Le droit à la poursuite d'études en master, un vœu pieu ?

Isabelle Fagotat Publié le
Le droit à la poursuite d'études en master, un vœu pieu ?
Le droit à la poursuite d'études est-il applicable ? // ©  kasto/Adobe Stock
Depuis la réforme de 2016 et l'instauration d'une sélection en master 1, les étudiants titulaires d'une licence bénéficient d'un droit à la poursuite d'études. Mais, dans les faits, les diplômés de licence n'obtiennent pas toujours une place en master, en particulier dans certaines filières en tension.

Cette année, la plateforme Mon Master intègre une phase complémentaire. Elle permet aux candidats sur liste d'attente, ceux n'ayant pas reçu ou accepté de proposition de master, d'émettre de nouveaux vœux dans des formations qui ne sont pas complètes. Et permettre de mettre en pratique réellement le droit à la poursuite d'étude en master ?

Car, depuis la réforme de 2016 et l'instauration d'une sélection en master 1, les étudiants titulaires d'une licence bénéficient d'un droit à la poursuite d'études. Il permet aux étudiants qui n'ont pas place en master de saisir le rectorat afin de se voir proposer trois admissions dans un master en lien avec leur projet professionnel.

Pour certains acteurs, Mon Master a amélioré la situation, en amont. "La plateforme semble avoir facilité les procédures d'admission en droit, puisqu'en 2023, nous avons enregistré beaucoup moins de recours que l'année précédente, alors qu'environ seulement 40% des diplômés de licence en droit de notre université sont admis dans nos masters", constate ainsi Marie-Hélène Monsériè-Bon, vice-présidente en charge des études et de la formation à l'université Paris-Panthéon-Assas.

Mais tout n'est pas résolu : en 2023, 8.073 saisines avaient tout de même été déposées. Si 1.240 ont été abandonnées en cours de route, 4.802 ont été jugées recevables. Parmi elles, seules 2.405 ont abouti à au moins une proposition d'admission en master et seulement 1.302 étudiants ont accepté la proposition.

Dans certaines filières, un droit à la poursuite d'études limité

"Le droit à la poursuite d'études était une promesse faite aux étudiants pour que personne ne se retrouve à la porte. Pourtant, après saisine du recteur, beaucoup n'obtiennent pas de place. On leur demande de se réorienter car dans les faits, le rectorat n'a pas les moyens de leur proposer une admission en master. Ce n'est donc plus un droit", affirme Rémy Dandan, avocat spécialisé en droit de l'éducation.

Certains étudiants décident alors de saisir le Défenseur des droits ou de faire appel à un avocat. Rémy Dandan défend une cinquantaine d'étudiants pour lesquels les rectorats n'ont pas trouvé de solution. Certains sont en filière de psychologie, particulièrement touchée.

Pourtant, après saisine du recteur, beaucoup n'obtiennent pas de place. On leur demande de se réorienter car dans les faits, le rectorat n'a pas les moyens de leur proposer une admission en master. (R. Dandan, avocat)

Après leur licence, des étudiants ne se voient proposer aucune place en master, diplôme requis pour exercer le métier de psychologue. En 2023, ils étaient 30% dans ce cas tandis que 100% des places en master de psychologie avaient été pourvues.

Un manque de places en master

Que faire alors pour garantir ce droit ? "Nous revendiquons l'ouverture de 30.000 places en urgence dès la rentrée. Le droit à la poursuite d'étude en master est censé être garanti par la loi. Pour nous, une licence doit permettre d'obtenir une place en master dans la même filière et dans la même université", déclare Arthur Sabatier, délégué général de l'Unef.

Il y a un droit à la poursuite d'études : le candidat peut obtenir un master dans la mention souhaitée, mais pas forcément dans le parcours qu'il visait. (A.-S. Barthez, Dgesip)

Du côté du ministère, on met en avant les 10% de places en master non pourvues dans d'autres filières en tension comme le droit et les sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS), tandis que 99% des candidats titulaires d'une licence juridique et 94% des candidats de STAPS se sont vu proposer une place en master en 2023.

"Il y a un droit à la poursuite d'études : le candidat peut obtenir un master dans la mention souhaitée, mais pas forcément dans le parcours qu'il visait. Les responsables de master veillent en effet à la cohérence des parcours et à placer les étudiants dans les conditions de réussite les plus importantes possibles", indique Anne-Sophie Barthez, directrice générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle.

S'adapter aux perspectives d'emploi

À l'université de Limoges, chaque master offre en moyenne une vingtaine de places. "Elles sont fixées par rapport aux besoins des métiers couverts par ces formations. L'objectif n'est pas que les diplômés se retrouvent au chômage ou occupent un emploi en deçà de leur niveau de sortie. On est donc obligé de restreindre le nombre de places", constate Danielle Troutaud, vice-présidente de la commission de la formation et de la vie universitaire de l'université.

Conséquence : si les meilleures candidatures sont facilement admises en master, ce n'est pas toujours le cas pour de moins bons dossiers. "Pourquoi alors ne pas fermer les vannes après le bac ?, suggère Rémy Dandan. Si vous n'êtes pas admis à la fac, vous pouvez réorganiser votre projet professionnel à un âge où il est encore assez malléable. Quand ça se passe après la licence, l'étudiant a perdu trois années. Ça crée de grosses déceptions."

Diversifier les débouchés pour la licence

"En psychologie, l'enjeu est de deux ordres. D'une part, il faut diversifier les poursuites d'étude après la licence et montrer qu'elle permet un accès à des masters dans d'autres mentions, en management, par exemple. D'autre part, il faut davantage professionnaliser la licence pour que les diplômés trouvent plus facilement un emploi à bac+3. Nous réunissons régulièrement les représentants des formations en psychologie dans ce sens", explique Anne-Sophie Barthez.

En droit aussi, de nombreux métiers requièrent un master 1 ou un master 2 pour être exercés. C'est le cas des professions de juriste, magistrat, notaire, avocat... Au terme de leur licence, certains étudiants auront pourtant un dossier jugé trop faible pour être admis en master.

Proposer des alternatives professionnalisantes à bac+3

Pour proposer une alternative, l'université Paris-Panthéon-Assas met en place à la rentrée 2024 une licence professionnelle en apprentissage. Accessible après une L2 voire une L3, elle préparera à la profession de collaborateur de justice.

"L'objectif est de permettre aux étudiants d'intégrer une formation professionnalisante dans les métiers du droit afin d'obtenir un poste de collaborateur, puis éventuellement, via une progression et la validation des acquis de l'expérience, de pouvoir ensuite prétendre à un master", précise Marie-Hélène Monsériè-Bon.

C'est un leurre de faire croire à un étudiant qui a des difficultés en licence qu'il va pouvoir suivre une formation en master. (D. Troutaud, université de Limoges)

Le droit à suivre un master met en effet en lumière une tendance de fond : celle d'encourager les études longues. "On a d'abord connu le bac pour tous, avec l'idée que 100% des lycéens devaient obtenir le bac, puis celle que tous les bacheliers devaient intégrer une licence. Maintenant, on voudrait que tout le monde poursuive en master. C'est un leurre de faire croire à un étudiant qui a des difficultés en licence qu'il va pouvoir suivre une formation en master", regrette Danielle Troutaud.

Selon elle, il faudrait mieux orienter ces étudiants en mettant en avant les concours et métiers qui leur sont accessibles avec un bac+3.

Isabelle Fagotat | Publié le