L'université ne reconnaît pas les siens

Sophie Blitman Publié le
L'université ne reconnaît pas les siens
Près des deux tiers des répondants à notre baromètre 2016 estiment que leur travail n'est pas reconnu à sa juste valeur, que ce soit dans leur établissement ou dans la société. // ©  Julien Revenu
BAROMÈTRE 2016. Des salaires insuffisants, un manque de temps et de considération professionnelle : pour les personnels de l'enseignement supérieur et de la recherche, le compte n'y est pas, d'après le baromètre EducPros 2016. Certains tentent néanmoins de trouver du sens à leur investissement.

L'enseignement supérieur français souffre d'un manque de reconnaissance persistant. Comme dans les deux éditions précédentes, près des deux tiers des répondants à notre baromètre 2016 estiment que leur travail n'est pas reconnu à sa juste valeur, que ce soit dans leur établissement ou dans la société.

"Déclassement social"

Ce sentiment trouve d'abord un ancrage financier. D'après les résultats de notre baromètre, les trois quarts des personnels des universités, et les deux tiers des personnels des écoles et des organismes de recherche considèrent ne pas être rémunérés à la hauteur de leurs responsabilités. Concernant le poste occupé, si 61 % des répondants disent exercer des fonctions en adéquation avec leur formation et leurs compétences, près d'un sur cinq affirme que ses compétences sont sous-employées.

Pour Hervé Christofol, à la tête du Snesup (Syndicat national de l'enseignement supérieur), ce malaise reflète le "déclassement social que les personnels du supérieur subissent depuis trente ans. Pendant cette période, nous avons perdu 25 % de notre pouvoir d'achat", affirme-t-il, insistant sur le fait que "nous sommes les derniers fonctionnaires à voir nos carrières revalorisées : nous passons non seulement après les enseignants du second degré, mais aussi après les cadres des ministères, les administrateurs territoriaux, les ingénieurs des Ponts, les directeurs des hôpitaux…", énumère le responsable syndical pour qui "les enseignants-chercheurs seront la dernière roue du carrosse".

"Sidération" et "culpabilisation"

Il en résulte, comme les années passées, un sentiment de démotivation qui concerne toujours près de la moitié des répondants. Ceux-ci mettent par ailleurs l'accent, de manière très concrète, sur des conditions de travail peu satisfaisantes : plus des deux tiers affirment ne pas avoir les moyens matériels de mener à bien toutes les missions qui leur sont confiées et les trois quarts disent ne pas en avoir le temps, d'autant qu'ils doivent aussi faire face à une hausse des effectifs étudiants.

"Les conditions matérielles de travail se dégradent de plus en plus, témoigne une enseignante-chercheuse dans une université en droit, économie, gestion. On est en sous-encadrement récurrent de profs et d'agents administratifs. On a donc des effectifs trop importants pour faire du bon travail sur le plan pédagogique. On nous dit alors d'utiliser les nouvelles technologies quand on ne capte qu'une fois sur deux le réseau ou qu'il n'y a pas de vidéoprojecteur installé dans toutes les salles et qu'il faut se trimbaler le vidéoprojecteur, l'ordinateur, une rallonge et parfois une chaise aussi  !"

"Les personnels sont tout simplement sidérés", renchérit Hervé Christofol. "Ils courent à droite et à gauche pour faire leurs cours, ils essaient de mener de front toutes leurs missions avec plus ou moins de réussite", décrit le responsable syndical, qui évoque "un mode de management par la culpabilisation".

On a des effectifs trop importants pour faire du bon travail sur le plan pédagogique.

"Trouver du sens à son métier"

Sans nier le malaise, François Germinet, le président de l'université de Cergy-Pontoise, veut se montrer positif et insiste sur la manière dont les établissements peuvent contrer ce sentiment, par exemple en organisant une cérémonie de remise des diplômes.

"Nous réunissons à cette occasion plus de 6.000 personnes, dont 2.000 diplômés de DUT, licence professionnelle ou master qui viennent accompagnés de leurs proches, souligne-t-il. Cet événement marque l'aboutissement du travail accompli durant toute l'année : cela matérialise le chemin parcouru, pour les étudiants comme pour les collègues. Les enseignants, mais aussi les personnels administratifs des composantes, ressentent une vraie fierté à voir ainsi défiler les promotions : le sourire qu'affichent les étudiants récompense nos efforts pour les accompagner durant leur formation. Cela donne du sens à ce que nous faisons."

Malgré tout, la reconnaissance institutionnelle se fait attendre, notamment en ce qui concerne l'engagement auprès des étudiants. Notre baromètre montre que, si les personnels estiment que leur investissement dans des projets de recherche est reconnu et valorisé, financièrement ou symboliquement, il n'en va pas de même sur le plan pédagogique. Dans les universités, ce sentiment  prévaut chez deux tiers des personnels.

Le constat est loin d'être nouveau : en septembre 2014, un rapport piloté par Claude Bertrand proposait d'instaurer une "prime d'excellence pédagogique ". Début juin, en marge de Futur en Seine, le festival de l'innovation en Île-de-France, le secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur et à la Recherche Thierry Mandon a réaffirmé qu'il travaillait sur le sujet. Dont acte.

 

Méthodologie
1.600 personnels de l'enseignement supérieur et de la recherche ont répondu, entre le 15 avril et le 17 mai 2016, à un questionnaire en ligne. Ce questionnaire comprenait une vingtaine de questions sur leur moral, leurs conditions de travail et leur vision de la politique menée dans le secteur sous le mandat du président François Hollande.

Il a été réalisé avec la collaboration de Romain Pierronnet, chercheur en Gestion des ressources humaines et François Sarfati, chercheur au Centre d’études de l’emploi.

Aller plus loin sur le baromètre EducPros 2016- Les résultats en diaporama
- Le profil des répondants en infographie

Lire aussi- Les résultats du baromètre EducPros 2015

Sophie Blitman | Publié le