N. Elimas (secrétaire d'Etat) : “Nous changeons de logique" sur l’éducation prioritaire

Thibaut Cojean Publié le
N. Elimas (secrétaire d'Etat) : “Nous changeons de logique" sur l’éducation prioritaire
Nathalie Elimas, secrétaire d'Etat à l'Education prioritaire, en visite dans un collège classé REP+ en mars 2021. // ©  Stephane AUDRAS/REA
La première secrétaire d’Etat à l’Éducation prioritaire de la Cinquième République, Nathalie Elimas, va tester dès la rentrée de septembre les contrats locaux d’accompagnement. Une expérimentation pour l’instant parallèle aux réseaux d’éducation prioritaire, mais qui pourrait à terme en redéfinir la politique.

Des contrats locaux d’accompagnement (CLA) seront lancés dans 172 écoles, collèges et lycées professionnels des académies de Lille, Nantes et Aix-Marseille, dès la rentrée 2021. Cette expérimentation sera orchestrée par Nathalie Elimas, secrétaire d’Etat à l’Education prioritaire, une première sous la Ve République.

Alors que le calendrier intrigue, avec ce test lancé à quelques mois de l’élection présidentielle, la secrétaire d’Etat revient pour EducPros sur les objectifs et les effets attendus de son expérimentation.

En quoi consistera l’expérimentation lancée en septembre 2021 ?

L’expérimentation est née d’un constat établi par le rapport Azéma-Mathiot, celui de la Cour des Comptes d’octobre 2018 et par mon tour de France à l’occasion duquel je suis allée sur de nombreux territoires. Aujourd’hui, l’éducation prioritaire c’est un zonage en REP ou en REP+, c’est un peu la politique du tout ou rien.

Nathalie Elimas
Nathalie Elimas © Clément Rocher

Partant de ce constat et avec une mission qui était d'aller plus loin dans l’égalité des chances, j’ai décidé d’expérimenter les contrats locaux d’accompagnement. On change de logique : nous allons travailler à l’échelle de l’unité éducative, c’est-à-dire l’école, le collège ou le lycée professionnel. Nous allons regarder leurs besoins, et en fonction, répondre en donnant des moyens.

Aujourd’hui, l’éducation prioritaire c’est un zonage en REP ou en REP+, c’est un peu la politique du tout ou rien.

Dans telle école, on peut nous dire qu’on a besoin de réduire des effectifs de classes, dans tel collège qu'il perd de l'attractivité et qu’il faut mettre en place un bonus d’attractivité. Ailleurs, on peut nous dire que le climat scolaire est dégradé et qu’il faut utiliser de nouveaux leviers pour l’améliorer, etc.

L’expérimentation va démarrer en septembre prochain dans les académies de Lille, Nantes et Aix-Marseille. C’est une répartition géographique assez intéressante car ces territoires ont des indicateurs démographiques, économiques, sociologiques et sociaux qui permettent une projection de l’expérimentation sur le territoire national.

La dernière réforme de l’éducation prioritaire date de 2015, pourquoi déjà tester une autre formule ?

Cela fait quand même six ans que la réforme est en place, et, par ailleurs, une crise sociale est passée par là. Ce secrétariat d’Etat a été créé dans le contexte très particulier que nous vivons actuellement.

Je ne touche pas en l’état à la carte REP et REP+ existante. Les moyens alloués à cette carte restent eux aussi totalement inchangés. Je ne change pas, je ne détruis pas, j’élargis. Et j’insiste parce que les mots ont un sens : je ne fais pas une réforme, je fais une expérimentation. C’est une voie parallèle qui va démarrer avec des moyens propres.

Combien coûtera l’expérimentation ?

Elle a un budget propre de 3,2 millions d’euros. Les moyens seront alloués en fonction des besoins. Cela pourra être du crédit pédagogique, des bonus à la mobilité, des fonds sociaux ou encore des avantages statutaires. C’est extrêmement variable.

Ce budget est décorrélé du budget de l’éducation prioritaire. J’insiste : ni le zonage, ni les moyens actuels ne sont modifiés.

Comment allez-vous décréter que l’expérimentation est réussie ou non ?

Pour moi, une expérimentation ne vaut que si elle est évaluée. Nous travaillons à la mise en place de critères d’évaluation pour suivre le fonctionnement et apporter éventuellement des éléments de correction pour la rentrée suivante. S’il faut corriger, on le fera. On pourra aussi ouvrir l’expérimentation à une dizaine d’académies supplémentaires dès la rentrée 2022.

Je ne fais pas une réforme, je fais une expérimentation.

Le calendrier de l'évaluation n'est pas encore déterminé mais nous voulons rendre les critères publics assez rapidement, avant le mois de mai, et être prêts pour la rentrée de septembre. Il y aura aussi des comités de suivis locaux, composés des acteurs de chaque académie et d’élus. Moi-même je me déplacerai régulièrement sur ces académies expérimentatrices pour voir comment ça fonctionne. Ce sera l’objet de la poursuite de mon tour de France.

Sur quels critères les académies ont-elles choisi les 172 établissements de l’expérimentation ?

Ce n’est pas du tout au doigt mouillé. Même si on travaille à l’échelle de l’unité éducative, l’éducation prioritaire reste évidemment une politique nationale. Les recteurs se sont appuyés sur des critères nationaux préexistants liés aux établissements, aux élèves et aux professeurs. Cela peut être par exemple la typologie d’un collège, l’indice d’éloignement, les indicateurs de pauvreté, le nombre de boursiers, les résultats aux évaluations nationales ou encore l’âge moyen des personnels, leur ancienneté ou la proportion de titulaires.

De plus, on a donné des leviers supplémentaires aux académies pour choisir les établissements, à travers cinq critères : le climat scolaire, le décrochage, les réseaux d’équipements sportifs et d’accès à la culture, le taux de postes partagés et le taux d’attractivité. J’ai aussi demandé à ce qu’on soit très attentifs aux écoles orphelines, à nos établissements en ruralité et j’ai vraiment insisté sur les lycées professionnels.

Les problématiques ne sont pas les mêmes dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV) et dans les zones rurales, pourquoi appliquer une politique commune ?

C’est juste, ce ne sont pas les mêmes populations ni les mêmes caractéristiques. En ruralité, le sujet majeur est celui de la mobilité : c’est parfois difficile pour collégiens d’aller au lycée car il est loin, et encore plus difficile de se projeter dans les études supérieures.

C’est là que la logique que je propose va répondre sans mettre quiconque en concurrence, car on n’alloue pas les mêmes moyens ni les mêmes leviers à un milieu très urbain ou à un milieu rural. On est dans une approche extrêmement souple et au plus près de l’établissement, ce que ne sait pas faire aujourd’hui le zonage.

Cette expérimentation ouvre-t-elle l’éducation prioritaire aux écoles privées ?

Certains établissements privés accueillent aussi des familles en difficulté. A leur demande, nous avons accepté qu’ils entrent dans l’expérimentation. Il y en aura un ou deux par académie. Cela peut paraître un peu contre intuitif et j’ai été la première surprise, mais selon leur situation géographique ou les populations qu’ils accueillent, il y a une certaine cohérence à les intégrer.

En cas de généralisation du dispositif, ne craignez-vous pas qu’à terme, cela vienne mettre les écoles en concurrence dans les territoires ?

On n’en est pas encore là, je ne veux pas qu’on pense que j’ai dans l’optique de généraliser avant que ces contrats aient fait leurs preuves. Sincèrement je ne sais pas : je mets en test. Je le dis dès le départ : si jamais ça ne fonctionne pas, je ne m’entêterais pas, j’arrêterais.

Sur la mise en concurrence, ce n’est pas à moi de répondre. Je fais confiance aux recteurs d’académies et aux Dasen (directeurs académiques des services de l'Éducation nationale), qui connaissent mieux que quiconque leurs territoires, et qui ont identifié ces établissements sur la base d’indicateurs objectifs, solides et qui ont fait leurs preuves.

Quel sera l’avenir des REP+ ?

Ils ne sont pas concernés par l’expérimentation. En 2023, la carte des quartiers prioritaires de la ville sera revue. Dans le même temps, les REP+, qui sont au cœur des quartiers prioritaires de la ville, seront revus. S’il y a de nouveaux QPV, il y aura de nouveaux REP +.

D’ici là, il y a aura une élection présidentielle et un inévitable remaniement ministériel. Pourquoi lancer une expérimentation que vous n’allez probablement pas suivre jusqu’au bout ?

La carte devait déjà être revue en 2020, c’est ce qui était prévu dans le calendrier. Je suis entrée au gouvernement le 26 juillet 2020, c’était un peu court pour faire une refonte de la carte au mois de septembre. Néanmoins, qui dit égalité des chances et lutte contre les inégalités sociales et territoriales, dit qu’il y a de la pertinence à lancer l’expérimentation dès maintenant. Et ce qui doit se décider pour la rentrée 2022 sera probablement acté avant l’élection présidentielle car à ce moment, on aura déjà un retour sur l’expérimentation.

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