La Commission des titres d'ingénieur s'inquiète de l'émiettement territorial des écoles

Sylvie Lecherbonnier Publié le
La Commission des titres d'ingénieur s'inquiète de l'émiettement territorial des écoles
Le site de l'INSA Rouen regroupé // © 
Si aujourd'hui les formations d'ingénieurs sont en pleine expansion, «l'émiettement territorial» des écoles et les difficultés de certaines à recruter des étudiants de bon niveau préoccupent la CTI (Commission des titres d'ingénieur). Des inquiétudes que la commission exprime dans son premier «rapport moral» qu'elle vient d'achever. Educpros vous révèle les principales conclusions de ce document qui sera diffusé lors du colloque annuel de la CTI, le 9 février 2010 à Poitiers.

La CTI n'y va pas par quatre chemins : « L'émiettement territorial de l'offre de formations d'ingénieurs peut mettre en jeu la réputation internationale du titre d'ingénieur. » La commission se veut « très vigilante sur l'environnement scientifique et intellectuel des formations d'ingénieurs » et rappelle les exigences que ce diplôme de niveau master impose : « Diplôme de référence internationale, le master est préparé partout à travers le monde sur de larges bases d'ouverture intellectuelle, d'ouverture internationale et de formation à l'innovation technologique par la recherche. »

Une inquiétude renforcée par la volonté de certaines collectivités de posséder sur leur territoire leur école d'ingénieurs. Les élus y voient tour à tour un outil de développement économique, un moyen de répondre à la demande industrielle locale ou de développer un enseignement supérieur de proximité. Des arguments que la CTI démonte un à un. Selon elle, « les ingénieurs diplômés sont très mobiles et peu restent dans la région où ils ont effectué leurs études. [...] Il faut [donc] analyser le besoin de formation à l'échelle nationale. »

Une offre de formations en forte croissance

Plus globalement, la CTI dresse le constat d'une explosion de l'offre de formations. Beaucoup d'écoles demandent à augmenter leurs effectifs ou à créer de nouvelles formations. Les universités, elles-mêmes, souhaitent transformer certains de leurs masters en formations d'ingénieurs. Une victoire pour la commission : « Après la mise en place du système LMD au début du siècle, beaucoup pensaient que le titre d'ingénieur allait se dissoudre dans l'offre globale de masters. En fait, dans un paysage national et européen où l'offre de masters est surabondante, émiettée et peu visible, le public et les entreprises sont à la recherche de repères et de labels pour orienter leurs choix. Le titre d'ingénieur répond à cette demande et, à court terme, il y aura peu d'universités françaises avec une composante scientifique forte qui n'auront pas leur école d'ingénieurs. »

Montée en puissance de l'apprentissage

Cette croissance répond à la demande des industriels. Selon la CTI, « sur le long terme, en lissant les effets des cycles économiques qui peuvent temporairement changer la donne, le nombre d'ingénieurs diplômés (30.000 par an) est encore insuffisant. Certains annoncent des objectifs de 40.000 par an. »

Pour augmenter leurs effectifs, les écoles ouvrent de nouvelles voies d'accès. Parmi elles, l'apprentissage connaît un développement spectaculaire. En 2008-2009, 59 diplômes en alternance ont été habilités, dont 27 créations. La CTI s'en félicite : « Notre référentiel pour l'apprentissage, que certains trouvaient contraignant, n'a pas empêché le développement de ce type de formations et a contribué à l'établir comme une voie d'accès au diplôme d'ingénieur, qui a toute sa légitimité et est largement ouverte à de nouveaux publics. » Autre voie d'accès en expansion : les implantations à l'étranger (cycle préparatoire, diplôme unique préparé sur plusieurs campus, filiales), pour lesquelles les demandes d'habilitation progressent.

Tension croissante sur le recrutement

Mais ces objectifs de croissance suscitent des questions sur le niveau scolaire des ingénieurs formés. La commission observe ainsi une tension croissante sur le recrutement : « Des écoles n'atteignent pas leurs objectifs de recrutement : soit quantitatifs (elles ne fonctionnent parfois qu'à 70 % de leur capacité globale d'accueil), soit qualitatifs (elles compensent par des recrutements sur dossier leur manque de résultats dans les concours). La démographie risque d'amplifier les problèmes, puisqu'on anticipe dans les dix ans à venir une baisse de plus de 10 % du nombre des jeunes arrivant aux portes de l'enseignement supérieur. » Pour prévenir d'éventuelles dérives, la CTI demande aux écoles de se doter d'indicateurs de suivi de la qualité de leur recrutement.

Evaluation de la CTI : des écoles en progrès
Sur son travail de l'année, la CTI, qui a examiné 179 diplômes d'ingénieur dans 74 écoles entre septembre 2008 et juillet 2009, note des progrès. « Des recommandations récurrentes il y a quelques années sont devenues plus rares, comme la certification du niveau d'anglais, la mise en œuvre du système européen (crédits ECTS, semestrialisation), le volume des stages en entreprises ou la diminution du nombre d'heures encadrées au profit de l'enseignement par projets. » Autre initiative en progression : la définition des objectifs de formation en termes de compétences et non de connaissances. Une démarche nécessaire pour la mise en place de formations en apprentissage, de la VAE (validation des acquis de l'expérience) ou l'inscription au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP).

Sylvie Lecherbonnier | Publié le