APB : la CNIL met en demeure le ministère pour manque de transparence

Natacha Lefauconnier Publié le
APB : la CNIL met en demeure le ministère pour manque de transparence
La CNIL donne trois mois au ministère pour se mettre en conformité. // ©  Denis ALLARD/REA
Décidément, APB n’a pas fini de donner des sueurs froides au ministère de l’Enseignement supérieur. Après que sa circulaire autorisant le tirage au sort a été jugée illégale par un tribunal administratif, le voici mis en demeure par la CNIL pour manque de transparence de l’algorithme et d’information des usagers. La Rue Descartes a trois mois pour imaginer un portail plus respectueux des droits des futurs bacheliers.

Le sujet brûlant de cette rentrée universitaire : Admission postbac, le portail national de préinscription en première année d’études supérieures. Et c'est précisément, jeudi 28 septembre 2017, le jour de la conférence de rentrée de Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, que la CNIL (Commission nationale de l'Informatique et des Libertés) a annoncé la mise en demeure du ministère.

En cause : l’opacité de l’algorithme d’APB, dénoncée en 2016 par l’association Droits des lycéens, puis par la mission Etalab. Après plusieurs mois de bras de fer juridique et un avis de la Cada, le ministère, alors dirigé par Thierry Mandon, avait fourni à l’association un document papier décrivant une partie du fameux algorithme.

Parallèlement, l’association avait saisi la CNIL, en lui envoyant vingt pages argumentées pour dénoncer les irrégularités d'APB. Une plainte prise au sérieux, dans un contexte plus général où les algorithmes sont dans le collimateur de la Commission, comme l'expliquait Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la CNIL, à EducPros en avril dernier. Concernant APB, des investigations ont été menées, depuis mars 2017, au sein du ministère et à l’INP de Toulouse, où est hébergée l’équipe technique en charge du logiciel.

Trois mois pour se mettre en conformité

Jeudi 28 septembre 2017, trois jours après la fin des vœux en procédure complémentaire d'APB, la CNIL enjoint ainsi le ministère "de cesser de prendre des décisions concernant des personnes sur le seul fondement d’un algorithme et de faire preuve de plus de transparence dans son utilisation."

Le ministère a trois mois pour se mettre en conformité avec la loi Informatique et Libertés. En effet, "plusieurs manquements aux règles gouvernant la protection des données personnelles" ont été mis au jour durant les six mois d’enquête.

Trois faits principaux sont reprochés au système. D’abord, il n’y a pas d’intervention humaine pour l’affectation des candidats dans les filières non sélectives, ce qui va à l’encontre de l’article 10 de la loi Informatique et Libertés. L’article 32 n’est pas non plus respecté : les utilisateurs n’ont aucune information sur "l’identité du responsable de traitement, de la finalité du traitement et des droits des personnes". Enfin, les candidats n’ont pas accès à des "informations précises relatives à l’algorithme et à son fonctionnement, notamment la logique qui sous-tend le traitement APB ou le score obtenu par le candidat".

Aucune décision produisant des effets juridiques à l'égard d'une personne ne peut être prise sur le seul fondement d'un traitement automatisé de données. 

informer les utilisateurs des règles d'affectation

L’enjeu pour le ministère ? Être plus respectueux des droits des candidats, en incluant une intervention humaine dans le fonctionnement de l’algorithme et, surtout, en informant plus clairement les utilisateurs des règles d'affectation. Deux critères qui devront être pris en compte par la concertation lancée en juillet 2017 pour transformer Admission postbac et l'entrée à l'université. En effet, avec 117.000 candidats sans proposition au premier tour d’admission de la session 2017, et encore 65.000 après le dernier tour mi-juillet, la plate-forme a montré ses limites.

L’autre sujet d’indignation : le tirage au sort qui départage les candidats ex aequo, après que l’algorithme d’APB a traité la priorité géographique et le rang du vœu. Si cette pratique existait depuis plusieurs années, il a pris de l’ampleur en 2017 : 169 licences étaient concernées, essentiellement en Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives), et pour la première fois, en Paces (première année commune aux études de santé) en Île-de-France. En avril 2017, le ministère avait sorti en urgence une circulaire autorisant le tirage au sort, jugée illégale par le tribunal administratif de Bordeaux, dans un jugement rendu le 21 septembre 2017.

Ces dysfonctionnements sont liés, d’une part, à l’augmentation des effectifs (près de 40.000 étudiants supplémentaires aux rentrées 2015 et 2016) et, d’autre part, au manque d’adéquation entre les souhaits d’orientation des candidats et l’offre disponible.

C’est donc un chantier titanesque qui attend les équipes de Frédérique Vidal pour transformer radicalement le système d’orientation postbac. Avec, comme le recommandait déjà en 2016 le rapport de l'inspection générale, une loi pour encadrer le fonctionnement du futur portail. Outre la question du budget nécessaire aux transformations se pose la question du calendrier, très serré. Habituellement, la plate-forme APB est en ligne dès le 1er décembre pour informer sur les formations, avec des candidatures ouvertes le 20 janvier. Un planning qui pourrait être bousculé pour la session 2018.

Une mise en demeure publique
Elle n’y était pas tenue, mais la CNIL a choisi de rendre publique sa décision de mettre en demeure du ministère de l’Enseignement supérieur, compte tenu "du nombre important de personnes concernées par ce traitement (853.262 élèves de terminale et étudiants ont formulé au moins un vœu d’orientation sur le site APB en 2017, selon le ministère) et de l’impact de celui-ci sur leurs parcours". Un choix que la Commission explique dans une délibération du 7 septembre 2017.

Natacha Lefauconnier | Publié le