier - IMT)

6. Pour créer des passerelles entre établissements

Etant donné les investissements nécessaires, les Mooc incitent les établissements à mutualiser leurs ressources. À Sorbonne Paris Cité, les appels à projets de Mooc ont été lancés au niveau de la Comue (communauté d'universités et établissements). "19 ont été retenus, parmi lesquels 12 sont portés par des équipes interétablissements", se réjouit Hubert Javaux, directeur de Sapiens, le service d'accompagnement aux pédagogies innovantes et à l'enseignement numérique de Sorbonne Paris Cité.

De son côté, Jean-François Balaudé souhaite "avoir une politique de Mooc coordonnée avec celle de Paris 8, au niveau de Paris Lumières, en nous appuyant aussi sur le savoir-faire cinématographique de l'École nationale supérieure Louis-Lumière".

Ces mutualisations pourraient, à terme, induire quelques économies. C'est ce qu'entrevoit l'IMT, dont les écoles proposent parfois des cours très proches les uns des autres. Même si ce n'était pas l'intention de départ, le Mooc "Principes des réseaux de données" a été utilisé en interne par Télécom Bretagne, Télécom ParisTech et Télécom SudParis qui ont porté ensemble le projet. "Remplacer une partie du cours par un Mooc permet d'économiser un peu de temps d'enseignement, argumente Nicolas Sennequier. C'est d'autant plus intéressant qu'on le fait dans plusieurs établissements : on rentabilise en partie l'effort consenti à la création du Mooc."

EPFL - Pierre Dillenbourg, , directeur académique du Centre pour l’éducation à l’ère digitale, dans le studio de production de Mooc ©S.Blitman - juin 2014

7. Pour remplir une mission de service public

Ouvrir ses enseignements à des publics extérieurs peut également être vu comme l'occasion d'étendre sa mission de service public en France, et à l'étranger. "Il en va de la responsabilité sociétale des universités", insiste Jean-François Balaudé, pour qui "les Mooc contribuent à une cause très noble, la diffusion du savoir, qui fait partie de nos missions". Il s'agit aussi de s'inscrire dans la logique de la formation tout au long de la vie, alors que les salariés représentent la majorité des inscrits.

De manière plus pragmatique, cela contribue aussi à "soutenir indirectement le développement économique du pays en formant une main-d'œuvre davantage qualifiée", avance Nicolas Sennequier. Par exemple, un technicien qui a suivi un Mooc peut monter en compétence et devenir ingénieur par le biais de la VAE (validation des acquis de l'expérience).

8. Pour promouvoir la francophonie

Produire des Mooc francophones est enfin une façon d'aller à l'encontre de l'idée selon laquelle l'anglais est la seule langue de diffusion du savoir scientifique. Tel est l'argument mis en avant notamment par l'AUF (Agence universitaire de la francophonie), qui préfère parler de Clom, acronyme français de cours en ligne ouvert et massif, et s'attache à promouvoir la solidarité Nord-Sud.

Le discours de Geneviève Fioraso va dans le même sens. D'après elle, "le développement des Mooc dans les dix prochaines années redéfinira la carte universitaire internationale. C’est pourquoi la France a un rôle important à jouer, à la hauteur de la qualité de son enseignement et de sa recherche, à la hauteur aussi de son histoire universelle, en termes de coopération avec les pays en développement et les pays francophones".

C'est dans cette perspective que le Rescif (Réseau d'excellence des sciences de l'ingénieur de la francophonie, qui rassemble 14 établissements francophones de 11 pays d’Afrique, Amérique, Asie, Europe et Moyen-Orient), a lancé un appel à projets de Mooc collaboratifs, fin 2013. Objectif : en produire 10 d'ici à 2016. Coordonné par Grenoble INP, celui intitulé "Des rivières et des hommes" débutera sur FUN (France Université numérique) en novembre prochain.

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