Philippe Jamet (CGE) : "Les communautés d'universités vont trop loin dans le dirigisme"

Camille Stromboni Publié le
Philippe Jamet (CGE) : "Les communautés d'universités vont trop loin dans le dirigisme"
Philippe Jamet, président de la CGE (Conférence des grandes écoles) // © 
Fusions, fédérations, associations... La loi sur l'enseignement supérieur, votée à l'été 2013, pousse les établissements à redéfinir leur politique de site. Les grandes écoles ont-elles leur place dans ce paysage en mouvement ? Désireux de poursuivre les coopérations avec les universités, le président de la CGE (Conférence des grandes écoles), Philippe Jamet, doute néanmoins de l'efficacité des nouvelles règles du jeu.

Le paysage de l'enseignement supérieur, suite à la loi promulguée en juillet 2013, se structure en grands sites. Quelle place doivent avoir les grandes écoles dans ces communautés ?

La question que nous nous posons est simple : les écoles pourront-elles maintenir leurs business model de PME dans ces grands regroupements en cours de construction et auront-elles une influence dans la gouvernance et le contenu de ces ensembles ?

Il est promis que tout le monde sera écouté, mais nous avons de grands doutes sur la possibilité de faire réellement entendre nos voix. Ce sont les universités qui seront à la manœuvre.

Un exemple concret : la règle d'une voix par établissement, actuellement appliquée dans les PRES (pôle de recherche et d'enseignement supérieur), sera-t-elle respectée dans les communautés ? Les signaux actuels montrent que ce n'est pas acquis du tout, au contraire, ce qui est une très mauvaise chose.

N'était-il pas nécessaire de franchir un cap supplémentaire dans les rapprochements entre établissements, en dépassant les PRES ?

Notons tout d'abord que les regroupements entérinent une dynamique collective qui existe depuis longtemps, dans laquelle les grandes écoles ont déjà toute leur place. Le maillage est très fort et il se développe sur l'ensemble des sites depuis quinze ans.

Les PRES ont en outre assez bien fonctionné. Avec ce mode de représentation d'une voix par établissement, ils obligeaient les "grands" à faire attention au point de vue des autres, en essayant de trouver au minimum un consensus, si ce n'est l'unanimité.

S'il fallait inciter encore plus les établissements à travailler ensemble, il n'était pas nécessaire de passer par cette méthode où l'on créé encore de nouveaux établissements, avec le statut d'université. C'est aller trop loin dans le dirigisme et cela risque surtout de créer plus de clivages et de frilosité.

Placer des institutions comme les grandes écoles, dont l'efficacité à se gouverner est forte, sous des tutelles qui le seraient moins, ne semble pas forcément opportun.

Nous avons de grands doutes sur la possibilité de faire réellement entendre la voix des écoles

Les écoles vont-elles tout de même jouer le jeu ?

La loi est promulguée, c'est désormais acté et les écoles vont faire en sorte que ça marche. Il n'y a aucun doute sur notre volonté de rapprochement. Il faut arrêter les représentations manichéennes opposant écoles et universités.

En revanche, certaines écoles risquent d'estimer qu'il demeure un trop grand nombre d'incertitudes pour déléguer aux regroupements des compétences importantes, c'est-à-dire une part de leur souveraineté, dans un système avec un mode de gouvernance indépendant et incertain. Elles pourraient préférer attendre de voir ce qui va se passer, en poursuivant des actions communes sur un mode coopératif, plutôt que de signer un chèque en blanc.

Cette intégration plus forte ne pourrait-elle pas être bénéfique ?

A l'inverse, je pense que nous allons nous éloigner des standards internationaux d'excellence, pour lesquels la loi ne nous donne pas d'outils supplémentaires.

En effet, pour atteindre ces standards, il faut marcher sur ses deux pieds : à l'international cohabitent de grandes universités de recherche, avec une gouvernance efficiente, qui ont vocation à figurer dans les classements internationaux, ainsi que de petites institutions, plus agiles, qui sont fixées sur des niches, comme les College aux Etats-Unis ou les grandes écoles en France.

Si l'on perd cela en homogénéisant trop le système, la France sera moins compétitive. C'est tout sauf du corporatisme : nous voulons continuer à contribuer le plus fortement possible à l'excellence du pays.

Nous souhaitons aussi des universités les plus performantes possibles, et nous ne leur contestons aucunement le rôle clé qu'elles ont à jouer. Mais avec les communautés d'universités et établissements, cela va être d'une telle complexité que l'énergie à investir sera considérable.

Comment en outre être compétitif quand le système s'épuise en licence à ne faire réussir qu'un étudiant sur deux ? Tant que le gouvernement continue à tout faire pour diriger vers l'université des jeunes qui auront de très grandes difficultés, sans leur offrir d'alternative, les universités ne pourront développer leur excellence.

Comment être compétitif quand le système s'épuise en licence ?

Les universités sont-elles de leur côté réticentes à vous faire pleinement participer aux regroupements ?

Les situations sont très différentes selon les sites, où les écoles sont plus ou moins écoutées. Mais dans l'ensemble, le dialogue se passe bien. En revanche, lorsqu'il va falloir arrêter des modèles de gouvernance, je crains que cela ne reflète plus ces relations.

Quelle mesure vous semblerait prioritaire pour rapprochemer davantage universités et grandes écoles ?

Il faut faire confiance à l'intelligence des acteurs et leur laisser le plus de liberté possible. Quel que soit le levier structurel ou institutionnel, il ne correspond pas à la manière de fonctionner de l'enseignement supérieur, c'est-à-dire sur un mode "projet" et par consentement mutuel. Avec cette réponse structurelle, nous risquons d'avoir une montagne qui accouche d'une souris. 

Les écoles de commerce font souvent figure de grandes absentes du débat … 

La loi porte avant tout sur les établissements publics, ce qui peut donner cette impression et rendre plus difficile son appropriation par les écoles privées. Il n'est pas sûr d'ailleurs qu'elles trouvent un intérêt à rejoindre ces communautés... Mais dans les discussions sur les sites, les écoles de commerce sont là, avec la volonté de participer.

La loi évoque spécifiquement les écoles privées avec la création d'un statut nouveau pour l'enseignement supérieur privé à but non lucratif. Qu'en pensez-vous ?

Nous sommes très satisfaits de cet article de la loi, qui constitue une avancée significative. Même si l'effet immédiat est limité, c'est le début de la reconnaissance d'une forme d'utilité publique, pour aller vers un système comparable aux hôpitaux privés qui contribuent au service public de la santé.

Cependant, la loi ne va pas jusqu'au bout : au lieu de permettre justement à ces établissements de délivrer le diplôme de la communauté, elle l'interdit…

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Camille Stromboni | Publié le