Enseignement supérieur privé : un rapport parlementaire pointe l'absence de régulation dans le secteur à but lucratif

Malika Butzbach Publié le
Enseignement supérieur privé : un rapport parlementaire pointe l'absence de régulation dans le secteur à but lucratif
"La part du secteur privé au regard des effectifs d'étudiants est passée de 15% dans les années 1990-2000 à plus de 26% en 2024", souligne le rapport. // ©  Adobe Stock/NickArt
Dans son rapport, rendu public le 10 avril, la mission parlementaire sur l'enseignement supérieur privé à but lucratif déplore un contrôle insuffisant du secteur, alors que les effectifs sont en augmentation. Les députées, rapporteures de la mission, formulent 22 propositions pour clarifier la situation.

C'est le paradoxe de l'enseignement supérieur privé à lucratif : alors qu'il scolarise des centaines de milliers d'étudiants, le secteur demeure "largement méconnu, et même non défini, par les pouvoirs publics".

Le rapport de la mission parlementaire, issu du travail des députées Béatrice Descamps (Liot) et Estelle Folest (Démocrate), formule 22 propositions "qui sont autant de pistes pour bâtir une nouvelle stratégie de régulation du secteur au service des étudiants, de leurs familles et de l'intérêt général".

Alors que le rapport fait près de 200 pages, les députés estiment n'avoir fait qu'un "travail de défrichage", tant le sujet a été difficile à appréhender. À cause du manque de données publiques, elles se sont notamment heurtées à l'impossibilité de définir et de chiffrer ce que représente concrètement le privé à but lucratif dans le supérieur.

Dans leurs propositions, les rapporteures préconisent d'établir une définition officielle de ce secteur et de construire une cartographie de ses établissements. Un travail qui pourrait être confié à l'Observatoire de l'enseignement supérieur, créé par le Hcéres (Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur).

D'ailleurs, tout comme la Fesic (Fédération des établissements d’enseignement supérieur d’intérêt collectif), le Hcéres a salué ce rapport qui "met en évidence l'importance cruciale de la régulation de l'enseignement supérieur privé".

Simplifier et clarifier les informations sur Parcoursup

L'un des enjeux de clarification de cette offre de formation privée porte sur Parcoursup. En 2018, avec la loi pour la liberté de choisir son avenir qui a poussé l'apprentissage, la loi ORE (d'orientation des étudiants), qui a mis en place la plateforme, a été une étape dans l'explosion du nombre d'inscrits dans le secteur privé à but lucratif.

"La part du secteur privé au regard des effectifs d'étudiants est ainsi passée de 15% dans les années 1990-2000 à plus de 26% en 2024". D'où la proposition de "simplifier et clarifier l'information disponible sur Parcoursup en distinguant nettement les formations publiques ; les formations visées ou gradées ; les formations RNCP ayant fait l'objet d'un contrôle en matière de qualité pédagogique".

Si le rapport a été voté à l'unanimité par la Commission éducation de l'Assemblée nationale, Hendrik Davi, député LFI, regrette que les aspects liés à Parcoursup ne soient pas davantage creusés. "Selon moi, il faudrait réserver la plateforme aux formations publiques, indique-t-il. Lorsque l'on tape 'commerce international' dans le moteur de recherche, les dix premiers résultats sont des formations privées", souligne-t-il.

Un label seul ne permettra pas de réguler le système ; or c'est bien d'une plus grande régulation dont celui-ci a besoin (B. Descamps et E. Folest)

Par ailleurs, évoquant l'arsenal marketing de ces établissements, "efficace, offensif et parfois trompeur", les députées constatent que les discours publicitaires mentionnent très souvent Parcoursup en jouant notamment sur les angoisses et incertitudes des élèves et des familles.

Elles proposent aussi une charte déontologique des salons étudiants où "ces établissements à but lucratif sont surreprésentés", selon le rapport. "En Île-de-France, les études conduites sur le sujet montrent que, sur 25 salons spécialisés dans l'orientation des lycéens, plus de 80% de l'offre de formation présentée est privée."

Mieux nommer et protéger les appellations

Face à la "jungle des diplômes et des formations", les députés soulignent la nécessité de clarifier l'information à destination des étudiants et de leurs familles.

Elles évoquent une réflexion pour "simplifier et remettre à plat les différentes appellations et formes de reconnaissance", notamment en protégeant davantage l'appellation master qui, rappellent-elles, "ne peut être utilisée que pour les diplômes nationaux délivrés par l'enseignement supérieur public".

Le rapport appelle les pouvoirs publics à "mieux faire appliquer les règles prévues en la matière par le Code de l'éducation. Les sanctions financières pourraient être rendues plus dissuasives et assorties d'une obligation de fermeture de la formation".

Autre proposition sémantique : limiter le terme "bachelor" aux formations du privé, ce qui pourrait impliquer un changement de nom pour le BUT.

Faire évoluer la terminologie permettrait également de "mieux distinguer, d'une part, les diplômes reconnus par le ministère de l'Enseignement supérieur et, d'autre part, les certifications RNCP délivrées par France Compétences, placée sous la tutelle du ministère du Travail".

Dans une logique interministérielle, les rapporteures proposent également de mener un travail visant à "élaborer un guide post-bac à destination des élèves et des familles rappelant la signification des différents types de diplômes et certifications existants".

Les enjeux autour d'un nouveau label

Afin d'instaurer un véritable contrôle de la qualité pédagogique des formations délivrées par le secteur privé lucratif, les rapporteures reviennent sur plusieurs pistes, notamment le projet de création d'un nouveau label qualité, initié par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

Si les rapporteures saluent les travaux entamés par le ministère sur cette question, "elles relèvent que de nombreux points restent en suspens, tant concernant la méthode d'attribution du label que sur sa portée". Elles soulignent aussi "qu'un label seul ne permettra pas de réguler le système ; or c'est bien d'une plus grande régulation dont celui-ci a besoin".

Contacté, le ministère indique être "actuellement en train de prendre connaissance du rapport afin que le comité puisse contribuer aux arbitrages en cours".

L'absence de régulation, de contrôle et de sanction favorise le développement d'organismes de formation prédateurs, allant parfois jusqu'à la pure escroquerie, le plus souvent dans une totale impunité (J. Gossa)

Béatrice Descamps et Estelle Folest formulent également des propositions visant à "mieux protéger l'étudiant dans les relations contractuelles qu'il entretient avec son école" mais aussi à lutter contre la fraude et les pratiques illégales.

Pour Julien Gossa, maître de conférences à l'Université de Strasbourg (67), ce rapport constate que "le pire est en train d'arriver". "L'absence de régulation, de contrôle et de sanction favorise le développement d'organismes de formation prédateurs, allant parfois jusqu'à la pure escroquerie, le plus souvent dans une totale impunité. Cela conduit d'abord à des drames familiaux et personnels, le diplôme étant un bien très particulier puisqu'on ne peut pas le revendre et qu'on le garde toute sa vie."

Alors que la situation apparaît de plus en plus hors de contrôle, "même les formations privées sérieuses commencent à s'inquiéter", explique Julien Gossa. La confusion dans l'esprit des familles est à la fois une opportunité d'affaire, et un risque que la mauvaise réputation des formations peu scrupuleuses s'étende à toutes les formations, en particulier privées."

Une enquête de la répression des fraudes, publiée en 2022, soulignait que sur 80 établissements contrôlés, 56% étaient "en anomalie sur au moins un des points de la réglementation" pour des pratiques commerciales trompeuses.

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