Réforme du master : au-delà du "droit à", il faut encourager la capacité à rebondir

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Réforme du master : au-delà du "droit à", il faut encourager la capacité à rebondir
Quel "salarié-acteur" sera l'"étudiant-consommateur" ? C'est la question posée par Sylvie Guyon. // ©  EducPros
Sur le site de "The Conversation France", Sylvie Guyon, directrice des programmes Executive Education à Télécom École de Management, met en question le droit à la poursuite d'étude en master au regard des mutations que les étudiants connaîtront dans leur vie professionnelle.

La réforme des masters propose un "droit à la poursuite d'études" pour les étudiants. À la lueur de récentes études sur les compétences des actifs de demain et même déjà d'aujourd'hui, cette notion de "droit à" interroge tout autant les DRH que les responsables de programmes de formation initiale et continue, dans les écoles ou les universités.

Ce "droit à" a, au-delà de l'intention initiale, une portée plus complexe. En sus d'être contradictoire avec d'autres réformes de la formation (la formation continue et son compte personnel d'activité) (CPA), il entretient dans l'esprit du travailleur de demain, salarié ou entrepreneur à l'ère du numérique, des représentations incompatibles avec les évolutions technologiques et sociétales qui apparaissent.

Le droit à un bac + 5

À ce jour, la loi propose un droit à la poursuite d'études, au risque même d'un bac + 5 qui ne serait pas un choix. Au minimum, cela suppose pour l'étudiant une reconnaissance pour un domaine qui, a priori du moins, ne l'aurait pas intéressé – et au pire, un diplôme dont la valeur envers l'insertion professionnelle, elle, n'est pas avérée.

N'est-ce pas précipiter l'étudiant et le futur diplômé vers un horizon dévastateur fait de fausses promesses et d'illusions perdues ? Combien de candidatures les recruteurs reçoivent-ils de ces diplômes de bac + 5 trop inconnus pour apporter aux recruteurs une réelle visibilité ?

Combien de jeunes diplômés qui s'effondrent en entretien, quelque part entre la fatigue d'un cursus diplômant tout de même exigeant intellectuellement, et la déception d'un marché de l'emploi qui, soit se ferme, soit s'ouvre sur des opportunités sensiblement en dessous du niveau espéré ? D'ailleurs n'était-ce pas pour cela aussi (mais sans doute pas seulement) que ce bac + 5 avait encore des places disponibles ?

Certes, il y a aujourd'hui des bac+5 dont le marché du travail ne veut pas et qui pourtant proposent des formations intéressantes et un vrai niveau de culture générale et de questionnement. Et la finalité des études peut ne pas être l'insertion professionnelle immédiate. Il conviendra alors d'être très au clair sur "la promesse" et donner à l'étudiant inscrit le bon niveau d'information quant à une insertion professionnelle possible...

Vaut-il mieux un bac+3, clair, lisible et valorisé, qu'un bac+5 dont l'atterrissage dans le monde du travail n'est pas avéré ?

Mais dans la majeure partie des cas, quand l'insertion professionnelle est le but ultime, la question se pose souvent – et est souvent posée par les étudiants : vaut-il mieux un bac+3, clair, lisible et valorisé, qu'un bac + 5 dont l'atterrissage dans le monde du travail n'est pas avéré ?

Au-delà de l'insertion professionnelle ultime, c'est le comportement généré par ce "droit à" qui interroge, chez l'étudiant, et le salarié/slasher de demain. La notion de "droit à" induit une certaine fatalité de comportement : "J'y vais parce que j'y ai droit". Cette certaine passivité des étudiants qui " jouent la montre", retardent l'heure des choix sur le marché du travail, s'inscrivent parfois dans des cursus longs surtout par indécision, est en décalage complet avec les exigences et le fonctionnement de la société numérique.

"Droit à" pour la formation initiale et la formation continue

La question du "droit" avec, son corollaire, une proposition de format M1/M2 qui privilégie l'accès aux M1 et M2, confirme cette notion de durée et laisse totalement de côté la notion de choix, donc de questionnement pourtant si importante : quel est le projet ? À l'étudiant de bac+3, soit un adulte considéré comme responsable à tous niveaux qui détient le droit de vote, est un consommateur averti et sans doute un citoyen, on dit : "La réflexion sur les études peut ne pas être prioritaire – puisque c'est le droit à la durée que l'on priorise".

En conséquence, la réflexion sur le projet professionnel : pour faire quel métier ? Pour quelle employabilité ? Dans quel secteur ? Ce dont tu as envie te paraît-il plausible ? Bref, tous les questionnements qui devraient être constitutifs d'une vie étudiante sont totalement laissés de côté. L'étudiant se positionne comme consommateur de ce "droit à".

Il est tout de même paradoxal d'observer que, dans le même temps, les évolutions législatives sur la formation tout au long de la vie, par la mise en œuvre du CPA, de l'entretien d'évolution professionnelle, proposent au salarié en poste de devenir "acteur de sa vie professionnelle", et ce, à fréquence régulière (au moins tous les deux ans), et tout au long d'une vie professionnelle qui s'allonge inexorablement.

Au-delà d'un contenu métier, c'est notre capacité à rebondir, à 'apprendre à apprendre', à saisir les opportunités qui sera le plus sûr sésame de ce monde en transformation numérique.

Le droit à la durée (et à une certaine forme de passivité) semble creuser l'écart entre l'étudiant que l'on fabrique et ce que l'individu va avoir à vivre tout au long de sa vie professionnelle. Pourquoi ? Quel "salarié-acteur" sera cet "étudiant-consommateur" ?

Tous les indicateurs nous indiquent que chacun changera régulièrement de métier, de format de métier, d'environnement professionnel. Nous allons vers un environnement où le format de travail (salariat, entrepreneuriat...) évoluera autant que le contenu de nos métiers : les slashers, ces travailleurs qui, beaucoup par choix, cumulent plusieurs emplois et zappent rapidement d'un job à un autre, ont montré la voie : ils seraient plus de 2 millions aujourd'hui en France et leur nombre ne cesse d'augmenter, avec + 6 % l'année dernière. Tout nous indique donc que, au-delà d'un contenu métier, c'est notre capacité à rebondir, à "apprendre à apprendre", à saisir les opportunités qui sera le plus sûr sésame de ce monde en transformation numérique.

Le salarié "self RH", garant de sa "marque employé"

Dans de récentes études sur "Les salariés français à l'heure de la transformation numérique", un ensemble d'études menées par le professeur Emmanuel Baudoin (Télécom École de management) et ses équipes a mis en avant l'émergence d'un nouveau type de salarié "self RH".

Grâce au numérique, un nombre croissant de salariés déclare mettre en œuvre ses propres pratiques RH de développement et de revente de ses compétences. Il crée son CV en ligne sur LinkedIn ou Viadéo, et le promeut lui-même en réclamant des recommandations et validations de compétences à son réseau, en dehors ou au sein même de sa propre organisation.

Il se saisit des outils numériques pour créer sa propre "marque employé" et s'inscrit lui-même à des formations en ligne, sans systématiquement s'inscrire dans les circuits habituels et en complément des droits à formation dont il peut par ailleurs être bénéficiaire. Tout, dans les évolutions des pratiques du monde professionnel comme dans les évolutions législatives et les outils proposés l'incite à devenir acteur, à sortir de sa passivité sans attendre qu'on lui propose la next step.

Et cette tendance semble irréversible au regard de l'amplitude qu'elle a pris depuis quelques années : en matière de formation continue, le nombre d'étudiants inscrits sur les plates-formes de Mooc est passé de 160.000 en 2011 à 35 millions en 2015.

Cet article est paru sur The Conversation sous le titre original : "Réforme des masters : du "droit à" la poursuite d’études à la responsabilité de former les actifs de la société numérique de demain".

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