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Les learning labs, ces salles de cours 3.0

Sophie Blitman Publié le
Les learning labs, ces salles de cours 3.0
Les outils numériques permettent un enseignement à la demande, qui prolonge le temps d'apprentissage. Ici, la salle de codesign du learning lab de l'École centrale et de l'EM Lyon. // ©  ECL
Chaises et tables mobiles, Post-it, ordinateurs et tablettes, robot de téléprésence ou Google Glass… Les learning labs fourmillent de matériel modulable et high-tech, mis au service de l'expérimentation pédagogique. Zoom sur ces nouveaux lieux qui s'attachent à rendre les étudiants plus actifs et ambitionnent de révolutionner l'enseignement.

À côté des traditionnels amphis ou salles de TD, de nouveaux espaces, plus ouverts et plus modulables, font aujourd'hui leur apparition dans les écoles et les universités. Une dizaine ont vu le jour récemment.  Leur finalité : favoriser le développement de pédagogies alternatives, fondées sur l'interactivité et la créativité. Expérimenter et innover : voilà ce qui guide les learning labs.

"Nous mettons les équipements technologiques à disposition des enseignants, pour voir s'ils peuvent en faire quelque chose qui ait du sens dans leur pédagogie. Le but est de faire émerger des idées farfelues", s'amuse Benjamin Six, responsable de l'innovation pédagogique de l'Essec. "Certaines seront géniales, d'autres inutiles", poursuit le directeur exécutif du Knowledge-Lab ou K-Lab, qui décrit celui-ci comme "un fablab de l'immatériel". "Nous nous situons dans la même logique d'innovation, à ceci près que l'objectif ici n'est pas de fabriquer des prototypes mais d'imaginer des pédagogies différentes", précise-t-il.

Des espaces modulables…

Concrètement, cela passe par des tables et chaises sur roulettes, facilement déplaçables, que l'on peut rapprocher pour mener un travail en petit groupe, puis organiser en cercle pour lancer une discussion collective. Mais aussi par des cloisons mobiles, parfois des rideaux, qui permettent de scinder une salle en plusieurs petits espaces où l'on peut s'isoler à certains moments. Des environnements qualifiés de "fluides", où l'on ne jure (presque) que par du mobilier Steelcase.

Ouvert à la rentrée 2014, le Knowledge-Lab de l'Essec, qui s'étend sur 500 m2 – et atteindra 800 m2 à l'été 2015 – au cœur de l'école, se veut ainsi "un lieu à géométrie variable", selon l'expression de Jean-Michel Blanquer, le directeur général de l'Essec. "Il faut pouvoir passer facilement d'un mode de présentation à des ateliers à quatre ou cinq étudiants", confirme Jean-Pierre Berthet, directeur de la stratégie numérique à l'École centrale de Lyon.

"Nous nous situons dans la même logique d'innovation [que dans un fablab], à ceci près que l'objectif ici […] est d'imaginer des pédagogies différentes.
(B. Six)

Au sein du learning lab lancé conjointement en 2012 par Centrale et l'EM Lyon, une salle a été dotée de grands murs-écritoires où les étudiants sont invités à griffonner leurs idées lors de séances de brainstorming, tandis que des post-it électrostatiques peuvent être affichés puis déplacés au gré de l'avancement de la réflexion. "Cela change totalement la manière de réfléchir, constate le directeur, on sort du cadre du paper board classique en favorisant le collaboratif."

Dans cette perspective, la convivialité est une dimension importante des learning labs. À l'Iram (Institut Rhône-Alpes médias), rattaché à Télécom Saint-Étienne, un "espace bar" a été aménagé à l'entrée, doté d'une machine à café et d'un frigo, tandis que des canapés accueillent les étudiants dans le centre de coworking. "Nous mettons d'autant plus l'accent sur les relations humaines qu'il s'agit d'un univers tourné vers le numérique", explique Jean Pouly, chargé du développement de l'Iram.

undefinedAu sein du learning lab de l'université catholique de Lille, des claustras mobiles servent à la fois de tableau et de cloison. //  © UCL

… et des équipements high-tech…

Les nouvelles technologies sont omniprésentes dans ces learning labs, équipés de nombreux ordinateurs reliés entre eux, de tablettes et autres écrans tactiles. Des salles hyperconnectées où l'on peut "faire apparaître et disparaître les projections au mur comme on le souhaite", indique Thierry Sobanski, le directeur opérationnel des systèmes d'information de l'université catholique de Lille.

En partenariat avec Samsung, le K-Lab de l'Essec met à disposition une flotte de quelque 40 tablettes, mais aussi un casque de réalité virtuelle et des Google Glass. À Lyon, l'EM et Centrale Lyon travaillent avec HP et ont notamment fait l'acquisition d'un robot de téléprésence qui permet à des élèves hospitalisés de suivre leur scolarité presque normalement. Commandé à distance, ce robot se promène dans l'école aux côtés des étudiants, des salles de TP à la cafèt ou à la photocopieuse. "On peut se déplacer, se tourner, parler… Excepté le fait qu'il est un peu plus difficile d'intervenir en cours car on ne peut pas lever la main, on a l'impression d'être là en personne", témoigne Jeanne, qui l'a utilisé pendant trois mois après s'être fait opérer du dos.

Plus particulièrement tourné vers les nouveaux médias puisqu'il accueille les formations des étudiants de la licence et du master d'information-communication, l'Iram s'organise autour du "newsplex", qui se veut "la salle de rédaction du futur" avec ses studios de production télévisée et de prise de son, ses MacBook, iPad et caméras numériques.

… demandant des investissements conséquents

De tels équipements représentent bien évidemment un coût : 180.000 € d'investissement initial à Lyon, correspondant à l'achat des équipements et la rénovation de certaines salles, 500.000 € à l'Iram, financés par l'université, la Région et le conseil général, 800.000 € à l'Essec

L'école de commerce prévoit en outre de consacrer au K-Lab pas moins de 150.000 € par an pour le renouvellement technologique. Sans compter les salaires des quatre permanents (deux ingénieurs pédagogiques, deux ingénieurs de recherche) dédiés à cet espace. Un budget qui témoigne de l'ambition de l'école de "façonner le campus du futur". Le learning lab de l'EM et de Centrale Lyon affiche, quant à lui, un budget de fonctionnement de 120.000 € par an – un chiffre qui grimpe à 300.000 € avec les salaires.

À la Catho de Lille, l'aménagement du learning lab s'inscrit dans un plan d'investissement plus vaste, visant à développer un "campus cocréatif" qui comprend aussi d'autres "labs" : un médialab, un fablab au sein des Adicode (Ateliers de l'innovation et du codesign)… Budget total : 40 millions d'euros sur six ans.

Ce qui se passe en présentiel est beaucoup plus fort, on est vraiment dans de l'action learning.
(C. Levallois)

L'enseignant "metteur en scène des savoirs"

Un seul credo dans ces learning labs : changer la relation entre étudiants et enseignant. "On se pose beaucoup de questions sur le professeur au milieu de la classe", indique Benjamin Six. D'où le choix de cet "environnement physique qui favorise le mouvement". Pour Jean-Pierre Berthet, ce changement de paradigme aboutit à un "nouveau métier pour l'enseignant qui devient metteur en scène des savoirs tandis que les étudiants sont les acteurs". "L'étudiant va chercher son savoir et le construit avec l'enseignant", confirme Jean Pouly. Exemple parmi d'autres, la classe inversée est emblématique de cette approche.

L'accent est ainsi mis sur le développement de compétences. Professeur assistant à l'EM Lyon, Clément Levallois invite ses élèves à regarder chez eux un cours filmé sur le big data, de manière à "se concentrer en cours sur les TD, la professionnalisation et l'acquisition de compétences logicielles". "Ce qui se passe en présentiel est beaucoup plus fort, on est vraiment dans de l''action learning', témoigne ce spécialiste de l’analyse de données. Il n'y a pas de temps mort et les élèves sentent qu'il se passe quelque chose. Ils sortent en me disant que c'est un cours où ils ne se sont pas ennuyés."

Maître de conférences en chimie à Centrale Lyon, Jean-Pierre Cloarec organise, quant à lui, une mini-compétition entre différents groupes d'élèves, qui doivent cependant coopérer et travailler en communauté de brevets pour développer une molécule antivirale.

Quel que soit l'établissement, ce sont toujours quelques enseignants pionniers qui investissent en premier ces nouveaux lieux. À partir de ce noyau – les "explorateurs pédagogiques" comme les appelle la Catho de Lille –, l'objectif est ensuite de diffuser les bonnes pratiques, et de donner envie aux autres enseignants de se lancer dans de telles expérimentations.

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Le K-Lab de l'Essec

... mais aussi laboratoire de recherche

Par ailleurs, une large place est généralement accordée aux retours d'expérience, parfois au cours de discussions collectives, mais aussi de manière plus formelle car les learning labs se veulent en lien avec la recherche. À la Catho de Lille, les projets menés en son sein alimentent les travaux du LIP (Laboratoire d'innovation pédagogique), qui défend une réflexion scientifique mais pratique sur la pédagogie universitaire.

Même souci à Saint-Étienne, où Jean Pouly rejette "une approche purement technologique" du numérique, thématique au cœur du projet de l'Iram. Outre ses programmes de formation initiale et continue, l'Iram conduit des projets de sensibilisation des collégiens et lycéens aux médias, et travaille également à la mise en place d'une plateforme destinée à doter les habitants de la région de compétences numériques. Autant d'actions qui doivent permettre, explique le responsable, de "développer des recherches qui concernent la sociologie des usages du numérique".

Autre approche, celle de l'Essec, qui explore la voie de la recherche-action. Des économistes de l'école se servent par exemple du K-Lab pour étudier les comportements des clients lors de transactions d'achat et de vente. "Le lieu est conçu comme un laboratoire expérimental où les élèves sont parfois sollicités comme cobayes", explique Anne-Claire Pache, directrice du programme grande école. Et à en croire les responsables des learning labs, nul doute que de nouveaux usages émergeront au fil du temps.

Avec le Learning Lab Network, l'innovation se met en réseau
Désireuses d'échanger et de diffuser les bonnes pratiques qui émergent au sein de leurs établissements, l'EM et Centrale Lyon associées à l'université de Saint-Étienne ont décidé de mettre en place un réseau ainsi qu'une charte afin de formaliser ce qu'est un learning lab.

Les fondateurs ont défini six prérequis : favoriser l'innovation pédagogique, disposer d'un espace innovant ainsi que d'un ensemble d'équipements numériques, s'appuyer sur un dispositif de recherche, soutenir l'acquisition de compétences, être un lieu ouvert et accueillant. "Un établissement n'est pas obligé d'avoir les six briques d'un coup pour faire partie du réseau, précise Jean Pouly, de l'Iram. Mais nous voulions passer outre le symptôme des chaises Steelcase, des murs orange et des TBI [tableaux blancs interactifs, NDLR] !"

Aujourd'hui, 14 établissements sont membres du Learning Lab Network : les trois universités lyonnaises (Claude-Bernard, Louis-Lumière, Jean-Moulin) et l'université de Grenoble, les Écoles centrales de Marseille et de Nantes, l'Insa Rouen, VetAgroSup, l'ENS de Lyon, les universités catholiques de Lille, de Lyon et de Louvain, le groupe IGS et Sorbonne Paris Cité. Auxquels s'ajoutent le centre Erasme (living lab du conseil général du Rhône) et le learning lab du campus René-Cassin.

 

Sophie Blitman | Publié le