"La publication de l’algorithme de Parcoursup n'a aucun intérêt… C'est un acte politique"

Laura Taillandier Publié le
"La publication de l’algorithme de Parcoursup n'a aucun intérêt… C'est un acte politique"
Pour le moment, la grande inconnue reste le comportement des lycéens dans l'acceptation de leurs vœux. // ©  HAMILTON/REA
Comme il s'y était engagé, le ministère de l'Enseignement supérieur a rendu public, lundi 21 mai 2018, l'algorithme national de Parcoursup. Un code "strictement différent" de celui utilisé par APB, "clair" et "sans surprise" pour Julien Gossa, maître de conférences à l'université de Strasbourg et blogueur EducPros, qui voit là une publication symbolique.

Le ministère de l'Enseignement supérieur vient de publier l'algorithme national de Parcoursup. Que nous apprend-il de la procédure d'orientation des candidats ?

Il y a eu pas mal de critiques sur les réseaux sociaux concernant la qualité du code, mais je le trouve assez clair. Le document d'accompagnement explique concrètement son fonctionnement. Ce qui a retenu mon attention, c'est que les éléments d'examen des vœux seront modifiés pour y intégrer les quotas de boursiers et de candidats hors académie.

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Cela signifie que lorsqu'une formation de 100 places appellera le 300e candidat sur la liste, l'algorithme vérifiera que le quota de boursiers est respecté. Si ce n'est pas le cas, la formation appellera le boursier suivant, quel que soit son rang, etc.

Cet algorithme est-il très différent de celui d'APB ?

Les deux n'ont strictement rien à voir entre eux. Celui de Parcoursup ne procède à aucune affectation alors que celui d'APB prenait en compte la hiérarchie des vœux des lycéens pour leur donner satisfaction. Dans le cas de Parcoursup, on regarde seulement pour quel étudiant débloquer une place encore en attente.

À 18 heures aujourd'hui, sur une filière de 100 places qui classe 800 candidats, les 100 premiers de la liste recevront un "oui", les 700 autres seront mis "en attente". Au fur et à mesure que les élèves ayant obtenu un "oui" confirmeront ou infirmeront leur choix, cela libérera des places dans la liste d'attente. Le 101e recevra un "oui", puis le 102e, etc.

Par ailleurs un système palliatif est mis en place afin d’accélérer les choses. Le ministère autorise la procédure "du dernier rang à appeler". Cela signifie qu'une formation de 100 places choisit de dire "oui" à 300 candidats pour ne pas laisser des élèves "en attente" pour rien.

Il y aura forcément des formations qui vont se retrouver avec 300 candidats pour 100 places.

Les formations peu demandées peuvent également pratiquer le surbooking, en faisant venir 120 candidats au lieu de 100 pour éviter de se retrouver avec des places vacantes à la rentrée. Les universités qui utilisent ce système palliatif prennent le risque de devoir accueillir les candidats ainsi appelés. Il y aura forcément des formations qui vont se retrouver avec 300 candidats pour 100 places. C'est impossible à éviter. Et nous ne savons pas comment les lycéens réagiront !

Selon le ministère, 400.000 étudiants vont se retrouver en attente ce soir. Ce chiffre vous surprend-il ?

Non, c'est ce qui était prévisible. Ce qui va être intéressant maintenant, c'est de voir comment ces 400.000 élèves en attente vont réagir. Je crains que pour certains, ce ne soit la panique et qu'ils répondent favorablement à la première réponse positive sans se donner un délai raisonnable de réflexion.

Dans les formations très demandées, il y aura des listes d'attente monstrueuses. Par dépit, un élève moyen pourrait faire le choix d'aller dans une formation moins attractive qui lui aura répondu reçu beaucoup plus rapidement, alors qu'il aurait eu ses chances en patientant plus longtemps.

La publication de l'algorithme Parcoursup peut-elle éclairer le choix des candidats ?

Il n'y a aucun intérêt à publier cet algorithme. C'est une manière de dire, politiquement, que l'on donne les clés pour comprendre le fonctionnement du système. Mais ce sont les algorithmes locaux, qui, eux, ne seront pas publiés, qui pourraient permettre d'y voir plus clair sur la procédure.

Peut-on réellement parler d'algorithmes locaux ?

C'est le ministère lui-même qui a utilisé ce terme pour éviter d'avoir à parler de critères de tri. On peut discuter pendant des années sur ce qu'est un algorithme, même les informaticiens ne sont pas d'accord sur le sujet... À partir du moment où l'on doit trier 1.500 candidatures, tout ce qui est mis en œuvre pour effectuer ce travail derrière est un algorithme.

Le ministère a mis entre les mains des commissions un outil d'aide à la décision potentiellement explosif.

Les algorithmes locaux ne sont pas publiés, mais les élèves qui en feront la demande pourront avoir accès aux critères et modalités d'examen de leurs candidatures...

La question est de savoir si l'on va publier la méthode de tri des commissions d'examens de vœux. Il y a deux éléments. La partie où les responsables de la commission se mettent autour de la table et décident des critères de classement et définissent donc l'algorithme.

Et la partie où les commissions examinent les dossiers en fonction de ces critères dans le secret des délibérations. Qu'est-ce qui sera communiqué aux élèves ? Cela peut concerner seulement le champ "commentaire" qu'ont pu renseigner dans Parcoursup les membres de la commission en répondant aux candidats.

Ce qui est sûr c'est que si les formations jouent la transparence, il y aura des surprises et des recours des étudiants. Le ministère a mis entre les mains des commissions un outil d'aide à la décision potentiellement explosif. Si certaines formations disent avoir éliminé tous les candidats avec moins de 12 ou mis un "oui, si" à tous les lycéens avec tel type de bac… Ce sont des exemples de traitements automatisés, potentiellement contraires à la loi !

D'autres critères posent des problèmes éthiques, comme la prise en compte du lycée d'origine... Il n'y a pas de bonnes solutions au problème du tri des lycéens. Quelles que soient les décisions prises, elles seront critiquables par ceux qui en subissent les conséquences.

Laura Taillandier | Publié le