Écoles d’ingénieurs : cursus courts, le modèle à suivre ?

Camille Jourdan Publié le
Écoles d’ingénieurs : cursus courts, le modèle à suivre ?
Les écoles d'ingénieurs diversifient les cursus de formation pour élargir les profils de leurs étudiants. // ©  Goodluz/Adobe Stock
De plus en plus d’écoles d’ingénieurs proposent des formations de niveau bac+2 ou bac+3, alors qu’elles délivrent principalement des diplômes d’ingénieurs, après cinq ans d’études. Pourquoi développent-elles ces formations plus courtes ? Demande des entreprises, des étudiants, appel de l’international… les raisons sont multiples.

En 2014, l’École Nationale Supérieure des Arts et Métiers (ENSAM) est l’une des premières écoles d’ingénieurs françaises à lancer un programme en trois ans. Depuis, son "bachelor de technologie" a fait des émules : une douzaine de programmes semblables ont fait leur rentrée, dans d’autres grandes écoles (ENSILV, ESEO, IMT, Polytechnique…).

Avant elles, certains établissements, comme l’ESTP ou l’ESME Sudria, avaient déjà ouvert des cursus alternatifs au cycle d’ingénieurs, en proposant des licences professionnelles ou encore des BTS. Même si elle reste marginale, cette stratégie de diversification semble gagner du terrain.

Un besoin des entreprises

"Nous souhaitons répondre aux besoins économiques", explique Antoine Bonte, directeur adjoint des études à l’ESTP. Comme lui, d’autres écoles le remarquent : les entreprises sont en demande de cadres intermédiaires. "Elles n’ont pas toujours besoin d’ingénieurs, développe Odile Sarralié, directrice adjointe des formations à l’EPF. Mais elles perçoivent les BTS ou les DUT comme des formations trop techniques. Il manquait un niveau de diplôme." Un niveau sur lequel se positionnent ces écoles : "Au-delà des connaissances techniques, les titulaires de notre bachelor acquièrent des compétences d’organisation, de planification, de management, etc.", énumère Antoine Bonte.

Une demande des étudiants

En parallèle, "beaucoup d’étudiants sont à la recherche d’une pédagogie différente de celle proposée en cycle ingénieur, plus classique", note Assia Spicher, responsable du bachelor ingénierie numérique de l’ESILV, dont le programme prévoit d’entrée des "cours appliqués". Il ne s’agit pas en l’espèce d’obtenir le titre d'ingénieur, mais les élèves peuvent bénéficier du prestige d'une école d'ingénieurs ainsi que de ses enseignants-chercheurs et de ses laboratoires de recherche.

Comme la plupart des bachelors, ce parcours se veut très professionnalisant, ce qui n’empêche pas la poursuite d’études. "Cette offre de formation séduit des candidats et des familles qui craignent la pression des classes prépa", détaille Patxi Elissalde, directeur de l’ESTIA.

Diversifier les profils

Une option qui séduit d’autant plus les lycéens réticents à s’engager pour des études longues. "Le bachelor nous permet d’embarquer des étudiants qui ne sont pas sûrs d’eux", confirme Laurent Champaney, directeur de l’ENSAM. Au lancement de ce cycle en trois ans, l’objectif était d’ailleurs de diversifier les profils des étudiants. Si l’école a réservé son bachelor aux bacheliers STI2D, ses établissements concurrents ouvrent souvent leurs portes à d’autres lycéens, quand le cycle ingénieur est historiquement investi par les scientifiques.

"Ces cursus plus courts permettent d’attirer un public différent, qui ne serait pas venu naturellement en école d’ingénieurs", en déduit Patxi Elissalde. Un public qui vient en complémentarité, et non en concurrence, aux cycles classiques d’ingénieurs, assurent les responsables de formation.

Se conformer aux standards internationaux

En ouvrant des bachelors, les écoles d’ingénieurs cherchent aussi à rayonner à l’étranger, ce titre correspondant "aux standards internationaux", rappelle Antoine Bonte. "Il est connu internationalement, ajoute Odile Sarralié, et permet donc d’accueillir des candidatures étrangères." C’est d’ailleurs dans cette optique principale que l’école Polytechnique a lancé le sien. Son cursus en trois ans n’a pas pour vocation l’insertion professionnelle, mais bien d’attirer des étudiants étrangers.

"Auparavant, nous ne proposions aucune formation post-bac, ce qui nous privait de certains talents à l’international, qui réfléchissent à leurs études immédiatement après le bac", ajoute Claire Lenz, directrice déléguée du bachelor of science de l’X. Ce cursus permet aussi de mettre en place des échanges internationaux, les calendriers du bachelor, en trois ans, correspondant davantage à ceux hors notre frontière.

"Ces offres de formation un peu différentes rendent les écoles d’ingénieurs plus attractives, en France y compris", conclut Patxi Elissalde. Plusieurs écoles – l’ESME Sudria, l’EPF et l’ESILV notamment – promettent de nouveaux bachelors, (voir encadré ci-dessous) mais aussi des licences professionnelles, dans les années à venir.


La reconnaissance au grade de licence, un enjeu pour les bachelors. En juillet, la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a annoncé que les cursus de bachelors pourraient bientôt se voir attribuer le grade de licence. Ce que les écoles attendent avec impatience. "Pour le moment, ces formations aboutissent à un diplôme d’établissement, ce sont donc les écoles qui garantissent leur qualité", explique Elisabeth Crépon, présidente de la Commission des Titres d’Ingénieur (CTI) et directrice de l’ENSTA Paris. Si le gouvernement ouvre cette possibilité, la CTI pourra alors intervenir pour évaluer ces cursus, et attester de leur qualité. Un texte est prévu pour l’automne. "Il est susceptible de changer la donne, et d’encourager les écoles à lancer ce type de programmes", prédit Elisabeth Crépon.

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