Mercato des concours : pourquoi les écoles de management changent de banques ? (partie 2)

Dahvia Ouadia, Stéphanie Ouezman Publié le
Mercato des concours : pourquoi les écoles de management changent de banques ? (partie 2)
L'arrivée sur la plate-forme Parcoursup oblige aussi les écoles de commerce à revoir leur politique en matière de concours. // ©  Virginie Bertereau
Pour les écoles de commerce, c’est le grand chambardement dans les concours. Les établissements ont tendance à privilégier les banques plutôt que l’aventure individuelle. A condition de bien gérer le positionnement de la banque. Sans oublier l’influence devenue déterminante de Parcoursup.

On l'a vu dans la partie 1 de notre enquête, un grand chambardement dans le choix des banques de concours a lieu en ce moment parmi les écoles de management. Que se passe-t-il alors quand une école quitte une banque ? En 2016, quand ICN choisit de rejoindre la BCE, elle laisse seuls deux membres (KEDGE BS et NEOMA BS) au sein d’Ecricome... et beaucoup de questions autour de la survie de la banque.

L’implication de ces deux établissements fondateurs (avec d’autres) de la banque qui recrutent le plus gros volume de préparationnaires l’a aidée à traverser sereinement les sessions de recrutement "à deux". De même que la puissance de la marque : "les professeurs et les élèves de CPGE voulaient continuer à pouvoir choisir Ecricome, souligne Thomas Froehlicher, intéressés par l’alternative à la BCE qu’elle a toujours représentée".

Une banque pourrait donc survivre à toutes les entrées et les sorties d’écoles pourvu que son positionnement soit suffisamment solide ? "Passerelle est justement une histoire d’entrées et de sorties successives de membres !", considère Jean-Guy Bernard, directeur général d'EM Normandie.

"Quatre des sept fondatrices restent présentes en 2019, (l’EM Normandie, GEM, BSB et Montpellier BS, ndlr), mais nous avons été jusqu’à treize ou quatorze membres." Certains ont disparu (Novancia, l’ESC Saint-Etienne, l’ESCEM…), d’autres ont changé (Rennes SB et l’EM Strasbourg), d’autres encore sont arrivés, ou revenus (ESC Clermont ou ICN). "Et il nous est arrivé de ne pas accepter certaines candidatures…", glisse le président de Passerelle qui reste serein et ouvert à l’intégration d’autres écoles.

Pour sa part, Ecricome cherche plutôt l’équilibre à quatre et pourrait attendre une ou deux sessions avant d’envisager l’intégration de nouveaux membres, laisse entendre Thomas Froehlicher, qui a présidé la banque entre 2015 et 2017, alors qu’il pilotait KEDGE BS.

Question de notoriété

Implication de chacun pour l’équilibre de tous au sein de la banque, certes, mais comment y parvenir quand les niveaux de notoriété et d’attractivité des membres ne sont pas hétérogènes ? A Ecricome, on fuit la stratégie "poisson pilote" ! Sésame, avec ses 14 écoles et 17 programmes représentés, doit pour sa part faire avec des écoles à l’envergure et aux ambitions plus modulées.

Pour le dire autrement, la concurrence est davantage présente. "On soigne évidemment notre positionnement", assure Lamia Rouai, directrice générale de l’EBS, qui a rejoint la banque cette année.

Face aux 452 places ouvertes par emlyon business school sur son Global BBA ou aux 421 de l’ESSEC, son établissement doit en effet "assurer" ! Cela passe par une évaluation fine du nombre de places ouvertes. L’EBS l’a revu à la baisse dès 2018, en passant de 350 à 220.

C’est surtout dans la dernière ligne droite du concours que les lignes de concurrence se révèlent : combien de candidats présents aux oraux ici ? Combien d’admis deviennent effectivement des intégrés ? Certaines banques ont mis en place des systèmes pour compenser les écarts d’attractivité.

Il faudrait un dispositif qui rationalise collectivement le recrutement des 38 grandes écoles de management qui proposent des admissions parallèles. (J-G. Bernard)

C’est le cas de Passerelle, qui a propose différents "tours" pour permettre aux admis de formuler leurs vœux d’intégration. Mais pour Jean-Guy Bernard, il reste souhaitable qu’une régulation soit effectuée, "un dispositif qui rationaliserait collectivement le recrutement des 38 grandes écoles de management qui proposent des admissions parallèles" (l’équivalent de SIGEM créé en 2000 pour les post-prépa). Pour Sésame, et les autres (banques de) concours post-bac, c’est Parcoursup qui a joué le régulateur…

Parcoursup a changé la donne

Parcoursup a imposé ses règles concernant le recrutement des bacheliers dans le supérieur : toutes les écoles visées avaient pour obligation de se trouver sur la plate-forme au plus tard pour leurs concours 2020. Et par conséquent, ont dû "accepter" de ne plus avoir de visibilité sur les vœux, ni de possibilité de communiquer avec les candidats, ce qui se pratiquait pour les "confirmations d’inscriptions" et les "convocations aux épreuves", mais aussi à coup de newsletters de conseils ou préparation…

Pour le directeur de Sésame, Thomas Lagathu, ce n’est pas l’intégration de sept nouveaux membres qui a fait évoluer le concours, mais bien son arrivée sur Parcoursup. "Le doublement de l’effectif de la banque nous a conduits à créer une strate intermédiaire pour accompagner les réflexions stratégiques de notre comité de direction autour du bac+4 d’une part et du bac+5 d’autre part. Mais Parcoursup a exigé de notre part un travail de fond bien plus conséquent", assure-t-il. Le calendrier traditionnel des concours post-bac est en effet complètement bouleversé.

Avant Parcoursup, nous avions jusqu’à juin pour informer les candidats de leurs résultats. (T. Lagathu)

"Avant Parcoursup, nous avions jusqu’à juin pour informer les candidats de leurs résultats. A partir de 2020, nous aurons à peine un mois pour examiner les dossiers, organiser les écrits et les oraux. Parcoursup nous demande les fichiers des classés pour le 10 mai !", résume Thomas Lagathu. A partir du 19 mai prochain, la plate-forme commencera en effet à informer les bacheliers des premières réponses des établissements auxquels ils auront candidaté.

Logiquement, Sésame, comme d’autres banques de concours, a donc revu le format de ses écrits. Elle est passée au tout QCM et propose des épreuves numériques, dispositif plus souple et moins risqué en matière de logistique. "40.000 copies physiques à corriger en quelques jours, cela aurait été compliqué", confie Thomas Lagathu. Le numérique facilite aussi le passage du concours par le millier de candidats inscrits à l’étranger que la banque enregistre chaque année.

Parcoursup oblige à repenser l'international

L’ampleur du "mercato des concours" révèle la place centrale qu’occupent les politiques de recrutement dans les stratégies des business schools françaises. Pour tenir leur rang, elles doivent à tout prix remplir leurs promotions. Le marché français, déjà très saturé et aujourd’hui "redécoupé" par Parcoursup oblige les écoles à repenser "international". Le recrutement "organisé" d’étudiants étrangers est désigné par toutes comme la prochaine étape. Pour réussir cette conquête, une stratégie numérique affûtée sera indispensable.


L’ESC Pau quitte la BCE
L’annonce a été faite par son directeur général à la mi-octobre. "Les stratégies de volume de certaines écoles nuisent aux autres, dont l’ESC Pau", explique Youssef Errami lorsqu’il évoque son choix de sortir de la BCE après avoir quitté Passerelle l’an dernier. Dorénavant, la business school recrutera seule, via un concours qu’elle a baptisé "For Tomorrowers", en lien avec sa signature de marque. Validé par le ministère de l’Enseignement supérieur, il comportera les deux étapes traditionnelles (écrits et oraux) et sera ouvert aux étudiants en admissions sur titre et aux élèves des classes préparatoires ayant validé 120 crédits ECTS (soit deux années de prépa). "Nous sommes une école à taille humaine qui ne souhaite pas recruter de volumineuses cohortes d’étudiants. Nous destinons nos diplômés avant tout aux entreprises du territoire", poursuit Youssef Errami. Si la BCE, Ecricome et les principales associations de professeurs de CPGE économiques et commerciales (l’APHEC et l’ADEPPT) ont fait savoir dans un communiqué qu’elles regrettaient le choix stratégique de l’ESC Pau, soulignant que "cette trajectoire individuelle d’école ne s’inscrit plus dans les actions collectives que nous coordonnons", le projet et les processus de qualification de l’école ont cependant été validés par la CEFDG.

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