Université de La Réunion : après la suspension du président, une enquête pénale ouverte par la justice

Lola Fourmy Publié le
Université de La Réunion : après la suspension du président, une enquête pénale ouverte par la justice
Université de La Réunion // ©  Serge Marizy/ Université de La Réunion
Frédéric Miranville, président de l'université de La Réunion, a été suspendu il y a plusieurs mois par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Il fait l'objet d'une procédure disciplinaire tandis qu'une enquête est ouverte au pénal notamment pour harcèlement moral. Le système hiérarchique de l’université dans son ensemble est visé par des collaborateurs, qui évoquent un climat tendu. Enquête.

Le 6 octobre dernier, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, annonçait la suspension provisoire d'un an du président de l'université de La Réunion, Frédéric Miranville, en poste depuis 2016 et réélu en 2021.

Une suspension immédiate "inattendue"

Cette décision rare - prise seulement pour la deuxième fois en France - fait suite à un courrier signé par sept agents ou ex-agents et adressé au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche (MESR). Il fait état de "dysfonctionnements graves au sein de l’institution" et dénonce "l'existence de harcèlement à l'université de La Réunion".

Après ce courrier, le ministère a demandé l'ouverture d'une enquête par l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (Igésr). D'une durée de quatre mois, cette enquête a abouti à la suspension du président de l'université de La Réunion.

Dans un communiqué, diffusé le 10 octobre dernier, Frédéric Miranville se dit "consterné" par "la soudaineté et la violence d'une telle décision, très rare dans l'écosystème de l'enseignement supérieur et de la recherche française." Il estime, par ailleurs, que "l’université de La Réunion, la plus grande des universités ultramarines françaises, vient de faire l'objet d'une décapitation en règle."

Son avocat Philippe Creissen confirme. À l'annonce de sa suspension, M. Miranville serait "tombé de l'armoire". "Ce qui se passe, en général, c'est qu'il y a d'abord une procédure disciplinaire ouverte, puis une suspension. Là, la suspension a été immédiate", poursuit l'avocat qui indique avoir été notifié très récemment de l'ouverture d'une procédure disciplinaire.

Ouverture d'une enquête pénale

Par ailleurs, le ministère précisait dans son communiqué que "la mission ayant relevé à l’issue de ses investigations des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale, les résultats de l’enquête administrative ont été transmis par l’Igésr à la procureure de la République de Saint-Denis de La Réunion, conformément à l’article 40 du code de procédure pénale".

Ces éléments ont ainsi conduit la procureure de Saint-Denis à ouvrir une enquête pour harcèlement moral et détournement de fonds, confirme-t-elle à EducPros. 

Sur ce volet également, l’avocat de Frédéric Miranville assure ne pas avoir eu connaissance personnellement de l'ouverture d'une procédure pénale à l’encontre de son client, qui est légalement présumé innocent.

La justice déjà saisie pour d’autres faits à l'université de la Réunion

Au-delà de ce courrier, d’autres agents de l’université de La Réunion avaient déjà dénoncé des faits de harcèlement auprès de la justice et fait condamner l’établissement. Christian*, un enseignant, a ainsi fait condamner l'université pour harcèlement moral en 2019. En cause, plusieurs changements de service qui, selon lui, ont été décidés sans raison officielle. Depuis, "j'ai continué à être harcelé", affirme le professeur, en attente d'un nouveau jugement dans cette affaire.

Virginie*, de son côté, a porté son affaire au tribunal administratif, qui lui a aussi donné raison. En cause : une titularisation qui n'a jamais abouti et ce, sans justification. "J’ai vécu six années de galère avec des hauts et des bas. J’ai passé trois fois un concours pour être intégrée à l’université, dans des conditions opaques", relate-t-elle.

D’autres anciens agents témoignent aussi d’un climat délétère au sein de l’université et dénoncent des méthodes de management qualifiées de "brutales". Hugo* a, par exemple, été muté de service pour un motif qu’il peine à comprendre. "J’ai été convoqué par des membres de la direction qui m’ont annoncé ma mutation pour défaut de confiance et de loyauté". Après un nouveau changement de service, l’agent finit par quitter l’université.

Un membre de la direction, Romain*, a lui aussi quitté ses fonctions pour "désaccord sur les méthodes de management".

Pour l’avocat de Frédéric Miranville, "le management brutal n'est pas du harcèlement moral". "Et sur 1.600 personnes qui travaillent à l'université, il faut voir le pourcentage de ceux qui déclarent se sentir victimes de harcèlement moral", estime-t-il.

Des dysfonctionnements institutionnels ?

D’autres signalements portant sur des situations individuelles au sein de l’université de La Réunion et pour certaines, non communiquées à la mission au moment de l’enquête, ont été envoyés à l’Igésr après l’envoi du rapport initial à la procureure de Saint Denis, apprend par ailleurs EducPros auprès du MESR.

"L'Inspection générale a donc fait deux signalements complémentaires à la procureure le 27 septembre et le 14 novembre en lui transmettant l’ensemble de ces éléments nouveaux portés à sa connaissance", précise ainsi le ministère.

Selon nos informations, quelques semaines après la suspension du président, six autres personnes ont adressé une deuxième lettre au ministère de l’Enseignement supérieur pour l’alerter de dysfonctionnements dans un des services de l'université de La Réunion.

Dans ce courrier, qu’EducPros a pu consulter, les signataires évoquent les "agissements de certains chefs de service de l’université [qui] n’ont pas été portés à la connaissance de l’inspection générale, malgré le souhait de nombreux agents de témoigner à l’occasion de la venue des inspecteurs".

Dans ce service d’une soixantaine d’agents, Marie* se dit victime, comme d’autres collègues, de harcèlement de la part de sa directrice. "J'ai toujours été passionnée par mon métier. Mais à force d’humiliations, j'étais tétanisée", raconte-t-elle. Comme d'autres témoins, elle dénonce "un phénomène institutionnel".

"La gouvernance est au courant de la détresse des personnels. Ils cherchent des portes de sortie mais protègent toujours les responsables de ces souffrances", déplore celle qui a changé de poste et dont l'université n'a pas reconnu le harcèlement.

Une nouvelle décision attendue pour avril

L'avocat de Frédéric Miranville voit dans cette affaire une décision politique et une forme de "lobbying". Avec son client, il conclut "de l'irrecevabilité totale de la plainte" et a adressé début janvier un mémoire en irrecevabilité au Cneser, qu'il a également communiqué au ministère.

"Il ne ressort de ce rapport (de la mission Igésr, ndlr) aucun élément factuel précis de nature à considérer qu'une plainte disciplinaire pourrait être recevable", considère l'avocat qui a par ailleurs demander de suspendre la suspension du président de l'université de La Réunion, demande qui a été refusée et doit passer en appel en avril.

Aujourd'hui, c'est Dominique Morau – qui n’a pas répondu à nos demandes d'interview – qui assure l'intérim de la présidence. De son côté, l'enquête pénale, en instruction, suit son cours.

*prénoms d'emprunt des témoins qui ont souhaité conserver l'anonymat

Lola Fourmy | Publié le