F. Kogut-Kubiak (Cereq) : "L'adaptation locale des diplômes reste un sujet de débats"

Etienne Gless Publié le
F. Kogut-Kubiak (Cereq) : "L'adaptation locale des diplômes reste un sujet de débats"
Pour une meilleure insertion professionnelle, il faut développer des formations mieux adaptées aux besoins locaux du marché du travail. // ©  goodluz / Adobe Stock
Comment adapter les diplômes nationaux aux besoins des territoires ? Sur ce sujet clé pour les pouvoirs publics, une étude du Cereq apporte un éclairage sur deux formes spécifiques d’adaptation : les FCIL (Formations complémentaires d'initiative locale) et la "coloration" des diplômes. Educpros a rencontré Françoise Kogut-Kubiak, en charge des certifications et des politiques éducatives au centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq).

La question de l’adéquation des diplômes aux besoins du marché du travail est posée depuis plusieurs décennies. Dans quel contexte avez-vous été amenée à vous pencher sur l’adaptation au niveau local de l’offre de formation de l’Education nationale ?

La direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) a commandé au Cereq une étude sur l'analyse de la mise en œuvre du plan "500 nouvelles formations" lancé en 2017. Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l’Education nationale à l’époque, avait demandé aux rectorats de travailler sur les cartes de formations pour la mise en œuvre de ce plan.

Françoise Kogut-Kubiak, chargée de mission au Cereq
Françoise Kogut-Kubiak, chargée de mission au Cereq © Photo fournie par le témoin

Il s’agissait de formations de niveaux CAP à BTS et ciblées sur les métiers en tension et les métiers d’avenir. Chaque rectorat a fait remonter des propositions sur la façon dont il mettait en œuvre ces nouvelles formations qui devaient répondre à des métiers en tension ou à des besoins territoriaux.

En quoi consistent les formations complémentaires d'initiative locale (FCIL) et quel bilan en dressez-vous ?

Les FCIL sont nées en 1985. La plupart sont des formations post niveau 4, c’est-à-dire niveau bac. On dénombrait 158 FCIL actives en 2016-2017. Certaines sont ouvertes à la seule initiative du monde éducatif sans l'appui des branches professionnelles : elles sont conçues comme un dispositif de transition vers la vie active afin de faciliter l'insertion des jeunes diplômés sur le marché local de l'emploi ou encore pour maintenir des jeunes dans le système éducatif.

Les FCIL sont créées pour répondre à des besoins spécifiques du monde économique non satisfaits par l'offre de formation existante.

Mais la majorité d'entre elles sont créées pour répondre à des besoins spécifiques du monde économique non satisfaits par l'offre de formation existante. Elles assurent alors la continuité d’une spécialité de diplôme existante pour en enrichir le contenu en l’absence de diplôme spécifique visant les activités ou les compétences ciblées. Par exemple dans le bâtiment, une FCIL proposera une spécialisation dans le BIM (building information modeling) qui finira par être intégrée dans un diplôme professionnel qui pour l'instant ne porte pas sur ces activités particulières ou ces nouvelles technologies.

Ces FCIL n'ont donc pas vocation à durer dans le temps ?

Non, puisque les nouveaux besoins qui naissent sont pris en compte au moment des rénovations de diplôme et sont intégrés au fur et à mesure qu'on rénove un diplôme. Il arrive que certaines FCIL soient transformées en mentions complémentaires (MC) qui elles ont davantage de visibilité.

Car, même si elles visent des métiers en devenir, elles ne rencontrent pas toujours le succès escompté notamment en termes de remplissage : elles sont trop souvent encore méconnues des élèves et de leur famille. Les FCIL sont méconnues car non reconnues : ce ne sont pas des diplômes, juste des formations qui font l'objet d'une simple attestation de formation délivrée par le rectorat ou l'établissement.

Les FCIL sont méconnues car non reconnues : ce ne sont pas des diplômes, juste des formations qui font l'objet d'une simple attestation de formation.

Elles sont néanmoins visibles sur le site de l'Onisep mais je ne suis pas sûre qu'elles bénéficient d'une publicité auprès des élèves au-delà des établissements qui les mettent en œuvre. Par exemple, une FCIL "Agent thermal" n'a pas pu ouvrir de session car elle n'avait pu attirer que trois candidats...

Qu'en est-il de l'autre forme d'adaptation locale, les "colorations" de diplômes ?

Les "colorations" de diplôme consistent à adapter la formation d’un diplôme spécifique (CAP, bac pro ou BTS) à un champ professionnel particulier sur un territoire donné. En juin 2020 le ministère en dénombrait 170 : 136 baccalauréats professionnels, 24 BTS et 10 CAP.

Ces colorations prennent la forme d'un ajout d'un ou plusieurs modules de formation spécifique.

Ces colorations prennent la forme d'un ajout d'un ou plusieurs modules de formation spécifique et la réalisation des périodes de formation en milieu professionnel (PFMP) dans le milieu concerné. Par exemple, dans le commerce, le CAP Logistique "coloré" Drive prévoit que les élèves iront effectuer leur période de mise en situation professionnelle exclusivement dans des drive de la grande distribution. Dans un lycée d'Avignon, les élèves issus d'un bac pro système numériques "coloré" audiovisuel professionnel effectuent leur stage dans le secteur du spectacle vivant à l'occasion notamment du festival. Ce bac pro "coloré" a un rayonnement qui dépasse l'académie d'Aix-Marseille.

Peut-on détailler un exemple de coloration ?

Sous l'impulsion d'un inspecteur général, le bac pro technicien d'usinage d'un lycée professionnel a été "coloré" aéronautique en 2011 pour répondre à une pénurie de recrutement des élèves du lycée sur ce diplôme. Cette "coloration" avait aussi pour but de fidéliser les jeunes dans leur parcours de formation et de favoriser leur insertion professionnelle. L'équipe éducative du lycée a établi un cahier des charges sur la base du recensement des besoins spécifiques des entreprises locales avec lesquelles un partenariat a été mis en place.

Le cahier des charges validé par le recteur est revu tous les trois ans. Les jeunes se voient remettre un label aéronautique signé du chef d'établissement, d'un nom connu de la branche aéronautique et du DRH d'un groupe partenaire sur ce projet. Ce label atteste que les jeunes ont suivi une immersion obligatoire de 14 semaines dans une entreprise de l'aéronautique et suivi une partie de leur formation professionnelle en langue anglaise, etc.

Cette autre forme d'adaptation locale donne-t-elle de bons résultats ?

Oui. Les études de cas ont montré que la "coloration" renforce l'attractivité du diplôme ce qui dans certains cas répond aux objectifs fixés par les établissements scolaires. Encore faut-il que ces derniers rendent plus visible cette "coloration" pour guider au mieux le choix d'orientation des élèves.

La "coloration" renforce l'attractivité du diplôme ce qui dans certains cas répond aux objectifs fixés par les établissements scolaires.

Comment trouver un point d'équilibre entre coloration et diplôme national afin de ne pas mettre en cause la valeur et la reconnaissance de ce dernier ?

Songez que le futur BUT (bachelor universitaire de technologie) qui va se substituer au DUT prévoit de passer de 20% à un tiers de coloration locale pour prendre en compte les besoins du territoire. L'écriture des référentiels de diplômes à l'avenir ne doit-elle pas être beaucoup plus générique pour que sur le terrain, les enseignants puissent adapter beaucoup mieux leur formation dans le bassin d'emploi local ? Le souci de l'offre de formation locale est une préoccupation majeure immédiate au sein de la DGESCO. La question de l'adéquation entre formation et emploi reste plus que jamais d'actualité parmi les décideurs de ce gouvernement !

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